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— Discipline de fer ?

— Non, un établissement correct, d’après Lanson. Mais s’il restait une chance à l’enfant d’échapper à la psychose, le père l’a définitivement ruinée.

— Les lettres ?

— Oui. Pendant la première année, il lui a écrit cinq ou six fois, et puis ça s’est intensifié. Une lettre par mois, puis une par semaine quand il a eu treize ans et jusqu’à ses dix-neuf ans.

Hermel pianota sur la table, méditatif.

— Et la mère ?

— Jamais donné de nouvelles. Jamais revu son fils. Elle est morte en France quand il avait vingt et un ans.

Hermel secoua la tête, avec une grimace.

— Vous parlez d’un sale truc, mon vieux.

Il allongea le bras, enclencha la bande.

— « Pendant presque dix années, par une correspondance suivie, John Neil Padwell prépara son fils, le jeune Stuart, à la tâche sacrée qu’il entendait lui faire accomplir — je cite les mots de l’inculpé. C’est dans ce but que Stuart, à vingt-deux ans, changea d’identité, grâce à l’aide d’un ancien détenu, ami de son père, et s’exila au Canada — vous me donnerez les dates, mon vieux. Pendant son incarcération et jusqu’au décès de sa femme, John Padwell s’assura les services d’un détective — je n’ai pas son nom — qui prit en chasse l’épouse, réfugiée en France dès la fin du procès. C’est ainsi que le père et le fils se tinrent informés de la vie amoureuse d’Ariane Germant épouse Padwell et de l’identité des deux amants qui succédèrent à Simon et à Paul Hellouin, commettant à leur tour le double crime — je cite toujours — de porter la main sur l’épouse et de tenir la mère éloignée de l’enfant. Il ne fut jamais question d’attenter aux jours de la mère, ces quatre hommes portant seuls, aux yeux du père et de l’inculpé, la responsabilité du désastre familial — je cite. Simon Hellouin éliminé, Stuart devait achever l’œuvre salvatrice — citation toujours — en éliminant à son tour Paul Hellouin, avec lequel Ariane Germant s’était enfuie en France — vous me donnerez la date, mon vieux —, ainsi que Jacques-Jean Sernot et Fernand Deguy, qu’elle avait connus lors de son installation à Grenoble quelques années plus tard, en 19… — à compléter. John Padwell exhortait son fils, avec lequel il communiquait très prudemment depuis son changement d’identité, à prendre tout le temps nécessaire pour planifier une stratégie qui le laisse hors de cause, souhaitant par-dessus tout lui éviter l’incarcération qu’il avait subie. Stuart Padwell — dit Lawrence Donald Johnstone — échafauda plusieurs plans successifs, sans en trouver aucun qui le satisfasse entièrement — citation. Depuis ses débuts de garde-chasse dans les réserves du Canada — vous me direz où, mon vieux, je ne connais rien au Canada —, il s’était taillé, en treize ans, à force de travail acharné et de solitude — citation — une réputation solide dans le monde des spécialistes des caribous. »

— Des grizzlis, rectifia Adamsberg.

