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J’aurai de toute façon une conversation avec mon homologue soviétique en terrain neutre. Pour remettre les pendules à l’heure. Si un de leurs agents a dépassé ses instructions, ce n’est pas une raison pour déclencher la Troisième Guerre mondiale.

— Même si je n’étais pas intervenu pour récupérer l’album, souligna Malko, c’est un horrible accident. Il n’y avait aucune volonté de nuire de ma part…

L’Américain le fixa avec une expression ambiguë.

— L’ennui, remarqua-t-il, c’est que l’arrière de la voiture conduite par Vladimir Kopalov n’a pas été totalement détruit… On a trouvé l’impact d’une balle de « 45 » dans l’aile arrière gauche. Les Pakistanais ne sont pas des imbéciles. Enfin, tout cela va s’arranger.

— Il a fallu qu’ils s’affolent drôlement pour utiliser quelqu’un de leur ambassade, remarqua Fred Hall. Les Pakistanais n’aiment pas beaucoup ce genre de procédé.

— Si vous vous amusez de nouveau à la guéguerre, demanda Roger Green, évitez d’utiliser une voiture de l’ambassade et une arme de service. C’est quand même un peu voyant ; laissons cela aux Ivans.

Comme si Malko avait le choix… La conférence était terminée. Malko récupéra son album et sortit avec Fred Hall. À peine les deux hommes étaient-ils seuls que l’Américain demanda anxieusement :

— Vous n’avez rien dit, à propos de Nasira ?

— Non, dit Malko. Je suis certain que vous avez été manipulé. Malheureusement, cela ne ferait pas revivre Bruce Kearland de révéler qu’elle était votre maîtresse.

Fred Hall secoua la tête.

— Cette salope ! Elle s’est foutue, de moi. Quand je pense qu’elle a tué Bruce et qu’elle a utilisé tout ce que je lui disais.

Malko lui mit la main sur l’épaule.

— C’est de l’histoire ancienne et ça peut arriver à tout le monde. Maintenant, il faut résoudre le mystère de cet album. Sinon, tous ces morts n’auront servi à rien.

Fred Hall eut un geste découragé.

— Je suis sec ! Nasira est morte, Yasmin ne sait rien de plus. Quant à notre camarade soviétique, je l’ai checké, c’était un capitaine du KGB, du Second Directorate. Cependant, il a transgressé la règle qui veut qu’aucun membre d’une « Rezidentia » ne se mouille dans une affaire « action ». Il a sûrement été couvert par ses supérieurs, ce qui signifie que notre histoire intéresse directement le KGB et pas seulement le Khad.

— Cela confirme l’attaque de Bruce Kearland par les hélicoptères, fit remarquer Malko.

— Mais cela ne nous donne pas la clé du mystère. Elle est dans cet album. C’est lié au Lowgar, comme vous l’avez dit.

— Ils arrivent quand vos délégués ?

— Après-demain.

Ils prirent l’ascenseur et gagnèrent le parking. Malko avait rendu sa Buick à Fred Hall et loué chez Budget une Mercedes équipée de l’air conditionné bien décidé à la garder jusqu’à la fin de son séjour. Il faisait un peu moins chaud qu’à Peshawar. Malko se dirigea vers Khyaban-E-Shurawardi. Il devait déjeuner avec Yasmin avant de repartir pour Peshawar.

Au moment où il passait devant une pancarte annonçant la construction d’une nouvelle Cour de Justice au milieu d’un terrain vague, il aperçut dans son rétroviseur une grosse voiture noire aux vitres fumées. Cinq kilomètres plus loin, alors qu’il tournait dans Constitution Avenue, il revit la même voiture derrière lui ! Il était suivi ! Ainsi les Soviétiques n’avaient pas renoncé. Le précieux album était toujours une bombe à retardement. Il le prit sous son bras en descendant de voiture, certain qu’on chercherait à le récupérer de toutes les façons. Yasmin l’attendait, drapée dans un sari jaune, le teint très pâle, mais dégageant toujours le même magnétisme sexuel.

Malko eut de nouveau envie d’elle. Un parfum très léger flottait autour du corps de la jeune femme.

