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San-Antonio

Y en avait dans les pâtes

Roman extrêmement policier

Au génial Philippe Geluck qui nous prouve que l’homme est un chat pour l’homme.

Son ami,

San-Antonio

Il est facile de pleurer avec un con.

Mais rire avec lui est impossible.

San-A.

AVANT-PROPOS

TOUT À FAIT HORS DE PROPOS

Un individu qui naît à la mort s’appelle un cadavre et n’a absolument plus rien de commun avec l’être vivant qu’il a été. Il a beau conserver ses traits, pendant un certain temps du moins, il est devenu « autre chose » ; plus exactement, il a cessé d’être « quelqu’un » pour devenir « quelque chose ». Il ne lui reste plus qu’un volume et un poids, c’est-à-dire les deux éléments les plus sots du monde quand la vie ne les anime plus !

Pach hésita, puis il inscrivit la date du jour au bas de cette note et revissa le capuchon de son très vieux stylo à pompe. Le bec fendu de la plume or s’était disjoint à l’usage, aussi Pach écrivait-il tantôt avec un coin du bec, tantôt avec l’autre, comme un skieur faisant la godille.

Il recula son siège de la commode-bureau, style Louis XIII, dont la partie supérieure était surchargée de cahiers d’écolier qu’il avait lui-même remplis de son écriture ancienne, penchée et pointue, marquée de pleins et de déliés.

Il croisa les jambes et contempla le corps de la femme étendue sur la moquette. Elle avait un oreiller sous la tête, et ses cuisses dénudées, largement ouvertes, laissaient voir le revolver engagé dans son sexe, revolver avec lequel on lui avait tiré six balles dans les entrailles.

Pach se demanda de quelle manière il allait faire disparaître le cadavre. Cette question-là ne lui venait jamais « avant ». Il se comportait comme si « rien de spécial » ne devait se passer. C’était seulement « après » qu’il se trouvait aux prises avec l’angoissante question.

Jusqu’alors, il avait toujours solutionné le problème de façon astucieuse.

Il avait confiance en lui et en son étoile.

CHAPITRE PREMIER

SÛR DE LUI ET DOMINATEUR

Il a l’air dérouté d’un violeur qui banderait mou. Des boutons à tête blanche plein la gueule. Une qui souhaiterait malgré tout l’embrasser (sa vieille moman par exemple) aurait du mal à déterminer un emplacement disponible, tellement que ça bubonne sur sa frime ! Quel âge peut-il avoir ? La trentaine ? Il a un côté branleur ou toucheur de petites filles, ce qui n’incompate pas. Il porte une veste à gros carreaux, un peu clownesque car elle est trop ample pour lui, un pantalon de coutil beige, des baskets, une chemise en jean bleu délavé. Il a un diamant à l’oreille qui a l’air d’être un bouton de plus, mûr jusqu’à étinceler.

Il se tient tassé sur la chaise des « clients », face au burlingue de Bérurier sur lequel traînent des canettes de bière vides, des peaux de sauciflard, des croûtons de pain, des noyaux d’olives, des couvercles de boîtes à camembert, des coquilles d’œufs, un restant de rillettes, des coques de cacahuètes, un talon de soulier, des boîtes de sardines, une culotte de femme, d’occasion, un revolver à barillet (acheté à Grédy), et les œuvres complètes d’Anatole France plus ou moins enduites de moutarde Amora extraforte.

Le Gros a pris ses distances par rapport à son burlingue et garde les mains croisées sur son durillon de comptoir. Son chapeau rejeté en arrière découvre le front taurin où est collée une mèche courte et clairsemée.

En me voyant, il murmure à son terlocuteur :

— Hé, mec, t’es une v’dette : le direqueteur qui s’ dérange personnell’ment en personne !

Le boutonneux me coule un regard de rat malade bloqué dans une nasse perfide. Il a une courbette indécise qui peut passer pour un salut.

J’y réponds d’un hochement de tête et vais m’asseoir sur le canapé de cuir ravagé où Bérurier-le-Grand a tiré tant et tant de coups que du foutre séché subsiste dans les accrocs. Du geste, j’indique à Sa Majesté de poursuivre son interrogatoire.