— « Des grizzlis. La nouvelle du retour des loups dans les Alpes françaises parvint dans le milieu des naturalistes canadiens alors que John Padwell venait de décéder subitement. Stuart y vit un signe et l’occasion d’accomplir enfin sa mission — citation —, et travailla un an à en ajuster chacune des pièces. Il se fit envoyer dans le Parc naturel du Mercantour, mission qu’il obtint avec une grande facilité au vu de sa renommée. Il fit halte à Paris en décembre — les dates, mon vieux, les dates —, où il acheva sa documentation sur les légendes du loup-garou en France et où il rencontra Camille Forestier. Il encouragea la jeune femme à l’accompagner, autant parce qu’il s’était attaché à elle — citation — que parce qu’un homme seul suscite dans les villages commentaires et curiosité — citation toujours. Depuis Valberg, Alpes-Maritimes, où il s’installa provisoirement, il se mit en quête d’un bouc émissaire. Il repéra trois candidats pour ce rôle — je cite — et jeta son dévolu sur Auguste Massart, domicilié à Saint-Victor-du-Mont, Alpes-Maritimes, où il s’installa — vers janvier, date à vérifier. Il demeura six mois à Saint-Victor, y prenant le temps nécessaire pour se renseigner sur Massart, et assurer sa réputation et la réussite de son entreprise. Il enclencha l’opération le mardi 16 juin en égorgeant plusieurs brebis dans la nuit, à la bergerie de Ventebrune, puis au cours des nuits suivantes à Pierrefort et à Saint-Victor — les dates, mon vieux —, à l’aide d’un crâne de loup du Canada aux dents préalablement aiguisées. Le samedi 20 juin, il lança la rumeur d’un loup-garou en la personne d’Auguste Massart, sur la foi du pseudo-témoignage de Suzanne Rosselin, éleveur à Saint-Victor. Dans la nuit du samedi au dimanche 21 juin, il drogua sa compagne Camille Forestier, quitta son domicile, assassina Auguste Massart, qu’il enterra avec ses vêtements de montagne et son chien, puis égorgea Suzanne Rosselin. Il abandonna au domicile de Massart une carte routière surlignée, afin de mettre en évidence les liens supposés de Massart et des bêtes égorgées. Après avoir successivement frappé les bergeries de Guillos et de… — le nom, mon vieux ?

— La Castille.

— « … et de La Castille, il contacta l’adjudant-chef Brévant et lança aux trousses de l’homme au loup Soliman Diawara, fils adoptif de Suzanne Rosselin, et Philibert Fougeray, dit le Veilleux, berger à Saint-Victor. Sa compagne Camille Forestier les accompagnant. Il égorgea successivement Jacques-Jean Sernot à Sautrey, Isère, dans la nuit du 24 au 25 juin, et Fernand Deguy à Bourg-en-Bresse, Ain, dans la nuit du 27 au 28 juin. Il aiguilla l’enquête vers un hôtel de Combes où il déposa deux ongles et un cheveu prélevés sur le corps de Massart. Il égorgea à la suite Paul Hellouin à Belcourt, Haute-Marne, dans la nuit du 2 au 3 juillet, ponctuant sa route de massacres d’ovins perpétrés à… — vous me donnerez la liste, mon vieux, je m’y perds, franchement je m’y perds —, destinés à accréditer la culpabilité de l’homme-loup. Il perpétra ses meurtres suivant un modus operandi toujours similaire, se déplaçant en moto pour tuer, protégé par l’alibi de sa présence dans le Mercantour, où, en vertu de l’étendue du territoire désert, cette dite présence était invérifiable. Il y fit néanmoins trois brèves incursions par sécurité — je cite l’inculpé — et y préleva au cours de sa dernière visite les poils de loup qui furent retrouvés sur Paul Hellouin. Dans la soirée du dimanche 5 au lundi 6 juillet, à Châteaurouge, Haute-Marne, menacé par l’enquête menée par le commissaire Adamsberg sur le dossier Padwell, il l’attaqua au lieu-dit le Camp du Tondu, agression contrecarrée par l’intervention de Soliman Diawara. Le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg reconnaît avoir sciemment lancé un projectile en direction de Stuart D. Padwell, le visant à la tête, et provoquant une blessure constatée sans gravité, selon examen réalisé par le Dr Vian à l’hôpital de Montdidier, le lundi 6 juillet à 1 h 50 du matin. Arrestation de l’inculpé par l’adjudant-chef Lionel Fromentin, opérée ce même lundi 6 juillet à 1 h 10 du matin. »

Hermel coupa l’enregistrement.

— J’ai oublié quelque chose ?

— Crassus le Pelé et Augustus.

— C’est qui ces types ?

— Deux loups. Laurence a dû faire disparaître le premier dès son arrivée. À moins que Crassus n’ait disparu tout seul, c’est possible. C’était le plus grand d’une meute. Augustus était un vieillard qu’il avait pris sous son aile. Pendant son équipée, il n’a pas pu le nourrir et le vieux en est mort. Laurence en a conçu beaucoup de tristesse.

— Il assassine cinq personnes et il a de la peine pour un loup ?

— C’était son loup.