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— Cet oiseau est insupportable, dit-il, mais il amuse tant les clients ! Et nous aussi ! On s’y est attaché… Il faut seulement le surveiller. Et il emporte tout ce qui brille, méfiez-vous, Madame !

Daniel regardait rire Martine et trouvait que la pie était un oiseau fantastique.

— Ah, disait Martine, ah !.. Cette pie noire et voleuse… Quand j’étais encore Martine-perdue-dans-les-bois, ma mère, la Marie, m’appelait une pie noire et voleuse, parce que je fauchais tout ce qui était lisse et brillant !.. Les billes de mes petits frères… Ça me faisait un plaisir ! de les tripoter dans la poche de ma blouse… Ma mère criait : une pie noire et voleuse ! Et tous les petits frères reprenaient en cœur : une pie ! Et voilà qu’on me met une pie sur la table, la nuit de mes noces ! Crevant ![112]

— Crevant n’est pas le mot, je t’assure, mon Martinot — Daniel versait à boire — une pie, ce n’est ni crevant, ni impeccable… C’est une sorcière comme toi… Donne-moi tes petites mains Martine… Je te tiens…

Daniel tenait les mains de Martine, solidement.

A d’autres tables on se disait d’autres contes… Des couples étaient venus ici dans ces grosses voitures qui les attendaient au fond du vaste garage, brillant dans les pénombres de leur vernis impeccable, les hommes avaient de quoi se payer la voiture, la femme, et les poulets froids en gelée, et le vin délicieux. Tout était ici fraîcheur et plaisir… les femmes belles, les hommes soignés… La seule personne de mauvaise humeur était la pie. Martine et Daniel se levèrent. Une chambre minuscule, toute tapissée d’une étoffe à fleurs. La fenêtre ouvrait sur le ciel et les parfums de la nuit.

Le matin, ils découvrirent devant eux une pelouse, et plus loin, à l’infini[113], la verdure des champs… Martine à nouveau éprouva un bonheur aigu devant l’excellence du petit déjeuner, les tasses fines, les petits pots de confitures, les croissants… Et il y avait des roses sur le plateau. Martine les serra contre sa chemise, pas du nylon, de la soie pure : pour sa nuit de noces, Martine avait voulu de la soie et des dentelles…

— Dieu, ce que tu es belle ! — dit Daniel la regardant stupéfait, comme on est stupéfait, lorsqu’on se lève le matin, de la beauté d’un jardin avec les oiseaux et la rosée.

Ils allaient maintenant tout droit à la ferme familiale des Donelle pour y passer les vacances de lune de miel : après toutes les dépenses faites on ne pouvait guère en faire d’autres.

Daniel était un peu ému à l’idée d’introduire Martine dans le monde de son enfance.

Ils approchaient : la ferme isolée grandissait à vue d’oeil[114]. Rien que des murs… En pierre grise, une forteresse rectangulaire avec trois tourelles, deux rondes et une carrée. La partie du mur donnant sur la route était très haute, devenait maison, percée de quelques fenêtres et d’un portail en bois. A côté portail il y avait une porte vernie avec une plaque du cuivre : « Donelle, horticulteur ». Ils étaient arrivés.

— N’aie pas peur, mon Martinot, disait Daniel pour la centième fois, toi qui n’aimes pas le désordre…

Le portail s’ouvrit. Un jeune ouvrier très blond enleva son chapeau de paille. Il referma le portail derrière eux et disparut] dans la maison. Daniel rangea la voiture à côté de la Citroën paternelle. Les chiens aboyaient et bondissaient.

La cour était pavée, jonchée de paille, de paniers, de vieux journaux… Près du vieux puits, c’était une large mare où barbotaient des canards. Des poules suivies de poussins cherchaient leur bonheur entre les pavés où poussait l’herbe… Des chats… ils étaient couchés ici et là au soleil…

M. Donelle père était heureux d’accueillir les enfants. Dominique serra la main de Martine et dit rapidement « Soyez la bienvenue… »[115], poussant devant elle la petite Sophie qui portait un gros bouquet de roses. Cela se passait dans la Salle à manger sombre à cause de la glycine. Elle devait être humide. Les papiers peints du plafond pendaient en lambeaux. Il y avait un buffet en bois sculpté[116] et des chaises recouvertes d’un cuir sombre. Aux murs des agrandissements de photos de famille, un baromètre, et un paysage représentant un village, avec, dans le clocher de l’église une vraie petite pendule !

