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— Les Pakistanais ne veulent pas intervenir. Ils ont peur, ils ne veulent pas que leur pays se transforme en Liban. Il y a deux millions et demi de réfugiés afghans au Pakistan. Au sud du pays les Russes excitent la minorité baluch pour qu’elle réclame l’indépendance ; ils menacent à mots couverts de poursuivre les Résistants ici au Pakistan. Alors, les Pakistanais voudraient bien trouver une solution. Un accord avec les Soviétiques. Qui sauve la face de tout le monde. Seulement, les gens qui se battent sur le terrain sont intraitables, ils continueront la Djihad tant qu’il y aura un Soviétique en Afghanistan. Comme les Pachtous qui ont empêché les Britanniques de franchir la Khyber Pass, il y a un siècle. Ce sont des gens têtus et courageux.

» Vous comprenez que je ne veux pas compter sur les Pakistanais pour protéger les chefs de la Résistance…

Assad, le géant, bougea et cracha par terre. Sayed Gui remit ses grosses lunettes et demanda brusquement :

— Quand comptez-vous partir à la recherche de Bruce Kearland ?

Malko commençait à croire qu’on avait oublié l’Américain.

— Le plus tôt possible, dit-il, je crois qu’il possède des informations précieuses.

Sayed Gui approuva.

— Je le pense aussi. Sinon, ceux du Khad n’auraient pas éliminé ses messagers de cette façon aussi brutale. Nous savons à peu près où il se trouve. Je vous donnerai une escorte de mes meilleurs mudjahidins, mais il faudra marcher beaucoup, jour et nuit, si vous voulez être revenu à temps. Au mieux, cela prendra une semaine. Je peux organiser votre départ pour demain matin avec un convoi de munitions.

— C’est d’accord, dit Malko. Je vous retrouve ici ?

L’Afghan n’eut pas le temps de répondre. Un coup fut frappé à la porte et le dactylo barbu apparut, bredouillant quelques mots incompréhensibles. Sur un signe de Sayed Gui, il ouvrit le battant pour laisser un petit Afghan moustachu et timide qui se mit à débiter une longue tirade au directeur du renseignement. Celui-ci le renvoya après l’avoir écouté et se tourna vers Malko.

— Je crois que vous n’aurez pas à vous rendre dans le Lowgar. Cet homme arrive de l’intérieur. Mr Kearland sera demain dans la matinée à Landikotal, avec son escorte. Il est gravement blessé et sur le point de mourir.

Chapitre IV

Une foule d’images traversa l’esprit de Malko. Landikotal ! C’était un petit bourg pachtou, le dernier avant le poste-frontière de Torkham, niché dans les replis pelés de la Khyber Pass, centre de tous les trafics entre l’Afghanistan et le Pakistan. Là-bas, tout le monde était armé et les étrangers tout juste tolérés. Mais Landikotal était aussi le carrefour où aboutissaient les pistes secrètes chevauchant la frontière.

— Quand pouvons-nous y aller ? demanda Malko.

Sayed Gui posa ses lunettes :

— Il y sera probablement en fin de matinée. On le transporte sur un mulet, il est gravement blessé. Le messager m’a dit qu’il ne respirait presque plus. Il risque de mourir avant d’atteindre Peshawar.

— Je vais prendre une voiture, répondit Malko, et vous m’expliquerez où le trouver.

Sayed Gui eut un sourire amusé.

— Ce n’est pas aussi simple. La Khyber Pass et Landikotal sont interdits à tous les étrangers par le gouvernement pakistanais. Celui-ci a détruit des laboratoires d’héroïne à Landikotal et les Pachtous se sont fâchés, menaçant de prendre les armes et de tuer tous les étrangers qui passeraient. Il va falloir s’entourer de certaines précautions…

Encore une élégante litote…

— Par exemple ? demanda Malko.

— Des hommes sûrs vous accompagneront. Il faudra vous habiller en Pakistanais. Si vous voulez, on viendra vous chercher demain matin à sept heures à votre hôtel.

— Parfait, dit Malko. Et comment trouverai-je Bruce Kearland ?

