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Il n’allait pas pleurer tout de même. De pitié, de rage, d’énervement. Il se sentit mieux après s’être rasé. Qu’est-ce qu’il faisait, le docteur ? Voilà la porte de l’ascenseur… Daniel avait ouvert avant que le docteur eût le temps de sonner.

— Bon, fit l’autre, l’ambulance sera là dans une demi-heure… Maintenant, dites-moi : que s’est-il passé ?

Daniel emmena le docteur dans le salon en rotin, avec la porte ouverte sur la chambre de Martine, de façon à voir Martine dans son lit… Bien que le docteur ne fût guère plus âgé que lui, la trentaine à peine dépassée, Daniel avec sa bonne tête ronde et les cheveux en brosse, ressemblait à un potache[288] appelé chez le directeur…

— Ah, docteur… Ce qui s’est passé ? Nous sommes ensemble depuis une dizaine d’années, et nous nous connaissons depuis toujours… Alors, quand je lui ai annoncé que je voulais divorcer pour épouser une autre femme, elle est devenue comme folle. Cela dure depuis hier. Elle a dormi la nuit avec un somnifère. Et ça a recommencé.

Martine dormait. Le docteur sortit son stylo et se mit à poser les questions habituelles :…âge, maladies, enfants… Puis il dit qu’on allait l’emmener et lui faire un électrochoc… Ensuite, on verrait. La psychanalyse peut-être…

Il fallait habiller Martine pour la transporter. Ils s’y mirent à deux.

— Je m’excuse… — dit le docteur, tout en croisant un grand châle sur la poitrine de Martine, inconsciente, — mais c’est d’un point de vue purement esthétique… J’ai rarement vu une femme aussi parfaitement faite… Vous me pardonnerez cette remarque personnelle : c’est étrange qu’elle n’ait pas su vous retenir…

— J’ai trouvé une femme moins parfaite, dit Daniel, il faut croire que c’est ce qu’il me fallait. Ce qu’il me faut coûte que coûte.

On sonnait à la porte : c’était l’ambulance.

XXIX. LA LESSIVEUSE ROUILLÉE

Daniel est parti pour la Californie pendant que Martine était dans une « maison de repos ».

Il y avait eu des démarches à faire, l’avocat, l’avoué… Il lui fallait partir, mais Martine sortie de cet établissement, on se mettrait en rapport avec elle, et le nécessaire serait fait. Il y avait des soucis d’argent : le divorce, le prix de la « maison de santé »… Daniel ne voulait pas mêler la famille à ses affaires et l’Assurance sociale ne remboursait qu’une faible partie des frais[289]… Mais il n’allait tout de même pas mettre Martine à l’hôpital ! Finalement il avait dû s’embarquer sur un cargo, mais il serait parti à pied à travers les vagues pour rejoindre Marion.

La désapprobation autour de lui était générale. Il avait communiqué à M. Donelle père et à Dominique son intention de divorcer et de se remarier et tout d’abord il avait rencontré chez eux la discrétion habituelle. A peine les avait-il vu ciller à l’annonce que sa future femme était une étrangère. Martine ne comptait pas pour eux depuis longtemps, elle n’était pas entrée dans la famille des roses, mais la nouvelle de sa maladie leur avait fait une impression pénible. Dominique avait les yeux pleins de larmes.

Quant à M’man Donzert, Cécile, M. Georges, ils le considérèrent évidemment comme un monstre, comme un assassin… On lui avait dépêché Pierre Genesc[290] pour lui parler d’homme à homme… Ce n’était pas un bon choix, car si M. Georges souffrait pour Martine et désapprouvait Daniel avec toute la violence dont il était capable, Pierre Genesc en parlant à Daniel fût plutôt de son côté…

— Martine est une sœur pour Cécile, et elle m’est déjà chère par là, disait-il, assis avec Daniel au « Café de la Paix »[291] ou il lui avait donné rendez-vous, — je connais ses qualités, mais elle m’a toujours incommodé, imaginez-vous… C’est une femme rangée, sérieuse, mais je suis très sensible sur tout ce qui chez une femme peut devenir emmerdant pour un homme… Entre nous, cher ami, je vous comprends fort bien. Martine a toujours eu quelque chose d’inquiétant… Ne le prenez pas mal, mais elle a un côté sorcière, malgré, je dirais même à cause de sa grande beauté… Je me suis toujours méfié d’elle.

