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Ils abandonnèrent la voiture à cinquante mètres de la masure du Stregone. Servane avait l’impression d’avoir retrouvé ses forces. Pourtant, Matthieu dut la soutenir pour franchir les quelques pas qui la séparaient encore de Vincent.

Du bonheur.

Ils pénétrèrent dans la cave, elle se dégagea de l’emprise de son collègue pour rejoindre Vincent. Dans cette brusque pénombre, elle devinait juste son corps. Elle s’effondra près de lui, prit son visage entre ses mains.

— Vincent, je suis là ! C’est fini… Ils ont été arrêtés !

Matthieu contourna la paillasse, se pencha à son tour sur le blessé.

— On va t’emmener à l’hosto, continua la jeune femme. L’hélicoptère arrive…

Elle broya sa main dans la sienne.

— Vincent, tout va bien, maintenant… On a réussi.

Elle admira son visage ; tendre et apaisé. Il souriait légèrement. Ce sourire si énigmatique ; celui qui avait su la séduire. Bientôt, elle entendrait à nouveau son rire. Le son grave et sensuel de sa voix.

— On est sauvés, mon amour…

Elle comprimait toujours ses doigts ; sa main était chaude, ses lèvres aussi.

Matthieu ferma les yeux, le Stregone fit le signe de croix avant de quitter la cave.

Épilogue

Servane sortit sur la terrasse ; un frisson la secoua de la tête aux pieds. Octobre prenait ses aises et les sommets les plus hauts avaient pâli aux premières averses de poudreuse. Sherlock revenait de son petit tour matinal et salua sa maîtresse en aboyant. Elle le souleva de terre, le serra contre elle.

Un beau matin d’automne auquel il ne manquait que le plus important.

Elle rentra à l’intérieur du chalet, enfila un pull. Elle prit les clefs du pick-up, enfin réparé, et fit monter Sherlock à l’arrière. Elle quitta l’Ancolie ; royaume de Vincent qui était devenu le sien par ses dernières volontés. Un testament rédigé quelques jours seulement avant…

Elle s’était installée là, n’avait rien touché, laissant le décor intact.

Comme si Vincent allait rentrer d’une minute à l’autre.

Elle ne savait pas encore comment elle s’acquitterait des droits de succession, mais cela n’avait guère d’importance. Elle trouverait un moyen de garder cette maison puisque Vincent la lui avait confiée, comme une ultime marque de confiance et d’amour.

D’ailleurs, elle savait que les habitants des deux villages étaient en train de se cotiser pour l’aider, à l’initiative de Baptiste Estachi.

Elle essuya ses larmes, se concentra sur la piste de l’Herbe Blanche.

Vincent lui avait donné l’Ancolie mais aussi la voiture. Tout ce qu’il possédait à part un petit studio en Ubaye, revenu à Nadia.

Elle frotta son poignet encore douloureux et alluma l’autoradio. Elle commençait à aimer la musique classique, finalement.

En passant devant l’église d’Allos, elle jeta un œil au petit cimetière.

Vincent reposait là, tout près de Pierre.

Après avoir parcouru ensemble les sommets, ils parcouraient ensemble l’éternité.

Encore des larmes. Chaque jour des larmes.

Elle descendit la grand-route du Verdon et s’arrêta à la caserne de Colmars.

— Sherlock, tu restes là ! ordonna-t-elle.

Elle n’avait pas encore repris le travail, venant à peine de se débarrasser de son plâtre. Blessure superficielle comparée aux autres.

Plus profondes. Indélébiles, sans doute.

Elle embrassa Matthieu, coincé à l’accueil, et se rendit directement dans le bureau de Christian Lebrun qui assurait l’intérim jusqu’à ce qu’un nouvel officier supérieur soit nommé à la tête de la caserne.

Le chef l’invita à s’asseoir, la couvant d’un regard affectueux. Elle était devenue une sorte d’héroïne en ces lieux.

— Comment allez-vous, Servane ?

— Bien, je vous remercie.

— Et votre bras ?

— Ça fait encore un peu mal, mais ça s’arrange.

— Vous vouliez me parler ? demanda-t-il.

— Oui… Je voulais vous dire que… Que j’ai bien réfléchi et que je vais quitter la gendarmerie… Pas tout de suite, mais dès que possible.

Il masqua sa déception derrière un sourire forcé.

— Vous allez remonter chez vous, en Alsace ? présuma-t-il.

— Non, je vais rester à l’Ancolie.

— Ah… Et que comptez-vous faire ?

— Je vais essayer de passer mon brevet d’accompagnatrice en montagne.

— C’est formidable ! Si vous aimez vraiment la montagne…

— Je ne vis plus que pour elle.

Il baissa les yeux. Sa souffrance était tellement visible, tellement insupportable. Et ces hurlements insoutenables qui le poursuivaient encore jusque dans ses rêves…

Ils avaient dû l’arracher de force au corps sans vie du guide. Avaient dû encaisser ses cris.

Toujours le même mot : non.

Toujours le même prénom : Vincent.

— Bien… Je respecte votre choix et je vous souhaite bonne chance. Je… Je suis heureux que vous restiez dans la vallée, parmi nous.

— Merci, chef.

Il contourna le bureau pour lui serrer la main. Finalement, elle eut droit à une chaleureuse accolade et se raidit à ce contact.

— Vous ferez un excellent guide, dit-il.

— Merci, Christian. Merci beaucoup.

Elle quitta bien vite la caserne.

Aujourd’hui, elle avait quelque chose de difficile mais d’important à accomplir.

Elle accéléra sur la grande ligne droite en bordure du Verdon et le pont d’Ondres ne tarda pas à apparaître sur sa gauche. Elle s’y engagea lentement.

Au fur et à mesure qu’elle gravissait la piste, qu’elle approchait du hameau, son cœur se tordait de douleur.

Mais elle devait le faire. Besoin de revoir Mario autant que l’endroit où…

Elle coupa le contact à l’entrée du village, franchit les derniers mètres à pied. Elle ne boitait presque plus, maintenant.

Elle trouva le Stregone assis sur le pas de sa porte, en plein soleil. Comme s’il attendait sa visite.

— Bonjour, dit-elle.

Il enleva son chapeau, sans doute en guise de salut.

— Je… Je peux m’asseoir ?

Il lui désigna la marche en pierre avec la main ; elle s’installa à côté de lui et ils gardèrent un moment le silence. Elle luttait contre ses larmes alors que pourtant, il ne la regardait pas.

— Je voulais vous dire merci, murmura-t-elle soudain. Merci de nous avoir aidés…

Il fit un simple signe de tête. Façon pudique de témoigner son émotion.

— Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais ils ont tous été mis en détention préventive à Digne, reprit-elle. En prison, quoi. En attendant d’être jugés…

— Ils méritent la mort.

Elle fut presque surprise d’entendre le son rocailleux de sa voix. Elle ne pensa pas à le contredire.

— Ils ont tout avoué, continua la jeune femme. À part Mansoni qui nie toujours le meurtre de Pierre Cristiani. Mais les autres l’ont balancé.

Le Stregone tourna enfin la tête vers elle et la considéra bizarrement.

— Le meurtre de Cristiani ? répéta-t-il.

— Oui… C’est Julien qui l’a tué… Parce qu’il allait tout dire et…

— Non.

Servane cessa de respirer.

— Qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous dites ? Vous savez qui a tué Pierre ?

Il ne répondit pas, elle continua à l’interroger du regard. À l’implorer de livrer son secret.

Enfin, il consentit à parler.

— J’étais là quand le garde est mort, confessa-t-il. Je descendais vers le torrent du Bouchier…