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Il réessaierait plus tard…

Allongé à l’ombre d’un pin, il s’endormit rapidement, bercé par le souffle mélodieux du vent du nord qui s’engouffrait entre les sommets pour rejoindre la vallée.

Pierre ne put trouver le repos, l’esprit taraudé par mille et une interrogations. Il regardait dormir Vincent, enviant son apparente sérénité. Puis il laissa son regard errer sur le versant d’en face, au milieu d’un enchevêtrement de mélèzes abattus par les avalanches.

Déracinés, brisés.

Morts avant l’heure… Comme lui, bientôt ?

* * *

Ciel voilé, vent froid, électricité dans l’air ; la soirée serait orageuse.

Pierre et Vincent descendaient rapidement en direction du bois de Vacheresse, admirant au passage la cascade du Pich où l’eau se jetait dans le vide depuis des temps immémoriaux. Ils n’allaient pas tarder à quitter la zone centrale pour atteindre une piste carrossable, lorsque soudain, ils aperçurent un attroupement de corbeaux, toujours à l’affût du moindre morceau de chair en putréfaction.

— Il doit y avoir une carcasse, supposa Pierre en attrapant ses jumelles.

Les deux hommes montèrent vers le lieu du rassemblement funèbre. Le cadavre d’un chamois les y attendait.

— Putain ! murmura Cristiani en serrant les poings. Encore un…

Vincent partageait la colère de son ami devant cette scène écœurante. L’animal avait été abattu par un chasseur qui avait emporté seulement la tête, abandonnant le reste aux charognards. Un mâle dans la force de l’âge, joli pactole pour les braconniers.

Pierre s’attarda sur l’impact de gros calibre au milieu du poitrail.

— C’est récent, conclut-il. Hier ou avant-hier… C’est le cinquième en deux semaines !

— Tu ne m’avais rien dit… Vous avez essayé de les serrer ?

— Tu parles, on est quatre pour surveiller tout le secteur ! Mais le jour où j’en chope un…

Ils regagnèrent lentement le sentier.

— Tu crois que c’est des gars du coin ? demanda Vincent.

— J’en sais rien… plutôt des professionnels. Des mecs de la Côte ou d’Italie… Ils ont trouvé le moyen de se faire du fric, ces enfoirés !

— Je peux vous aider à planquer, si tu veux…

— Le chef voudra jamais. Trop dangereux ! Ces fumiers sont capables de tout pour éviter la taule. Et eux, ils sont armés. Pas nous.

Pierre parlait en connaissance de cause. Deux ans auparavant, il avait essuyé des tirs de carabine en essayant de coincer un groupe de braconniers. Il avait reçu une balle dans le bras et n’avait dû sa survie qu’à sa rapidité et sa parfaite connaissance du terrain. Un trophée de chamois valait cher et la sanction encourue était la prison. Les chasseurs étaient donc prêts à tout pour échapper à la justice.

Même à tuer un garde-moniteur ou un garde-chasse.

* * *

Après avoir déposé Pierre au bureau du Parc, Vincent fit une halte au centre d’Allos. En empruntant la rue commerçante, sous un ciel de plus en plus menaçant, il aperçut Servane scotchée devant la vitrine de la boutique d’articles de sport.

— Alors, brigadier, on fait les magasins ?

Elle se retourna promptement, agréablement surprise.

— Bonjour, Vincent ! Comment allez-vous ?

— Bien, merci… Et votre voiture ?

— Je l’ai récupérée hier soir.

Ils allaient tous les deux faire quelques achats à l’unique supérette, décidèrent de s’y rendre ensemble. Ils longèrent un bistrot à la terrasse duquel était attablée une poignée d’hommes bruyants et joyeux. Quelques sifflements saluèrent le passage de Servane, elle feignit de ne pas les entendre. Mais ils s’en prirent ouvertement à Vincent dès qu’il eut dépassé le troquet.

Tiens, voilà le cocu !

Ouais ! Et apparemment, il se console avec une jolie petite blondinette !

Servane se retourna, effarée. Vincent fit mine d’ignorer superbement ces quolibets.

Eh ! Attention, mademoiselle ! Ne restez pas avec ce type !

Venez plutôt boire un verre avec nous !

Eh, le cocu ! T’es devenu sourd ?

Vincent continua à marcher tandis que Servane le dévisageait avec stupeur.

— Qu’est-ce qui leur prend ?

— Ne les écoutez pas, ordonna sèchement le guide.

Il accéléra le pas, ils bifurquèrent en direction du petit supermarché ; elle ne put retenir ses questions plus longtemps.

— Pourquoi ces types vous en veulent ?

— Parce que je bosse pour le Parc. Ce sont des chasseurs et le Parc les emmerde. Voilà pourquoi.

— Ils font pareil avec les gardes ?

— Bien pire…

— Quels cons ! conclut-elle.

Vincent semblait fortement contrarié par l’incident. Face à son silence, Servane ne savait trop quel comportement adopter.

— Au fait, dit-elle, je voulais encore vous remercier pour la randonnée… C’était vraiment très sympa !

— Content que ça vous ait plu. On recommencera, un de ces jours…

— Oui, très volontiers… Mais j’attends que vous organisiez des sorties de groupe… À cent balles !

Il sourit enfin, elle fut soulagée.

— Vous savez, si je recroise ces types, je n’hésiterai pas à leur répondre, ajouta-t-elle.

— Ne faites pas ça. Surtout sans votre uniforme !

— Pourquoi ? Ils ne me font pas peur !

— Moi non plus. Mais leur répondre, c’est leur donner de l’importance. Et ils n’en ont aucune.

— C’est pas faux. Pourtant, je ne sais pas comment vous faites pour garder votre calme…

— L’habitude.

Il la fixa droit dans les yeux.

— Vous finirez par l’apprendre, alors autant que ce soit moi qui vous le dise : depuis que ma femme s’est tirée avec un touriste, mes ennemis m’appellent ainsi. Le cocu du village, c’est moi. Mais ça ne me touche plus à présent. Et puis aucun d’entre eux n’osera jamais me le dire en face… Seul à seul en tout cas !

Elle bégaya quelques mots.

— Je suis… désolée, je ne… savais pas…

— Pas grave. C’est de l’histoire ancienne.

Elle venait enfin de comprendre ce qui rongeait cet homme, la raison de cette souffrance à peine voilée.

La raison, ou une des raisons…

Ils se séparèrent bien vite, un peu plus proches que l’instant d’avant.

4

Myriam ramena ses cheveux en arrière puis se remit à étudier la carte. Quant à Vincent, il avait déjà choisi son menu, ce soir. Il observait la jeune femme assise en face de lui avec un soupçon de prédation au fond des yeux.

Vraiment ravissante ; un visage tout en arrondis, des yeux verts, des cheveux qui n’en finissaient pas. Avec le charme naturel de ses vingt ans.

Il avait été facile de l’inviter à dîner, tout comme il serait facile de l’emmener plus loin. Un numéro de séduction que Vincent maîtrisait à la perfection. Passer à l’office du tourisme pendant que Michèle s’en était absentée… discuter un petit moment avec la demoiselle… lui proposer une soirée en tête à tête. Elle ne connaissait personne, ici ; se sentait un peu perdue. Si seule…

Pour leur premier rendez-vous, Vincent avait réservé une table dans un restaurant au cœur de la station de La Foux qui tournait encore au ralenti en cette saison. Cadre chaleureux, intime : feu de cheminée, boiseries, lumière tamisée ; très romantique. Car Myriam était sans doute romantique. Ça lui passerait, avec l’âge et les désillusions.