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— Vous m’avez droguée ? balbutia-t-elle, tournée vers Mme Pach.

Cette femme constituait pour elle un espoir. Elle songeait que le proviseur assassin n’oserait jamais la trucider en présence de son épouse. Qui sait, peut-être arriverait-elle à amadouer celle-ci ?

— Droguée est excessif, répondit l’interpellée. Je vous ai juste administré un calmant. Détendez-vous.

Elle demanda, tournée vers son mari :

— Elle te plaît, Louis ?

— Beaucoup ! avoua-t-il. On dirait une jeune fille.

— Tu veux la prendre sur le canapé ou dans la chambre ?

— Dans la chambre, c’est plus confortable.

— Alors, allons-y ! dit-elle avec entrain.

Ils saisirent Marie-Marie chacun sous une aisselle, l’obligeant à se lever, puis à marcher. Elle tenta de regimber, mais elle était sans force et presque sans volonté ; à peine parvenait-elle à mettre un pied devant l’autre.

Au fond du vestibule, il y avait la chambre à coucher du couple. Très exotique. Elle comprenait un lit ouvragé, à longues colonnes semblables à des cierges de bois torsadé, sur lequel on avait jeté un couvre-lit du genre poncho, aux couleurs pimpantes. Un sombrero de fête s’étalait sur un mur blanc, des statuettes incas et des instruments de musique recouvraient le marbre d’une commode.

Marie-Marie prit vaguement conscience de ces choses avant que le couple ne la propulse sur le lit où elle tomba, la face en avant. Le couvre-lit de laine lui donna envie d’éternuer. Elle resta là, inerte, privée de toute énergie. C’est tout juste si elle sentait la main du proviseur qui retroussait sa jupe pour aller saisir l’élastique de son slip.

— Non ! cria-t-elle.

— Chut ! fit la femme, soyez sage ! D’ailleurs vous avez de la chance, Louis fait très bien l’amour, vous verrez.

Marie-Marie sentit que son visage était trempé de larmes.

— Antoine…, soupira-t-elle. Oh ! Antoine…

— Cet Antoine, c’est l’homme que vous aimez ? questionna Mme Pach.

D’une voix mourante, elle répondit que « oui ».

— Il a de la chance. Faut-il qu’il vous inspire un sentiment profond pour que vous profériez son nom à cet instant, reprit la femme brune. Généralement, c’est sa mère qu’on invoque avant de mourir.

Marie-Marie, d’une détente, se plaça sur le dos et demanda, presque posément :

— Mais enfin, pourquoi voulez-vous me tuer ? Etes-vous sadiques, tous les deux ? Vous n’en avez cependant pas l’air !

— Vous êtes psychologue, répondit la femme du proviseur. Effectivement, ce n’est pas par plaisir que je tue des femmes.

— Ah ! parce que c’est vous qui…

— C’est moi !

Mme Pach ouvrit un tiroir de la commode pour y prendre un revolver à barillet au canon long. Elle en sortit également une petite bande de sparadrap qu’elle se mit à entortiller autour du canon pour lui donner de l’épaisseur ; elle gaina le tout d’un préservatif lorsqu’elle eut achevé de l’emmailloter.

Pendant qu’elle s’activait, à gestes experts, son mari continuait son manège. Il avait arraché la culotte de Marie-Marie et passait lentement le tranchant de sa main contre son sexe. Pach semblait perdu dans une hypnose infinie. De sa main libre, il accusait le renflement de son pyjama. Marie-Marie se tordait sous la caresse, mais la drogue qui circulait dans ses veines sapait ses forces et sa volonté.

Mme Pach vint s’asseoir sur le lit, tout contre elle. Elle tenait le revolver par sa crosse ; l’arme ressemblait maintenant à un phallus grossièrement reproduit.

— Vous êtes adorable, assura-t-elle. Mon époux va prendre un plaisir fou avec vous. C’est un jouisseur délicat ; vous verrez, il a des manières exquises.

Marie-Marie se mit à pleurer, sans bruit. Elle maudissait ce besoin d’épate qui l’avait incitée à poursuivre seule l’enquête. Elle allait connaître une mort atroce pour avoir voulu éblouir « son » Antoine.