— Je tremble encore de ce qui est arrivé ! dit-elle. Je n’arrive pas à croire que Nasira était l’alliée des Soviétiques qui ont envahi son pays…

— Ils ont dû lui promettre une parcelle de pouvoir, dit Malko. Procédé courant. En plus, les Kabouli n’ont jamais été en faveur de l’obscurantisme musulman.

Yasmin soupira :

— Enfin, tout cela est fini. Quel cauchemar !

— Ce n’est hélas pas fini, fit Malko. Vous allez repartir avec moi à Peshawar. Tout à l’heure.

Elle le regarda, stupéfaite.

— Mais c’est impossible ! J’ai un grand dîner ce soir à l’ambassade d’Indonésie. Restez. Venez-y avec moi.

— Non, dit Malko, je dois rentrer à Peshawar. Les chefs de la Résistance arrivent dans deux jours. Or, ici, vous êtes en danger de mort. Les Soviétiques veulent toujours l’album. Ils ignorent qui le possède, de vous ou de moi. Et peut-être, à votre insu, détenez-vous une information vitale. Ils sont capables de vous tuer.

Il lui raconta l’épisode de la voiture noire. Elle se laissa tomber sur le canapé.

— Mais c’est horrible ! Pourquoi ne pas prévenir la police pakistanaise ?

— Cela ne servira à rien, dit Malko. Préparez vos affaires. Nous partons tout de suite.

* * *

Impossible de vérifier s’ils étaient suivis dans la circulation chaotique de la route Islamabad-Peshawar. Malko avait un œil glué dans le rétroviseur, guettant tous les véhicules qui le doublaient. Il ne tenait pas à se faire bêtement mitrailler. Le Colt de Fred Hall était coincé entre les deux sièges avant, une balle dans le canon, et l’album de photos, sur le plancher aux pieds de Yasmin. Il avait bien entendu été photocopié à l’ambassade US et Fred Hall en remportait une copie à Peshawar. Yasmin laissa son regard errer sur l’Indus, comme ils franchissaient le grand pont, annonçant la province de Peshawar. Un antique fort construit par les Anglais dominait encore le fleuve.

Machinalement, elle prit l’album à ses pieds et recommença à le feuilleter.

— Vraiment, je ne comprends pas, dit-elle. Je connais toutes ces photos, il n’y en a pas de nouvelles.

— Je ne comprends pas non plus, avoua Malko. Mais trop de gens ont été tués pour cet album pour qu’il n’ait pas de valeur. Simplement, nous ne la voyons pas.

Ils entraient dans les faubourgs de Peshawar. Il eut un petit pincement au cœur en passant devant le cinéma Ferdous. Le Khad avait-il eu le temps d’envoyer une nouvelle équipe de tueurs ? Les Russes ne pouvaient quand même pas agir directement. Cela ne s’était jamais vu.

Il balaya des yeux le hall de l’lntercon, sans rien voir de suspect. Yasmin trouva facilement une chambre à côté de la sienne, pour sauver les apparences. Malko dissimulait son découragement. Une fois Yasmin installée, il ressortit, tenant le précieux album. Le dernier à pouvoir l’aider était Sayed Gui. Il espérait que l’Afghan aurait le triomphe modeste dans l’affaire Nasira Fadool.

* * *

Dans un silence de mort, Sayed Gui tournait les pages de l’album, observant les photos de Bruce Kearland et de Yasmin avec un intérêt mitigé. Puis l’Américain apparut en tenue pachtou et le directeur du renseignement se pencha sur les photos plus attentivement.

Dans un coin du bureau, Asad, le géant aux mains moites, et Rassoul observaient silencieusement la scène. Sayed Gui avait eu le bon goût de ne même pas mentionner le nom de Nasira, alors qu’il était parfaitement au courant.

Malko intervint.

— Pouvez-vous identifier tous les personnages qui se trouvent avec Bruce Kearland ?

Sayed Gui leva la tête :

— Je ne sais pas. Ici, j’en connais un parce qu’il servait de liaison avec Peshawar. Les autres, je ne les connais pas. Les mudjahidins viennent rarement ici, à Peshawar.