— Voyons, ma fille, aimes-tu le croupion ? Parce que si tu l’aimes, il est à toi, on ne refuse rien à une jeune mariée !

M. Donelle découpait les poulets d’une main de maître. Ils étaient assez nombreux à table : outre M. Donelle, Dominique et les enfants, Martine et Daniel, il y avait aussi les trois cousins que Martine connaissait du village. Martine n’aimait pas le croupion, et elle n’avait plus faim après le pâté maison[117], le saucisson et jambon maison, le melon… La tarte réconcilia Martine avec la très vieille femme bougonne qui faisait la cuisine et servait à table. On l’appelait la mèreaux-chiens, et des chiens, il y en avait !.. Ils étaient couchés autour de la table, bien élevés, sans mendier, obéissant au doigt et à l’oeil. De temps en temps on leur jetait un morceau de viande, de pain trempé dans le jus et ils ne disputaient même pas.

Les trois cousins regardaient Martine à la dérobée[118], parlaient peu. Bernard, celui qui avait aimé les Allemands, disait-on se portait à merveille. Les deux autres, Pierrot et Jeannot avec leur bonne tête ronde, ressemblaient à Daniel.

Au café, tout le monde semblait un peu absent, et avec la dernière gorgée avalée, chacun fila comme un chien détaché : le travail !.. Daniel et Martine, eux, étaient en vacances, ils pouvaient aller se reposer. Daniel avait pris le bras de Martine, il allait la mener dans la chambre, la leur, on s’était mis à table à peine arrivés, et elle n’avait encore rien vu…

La chambre de Daniel était au bout du couloir. Une grande pièce basse de plafond. Des rayonnages avec des livres… Une grande vieille table de ferme en face d’une fenêtre donnant sur les champs. Un fauteuil défoncé… Un lit d’acajou presque noir et une table de chevet du même bois. Le plancher était fait de grosses planches grises d’âge. Cela sentait très fort les roses rouges : il y en avait partout. Telle était la chambre de Daniel. Telle était la maison où il était né. Il fallait que Martine s’y plût.

Martine s’approcha de la fenêtre qui donnait sur la cour.

— J’imagine cette ferme aménagée… dit Martine, rêveuse. Elle tourna le dos à la fenêtre, vint près de Daniel.

— Tu aimes ma maison, Martine ? dit-il ému.

— Je t’aime, toi.

Il s’écarta un peu :

— Moi je n’aime pas les fermes aménagées…

Bon, c’était clair : Martine n’aimait pas la maison de son enfance. Il ne lui ferait pas partager son passé. C’était pourtant une belle maison ! Mais elle, elle aimait la « ferme aménagée » comme sur les images de la Maison Française[119] brillante et satinée. Tant pis.[120]

— Et où se lave-t-on ? demanda Martine se regardant dans la petite glace, au mur.

— Dans la cuisine, mignonne, au-dessus de l’évier, il n’y a pas de salle de bains. Il faut que je t’explique : mon père n’aime pas le confort moderne. Il y a un château d’eau[121] pour les roses, toute l’eau qu’on veut pour les arroser, et dans la maison pour nous autres, c’est toujours l’eau de puits et, si on a la pompe, c’est que Dominique, quand elle est rentrée ici avec ses enfants, après la mort de son mari, a menacé d’envoyer le linge à laver à la ville… Il y a eu un scandale. Envoyer son linge sale au-dehors, le laver en public ! Alors le père a cédé, on a eu la pompe.

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112

Crevant фам. — зд. сдохнуть можно.

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113

à l’infini — до бесконечности, насколько хватит глаз.

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114

la ferme… grandissait à vue d’oeil — ферма росла на глазах.

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115

soyez la bienvenue — добро пожаловать.

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116

en bois sculpté — из резного дерева.

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117

le pâté maison — домашний паштет.

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118

à la dérobée — украдкой.

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119

La Maison Française — иллюстрированный журнал.

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120

tant pis — тем хуже.

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121

le château d’eau — водокачка.