Le Mastard se lève, pète sec, ce qui est rarissime chez ce dodu. Tu sais, la louise péremptoire, qui n’admet aucune objection.

Il me dit, désignant le scrofuleux :

— J’te remercille d’viendre. C’ gonzier, c’t’un cas dont j’voudrerais ton avis à propos duquel.

Il est passé derrière son client et lui allonge une tatouille sur la nuque.

Il s’en excuse :

— Habituell’ment d’ordinaire, j’aime pas cogner su’ la nucle, mais comment voudrais-tu-t-il mett’ des baffes dans une pareille tarte aux fraises ! T’as la ch’touille ou quoi, mon gars, pour charrier une frite commak ? C’est pas normal, à ton âge. Ou alors tu serais encore puceau ?

L’interpellé hoche misérablement sa tête ravagée.

Béru me prend à témoin :

— Pour l’interroger sérieus’ment, j’vais mett’ des gants : j’ai pas envie d’m’ furonculer ! Ou alors, j’l’travaille à la savate ; mais ça m’oblige à l’ver les quilles !

Il est perplexe.

Le gars à la bouille daubée n’en mène pas large.

— Tu connais l’histoire d’ c’môssieur ? demande le Gravos.

— Pas encore.

— Il est dillinger.

Là je renâcle des méninges.

— Dillinger, l’ancien ennemi public américain ?

— Non, lui y vend d’la drogue.

— Tu veux dire « dealer » ?

Il renfrogne.

— J’veux dire c’qu’j’veuille dire. Et sais-tu à qui est-ce qu’il la fourgue, sa came, c’crapaud pourri ? Aux mômes des lycées !

Une vague de répulsion me submerge. Je comprends qu’on ait envie de massacrer ces empoisonneurs de la jeunesse.

Je suis décidé à marquer mes nouvelles fonctions de directeur de la Police[1] en renforçant la lutte contre les trafiquants. Rien de plus abject que de s’en prendre à ces petits « clients » sans défense et de les pousser sur la pente fatale.

— Pas vrai ? insiste Béru à l’oreille du très vilain.

Il a hurlé comme la corne de brume d’un navire et ponctué d’un coup de genou contre la cuisse du gars.

— Exact ! laisse tomber piteusement ce dernier.

J’interviens :

— Comment se fait-il que tu t’occupes de cette affaire, Alexandre-Benoît, tu n’appartiens pas à la brigade des Stups, que je sache ?

Il hausse les épaules.

— J’m’en occupe parce que l’histoire de ce foie-blanc se complique, chef-lieu Ajaccio[2]. C’est mes collègues de la neige qu’a fait t’appel à moive. Ils filochaient c’ t’enfoiré d’puis un bout d’temps. C’morninge, ils l’ont serré à promiscuité du lycée André Sarda. Ce taré s’déplaçait en voiture : une vieille tire ricaine déglinguée. Quand y z’ont z’ouvert l’coffiot, t’sais ce dont ils ont découverte à l’intérieur ? Une femme morte ! Et t’sais d’quelle manière elle avait été butée, la pauvrette ? On y avait balancé un chargeur de 9 mm dans la chatte ! Du 9, t’entends ? L’calibre de l’homme impitoyable.

— Ce n’est pas moi ! s’écrie le dealer.

Béru, qui est en train de fouiller les innommables tiroirs de son burlingue, pousse un cri de triomphe.

— Les v’là. J’savais qu’j’en avais !

Il brandit une paire de gants de caoutchouc vert sortis on ne devine d’où ! C’est un des nombreux mystères de la vie secrète d’Alexandre-Benoît Bérurier.

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1

Lire coûte que coûte (mais ça ne coûte pas cher) Le silence des homards, œuvre prodigieuse dans laquelle tu apprendras pourquoi et comment San-A. accède à ce poste suprême, bien qu’il n’en ait guère envie.

San-A.
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2

Pour apprécier le jeu de mots il faut savoir que, d’ordinaire, au lieu de dire « parce qu’elle se complique », Béru dit « parce qu’elle se corse ».