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Par quel point essaierait-il d'entrer dans la ville ?

Éloi Macollet savait que le « donné » avait une petite concession à Lévis bâtie d'une maison. On pouvait supposer que, venant du sud, il commencerait par s'y arrêter. Il ignorait sans doute que le Père d'Orgeval ne résidait plus à Québec.

Le vieux coureur de bois décida d'aller rendre visite à son fils et à sa bru et de leur recommander de surveiller la demeure de Pacifique Jusserant, qui était dans leur voisinage.

L'essai de réconciliation que le vieil entêté avait eu avec sa famille à Noël s'était soldé par un échec. Son fils qui était déjà un homme de près de quarante ans, bon corroyeur de son métier, mais indolent, peu causant, grand, gros et lourd, n'avait jamais eu des rapports très amicaux avec ce père auquel il ressemblait si peu. Sa femme lui menait la vie dure. C'est elle qui tenait la ferme.

Pour faire plaisir à Mlle Bourgeoys, Macollet s'était rendu à Lévis pour passer Noël avec eux. Parti avec le ménage ouïr la messe de minuit en une petite chapelle de paroisse sur la côte de Lauzon, il y avait rencontré une veuve de ses anciennes connaissances qui avait deux filles attrayantes et il s'était laissé entraîner à venir réveillonner chez elles. Vexée, sa bru, le lendemain, avait refusé de lui ouvrir sa porte. La chose s'était envenimée par la suite, l'une des filles s'étant trouvée enceinte hors du mariage et Sidonie Macollet avait répandu le bruit que c'était des œuvres de son beau-père. Éloi Macollet haussait les épaules :

– C'est à la mère que je fais la cour.

Macollet passa outre à ce mauvais souvenir.

– Tant pis si elle crie, la Sidonie ! Il faudra bien qu'elle obtempère. Je ne peux pas rester à faire le guet là-bas pendant que Pacifique va peut-être s'amener par un autre côté.

Il se rendit à Lévis, se disputa avec sa bru, alla rôder dans les environs de la maison de Pacifique Jusserant dont on n'apercevait derrière l'amoncellement des neiges que le filet de fumée, trahissant la présence des gardiens, et revint après avoir fait à son fils et à Sidonie des recommandations draconiennes.

Un réseau de surveillance s'établit. Il fallait autant que possible éviter que le messager n'atteigne Québec.

Si jamais il y parvenait, bon nombre de guetteurs aux yeux aiguisés, et qui pouvaient le reconnaître, se chargeraient de l'empêcher d'atteindre l'évêché.

– Les caves ? suggéra quelqu'un.

On mit sous surveillance les maisons dont les caves avaient communication avec celle du Séminaire.

Il ne pourrait pas franchir le filet.

Après quelques jours, la tension se relâcha. Une forte tombée de neige resserra la sensation d'isolement. Le verrou du désert blanc parut se refermer avec plus de rigueur encore. Des petites tribus de chasseurs algonquins apportèrent à l'Hôtel-Dieu leurs vieillards épuisés par le froid. Eux-mêmes s'installèrent aux abords de la ville. Ils n'avaient plus la force de chasser. La neige, molle et tombée en trop grande quantité, rendait exténuantes les étapes quand le village décabanait à la recherche du gibier devenu rare. On commença à parler de famine.

*****

Pâques furent là. Pâques en Canada n'étaient jamais fleuries.

Le Vendredi Saint, l'intendant Carlon, représentant le gouverneur Frontenac et accompagné de quelques principaux du gouvernement, vint à l'Hôtel-Dieu distribuer le bouillon aux malades et laver les pieds des pauvres.

Touchante cérémonie remontant aux anciens rois et empereurs chrétiens désireux de s'incliner au moins une fois l'an devant le Roi des Rois et ceux qu'il aimait de prédilection : les pauvres.

Durant cette période de hargne et de chicane, qui marquait la fin du carême, la sérénité et le caractère égal de Mme de Castel-Morgeat furent pour toute la ville un sujet d'édification. Et les dames de la Sainte-Famille, navrées de sentir parfois sous les coups de la fatigue leur résistance morale fléchir dans ce domaine de la charité et de la douceur, devaient s'incliner devant celle qu'elles avaient, non sans raison, tant décriée.