— Je suis mexicaine, déclara brusquement « l’épouse ».

Elle annonça la chose comme si elle devait « éclairer » la situation.

— Ma famille a pas mal de sang indien dans les veines et, bien que nous pratiquions la religion catholique, nos véritables croyances sont ailleurs. Il existe chez nous des traditions, des coutumes qui constituent l’armature de notre existence. Mon mari qui est un homme à l’esprit ouvert, l’a bien compris et je ne trouverai jamais adepte plus convaincu, n’est-ce pas, Louis ?

Pach ne put répondre car il avait enfoui sa tête entre les cuisses larges ouvertes de sa victime et l’embrassait passionnément.

— Voici quelques années, reprit l’épouse, j’ai contracté un cancer de l’utérus dont on m’a opérée malgré mes réticences. Il était sûrement trop avancé pour guérir grâce à l’intervention ; des métastases s’étaient propagées et l’on décida de me traiter à la chimiothérapie. Cette fois je refusai, préférant mourir avec mes cheveux que de végéter chauve. Pour un homme, la chose est banale. Une tête rasée confère même du charme. Mais pour une femme, il s’agit d’une réelle mutilation. C’est alors que je décidai de retourner dans mon village mexicain pour rendre visite à un sage de grand savoir, réputé pour les guérisons miraculeuses qu’il obtient par des méthodes très spéciales. Vous me suivez ?

Marie-Marie fit un signe qui pouvait passer pour affirmatif. Les manigances amoureuses de Pach la laissaient insensible ; elle avait l’impression de subir une intervention chirurgicale sous péridurale. Elle se rendait compte de tout mais n’éprouvait rien. Il ne restait de place en elle que pour l’effroi.

— Mon sage, ou « sorcier », si ce mot fourre-tout vous convient mieux, m’indiqua le dur prix de ma guérison : faire mourir une femme en la frappant là où résidait mon propre mal. Au début, j’étais terrifiée, mais mon cher mari me convainquit qu’il fallait obéir. C’est une prostituée anonyme de Mexico qui subit l’holocauste. Effectivement, je ressentis un bien-être immédiat et nous revînmes en France. J’étais à peu près guérie. Je me croyais délivrée.

« Hélas, deux ans plus tard, mon mal récidiva. Nous habitions Bourg-en-Bresse alors. Louis me déclara qu’il me fallait renouveler le « traitement », si j’ose dire. Il se mit en quête d’une victime expiatoire. Les prostituées constituent une sorte de réserve idéale pour cela. On peut les entraîner n’importe où et leur mort ne déclenche ni la passion populaire, ni l’intérêt des médias. A la suite de cette deuxième « opération », j’eus une nouvelle rémission. Dans ces périodes de salut retrouvé, je peux de nouveau faire l’amour avec Louis. C’est un garçon ardent, à l’appétit aiguisé, comme vous pouvez vous en rendre compte en ce moment. Pour le calmer, quand je suis indisponible, il doit avoir recours aux professionnelles.

« Lorsque après sa mutation au lycée Christian Rouvidant de Lyon[19] mon cancer refit des siennes, nous dûmes recommencer. Chaque fois qu’une femme périt de ma main, de la manière que vous savez, j’obtiens un répit d’un ou deux ans. Grâce à la mort de la dernière fille, je vais attaquer une période faste, aussi votre disparition n’est que prudence de notre part. Vous vous êtes montrée trop perspicace, mademoiselle. Sitôt que mon bien-aimé Louis se sera soulagé avec vous, nous en terminerons. Je viderai le contenu de ce barillet à l’intérieur de votre corps, puis j’irai faire un tour en ville pendant que mon cher mari s’occupera de votre cadavre. C’est son lot, à lui. Il est bourré de jugeote.

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19

Christian Rouvidant, l’un des plus grands maîtres de la cuisine française, à l’instar de Brillat-Navarin. On lui doit, entre autres : le pot-au-feu de testicules de bœuf aux cornes d’escargots, la branlette de haddock à la langue fourrée, et la tarte aux poils nappée d’un granité de foutre.