Daniel ne disait rien. Devant ce Pierre Genesc et ses yeux bleus, il était du côté de Martine, ce qui ne changeait rien, mais le rendait malheureux. Il avala son whisky sans, dire un mot, appela le garçon : « Vous m’excuserez, Monsieur, j’ai des choses à régler avec mon départ. »

— Il n’y a rien à faire, — racontait Pierre Genesc à sa femme qui l’attendait impatiemment, — un mur ! Martine n’a rien à espérer, et je t’assure, ma chérie, cela vaut mieux qu’ils se séparent… entre ces deux-là, ça ne pourrait que mal finir.

Cécile se mit à pleurer. Elle était profondément malheureuse pour Martine. Et dire que personne ne pouvait la voir, et Dieu sait ce qu’on lui faisait là-bas, dans cette « maison ». On ne permettait pas de lui porter une douceur, d’aller l’embrasser comme une malade ordinaire. Et qui sait, peut-être Daniel la faisait-il séquestrer pour aller rejoindre sa poule[292].

— Ne dis pas ça, ma chérie, tu sais bien ce que nous a dit le docteur Mortet, elle est folle à lier !

— Mais il n’a jamais dit ça, voyons, Pierre ! Il a dit qu’elle a eu un choc, et que cela allait se passer…

— On ne va pas se disputer ! un choc qui l’a rendue folle à lier, et cela va se passer, on est d’accord…

Ils allèrent embrasser le bébé dans son berceau. Il ou plutôt elle, était aussi blonde que sa maman, impossible d’imaginer quelque chose de plus tendre, de plus touchant…

— Ma pauvre Martine ! Ah, elle n’a pas eu son dû[293] dans ce monde…

Cécile pleurait au-dessus du berceau, sur l’épaule de son mari.

Martine était revenue de la « maison de santé » et avait repris son travail. Elle était si calme, si pondérée et exacte que les bruits qui avaient couru sur sa maladie s’éteignirent rapidement. On qualifiait même de risible ces potins ! Son mari ? Eh bien quoi, son mari, il est en Amérique pour ses affaires, et après ?[294] La mystérieuse maladie ? Mais une fausse-couche bien sûr ! Martine penchée sur les mains féminines, faisait son travail, remplaçant la conversation par un rapide sourire, lorsque les yeux de la cliente rencontraient les siens.

Elle laissa partir sa voiture dont les traites n’étaient pas payées depuis plusieurs mois, sans montrer ennui ou regrets. Elle ne s’opposait plus au divorce, et n’avait demandé à l’avocat de Daniel qu’une seule chose : qu’on ne le rendît pas public immédiatement. Lorsque Daniel serait de retour en France avec sa nouvelle épouse, on verrait bien. Elle exposa tout cela très posément à son avocat.

Martine reprit ses parties de bridge, mais ne jouait que rarement et jamais chez elle. Pour sortir elle gardait son apparence habituelle, soignée, parfumée, et personne n’aurait pu se douter de la saleté qui régnait derrière la porte de son appartement, fermé à tout le monde. Elle ne vidait pas la boîte à ordures, ne lavait pas la vaisselle, ne changeait pas les draps. C’était sa vengeance. Sur qui s’exerçait-elle ? Personne ne pouvait le sentir.

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288

un potache (фам.) — школьник.

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289

l’Assurance sociale ne remboursait qu’une faible partie des frais — социальное страхование возмещало лишь небольшую часть расходов.

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290

on lui avait dépêché Pierre Genesc — ему подослали Пьера Женеска.

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291

Café de la Paix — одно из наиболее фешенебельных кафе Парижа.

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292

poule (фам.) — любовница.

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293

elle n’a pas eu son dû — зд. не повезло ей.

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294

et après ? — зд. ну и что?