– Sabine est un ange, disaient-elles. On se demande où elle puise sa force.

Elle souriait à demi, cachant on ne sait quelle inexprimable joie. Parfois quand elle se trouvait seule dans son appartement du château Saint-Louis, elle prenait entre ses paumes une petite coupe en or massif représentant un coquillage et dont le pied était formé par le groupe composé et merveilleusement ciselé d'une tortue incrustée d'écaillé et d'un lézard de jade vert.

Elle contemplait l'objet merveilleux, le chérissait et le baisait, trouvant à le tenir entre ses mains, à poser contre l'or sa joue, cette force que ses amies lui enviaient et qui lui permettait désormais de tout traverser, de tout vivre.

Quelques jours après ce qui s'était passé entre elle et M. de Peyrac, il lui avait fait porter ce bibelot d'origine italienne et d'une grande valeur. Dans le coffret de cuir doublé de velours, elle y trouva une étiquette d'une encre plus ancienne : Pour Madame de Castel-Morgeat. Les larmes de Sabine tombèrent sur l'or incorruptible qu'elle serrait contre son sein avec ferveur. Quelle signification devait-elle lire derrière son geste ? Que contenait encore la petite coupe italienne ? Un pardon ? Un adieu ? Elle n'osait se dire dans son humilité : un remerciement galant.

Elle conserva aussi la lettre, la relisant, posant ses lèvres sur les lignes, la signature prestigieuse, envoûtante, puis comprenant qu'elle risquait de réveiller et d'entretenir en elle d'inutiles espérances et qu'elle se faisait du mal, elle la brûla.

Chapitre 69

Avril était là, déjà entamé. Pas de nouvelles du messager, le guet ne se relâchait pas.

La seconde fois que le nom de Pacifique Jusserant se trouva prononcé, confirmant que leurs pressentiments étaient justes et que c'était bien lui le messager annoncé à l'Évêque par d'Orgeval, ce fut par le plus imprévu des revenants.

Un vent aiguisé râpait la surface de la neige. Une femme de la Basse-Ville, selon une coutume de sa province d'origine, balayait soir et matin son seuil pour en chasser les esprits. Un matin, elle y versa un grand seau d'eau pour faire bonne mesure. Le marquis de Ville d'Avray vint à passer par là, glissa sur cette patinoire, tomba et ne put se relever.

Angélique, appelée d'urgence, le trouva au Navire de France, entouré de ses amis dont il avait fait convoquer aussitôt le ban et l'arrière-ban. Si l'on considère qu'il n'était pas facile par ces jours de verglas de se déplacer dans Québec et si l'on constatait l'importance de la foule qui envahit en un temps record l'auberge de Janine Gonfarel, il fallait reconnaître que le marquis ne se vantait pas lorsqu'il assurait être très aimé et avoir beaucoup d'amis.

Tous étaient là y compris son préféré, le rude et bourru Lieutenant de Police civile et criminelle Garreau d'Entremont.

Ville d'Avray le prit à partie.

– Vous voyez ce qui arrive avec vos ordonnances que vous ne pouvez pas faire respecter. Des rues où l'on se fait renverser par les traînes des garnements.

– Vous avez été renversé ?

– Non ! Mais j'aurais pu l'être.

Les Acadiens, sortis de leurs cercles secrets, étaient là pour entourer leur gouverneur.

On s'écarta devant Angélique, avec autant de respect que de foi comme si elle avait pu, d'un coup de baguette magique, le remettre sur pied.

De sa visite à la Prévôté où elle avait vu le livre Malleus maleficarum, bible destinée à confondre les sorcières, Angélique avait gardé l'arrière-pensée que le Lieutenant de Police l'avait convoquée pour lui reprocher ses activités de guérisseuse. Aussi fut-elle ennuyée de voir Garreau d'Entremont au chevet de Ville d'Avray.

– M'autorisez-vous à le soigner, Monsieur le Lieutenant de Police ? lui demanda-t-elle tout à trac.