— Vous avez vu le messager. Il vous attendra là-bas. Mes hommes le connaissent. Faites attention, lorsque vous serez dans la rue. Ne parlez à personne et surtout pas en anglais. On vous fera passer pour un Turkmène.

Il se leva, imité par Asad, le géant. Malko en fit autant et se dirigea vers la porte. La voix de Sayed Gui le rattrapa :

— Prenez ceci.

Il se retourna. L’Afghan lui tendait un énorme pistolet automatique noir. Malko prit l’arme, l’examinant avec curiosité. Cela ressemblait au croisement d’un P 38 et d’un Colt. Il pesait une tonne.

— C’est une arme fabriquée à Darra, expliqua Gui. Bien sûr, elle ne tire pas très bien, mais c’est mieux que rien.

Darra était un petit village pachtou où depuis des temps immémoriaux on fabriquait des armes artisanales, copies de fusils anglais ou adaptations insolites. Les Pachtous pauvres s’en contentaient, quitte à se faire péter la gueule de temps à autre.

Malko soupesa le lourd pistolet, regrettant son pistolet extra-plat. Il l’emmenait de moins en moins, à cause des portiques magnétiques dont la plupart des aéroports étaient maintenant équipés. Il glissa l’arme dans sa ceinture, sous sa chemise. Le contact froid de l’acier le fit frissonner. Sayed Gui et le géant l’observaient avec un bon sourire.

— À Landikotal, remarqua-t-il, un homme sans turban et sans arme n’est pas un homme.

La poignée de main de Sayed Gui fut particulièrement chaleureuse. Il boitilla jusqu’à la galerie extérieure et prit dans les siennes la main droite de Malko.

— Bonne chance !

Malko retrouva son taxi transformé en sauna. Songeur. Sayed ne lui disait rien de bon. Un peu trop onctueux, sûr de lui, tortueux.

Une fois de plus, on l’envoyait au massacre. Seulement, il n’avait guère le choix. Elko Krisantem allait être ravi de cette escapade. Il restait à prévenir les principaux intéressés. Fred Hall et la somptueuse Yasmin. Malko dut s’avouer que la perspective de la revoir le troublait agréablement.

Circuler dans un taxi non climatisé, en plein après-midi, à Peshawar, relevait du masochisme le plus débridé. Malko avait couru après Fred Hall, entre le centre culturel américain et le consulat, pour arriver à le coincer enfin dans une réception, sur la pelouse de l’Intercontinental.

Le chef de station de la CIA s’était figé en apprenant le retour de son agent.

— My God, avait-il murmuré, pourvu qu’il s’en tire ! Je voudrais pouvoir venir avec vous, mais étant donné ma position, il faudrait que je demande une autorisation…

— Je vais juste le chercher.

— Bien sûr, mais quand même. Je pense qu’il aurait été heureux de me voir… Je vais faire préparer une chambre au Lady Reading Hospital. C’est le mieux. Vous l’amènerez directement au consulat.

Ils s’étaient quittés comme tout le monde se mettait à table. Bien qu’invité par Fred Hall, Malko préférait tenter sa chance avec Yasmin qu’il devait rencontrer de toute façon. En dépit de son indifférence apparente envers Bruce Kearland, elle serait peut-être intéressée d’apprendre son retour. Cette fois, il se fit arrêter dans la cour du Dean’s. Quelques étrangers palabraient à voix basse dans le petit lounge sombre en face de la grande salle à manger déserte, gaie comme une chambre à gaz. Les conversations se turent au passage de Malko qui repensa à ce qu’on lui avait dit : le Dean’s était bourré d’agents du KGB et du Khad.

Le vieux Pakistanais de la réception n’avait même pas levé les yeux sur Malko. Il frappa à la porte 32. Cette fois, la voix de Yasmin demanda presque aussitôt.

— Qui est-ce ?

En anglais, comme si elle s’attendait à la visite de Malko. Ce dernier précisa :

— L’ami de George.

La porte s’ouvrit. Yasmin portait le même sari, mais de fines perles de sueur brillaient sur son front. Il régnait dans sa chambre une chaleur insupportable. Son regard se posa sur Malko, interrogateur.