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Il rentre la lame de son lingue, l’enfouille.

— Bon, quand est-ce qu’on va au bagne ? me demande-t-il. Là, y a flagrant délit, et quel !

Je défrime les quatre Maghrébins.

— La loi du talion n’est pas reconnue par les tribunaux, murmuré-je.

— On s’en doute, ricane Ben Kalif.

— Cela dit, tu as buté deux criminels qui avaient zingué ta gagneuse et ça te vaudrait de larges circonstances atténuantes.

— Sympa.

Je volubilise :

— Voyez-vous, les gars, moi je vois les choses de la façon suivante…

Je serre fort Marie-Marie contre moi. Marie-Marie humiliée à jamais ; Marie-Marie meurtrie dans sa chair et dans son cœur. Putain, ce que je l’aime, ma pauvre petite violée. Je voudrais la guérir de sa souillure, comme dirait Robbin-Grillet-des-Bois ! Un coup de bite, c’est si important, tu crois ?

— Je vois les choses de la façon suivante, répété-je. Tu essuies cette putain de crosse et tu mets l’arme dans la main du mec. Ensuite tu essuies le manche de ta rapière et tu le places dans celle de la gonzesse. Et puis tu emmènes tes potes bouffer un couscous du côté de la Bastoche. Quant à moi, nouveau grand chef de la Police, je me démerde… Je vois pas bien encore comment, mais je me démerde. C’est tiré par la tignasse comme mise en scène, mais on fera avec. Y a eu pire. Bravo pour ta perspicacité, Ali. T’es sûr que tu veux rester malfrat ? Je trouve que tu as des dons pour devenir perdreau. En tout cas merci d’avoir sauvé la vie de ma souris. Qu’Allah te garde !

CHAPITRE QUINZE

ET DERNIER

Notre arrivée à Saint-Cloud flanque une effervescence terrible dans le Landerneau. Ce voyou de Toinet gambade et maman a le regard humide de soulagement.

Avant de passer le seuil, je dis à la Musaraigne :

— Tu sais, môme, ce qui t’est arrivé ce soir, faut pas t’en faire un frometon, c’est un incident de parcours. Je connais d’éminents royco qui ont été sodomisés par des truands, en représailles, et qui racontent la chose à la veillée, en se marrant. Quand tu auras pris un bon bain, tu viendras me rejoindre dans ma chambre. On ne causera peut-être pas, mais on fera.

Elle m’embrasse.

Liesse !

Tu veux que je te fasse poiler ? M’man fait réchauffer sa choucroute et alors, là, oui, on s’en emplâtre une brouettée chacun. C’est toutes les nuits réveillon, chez Félicie, quand son grand est là !

Le lendemain matin, à peine réveillé, je me mets à caresser le mignon fessier de ma Merveilleuse. Elle a la peau plus douce que du velours, pour user d’une image forte ! La peau de ses cuisses, à l’intérieur, c’est le pur enchantement. Tu ne peux vraiment toucher ça qu’avec la langue : tes doigts sont trop frustes pour apprécier pleinement.

Alors bon, c’est ce que j’entreprends. Une chose en amenant une autre, en quelques instants, me voilà à brouter le gazon ! Là, elle biche, Bibiche ! Mon pote Carlos me répète toujours que la différence qui existe entre une minette et un vol en aile delta c’est la vue, n’empêche que je préfère cette vue-là à la chaîne des Alpes !

Je m’en suis expliqué dans la conférence du professeur Alain Chevallier (de la faculté gynécologique de Bouffémont) : il n’existe pas de minette sérieuse sans doigts en fourche.

Donc, doigts en fourche, agréés par le Conseil Constitutionnel. L’apothéose ! Y a qu’une bouteille d’Yquem qui puisse rivaliser.

Au bout d’un temps que je n’ose chiffrer, Marie-Marie a, sinon oublié, du moins surmonté la cruelle épreuve de la veille.

Là-dessus (si je puis dire), m’man me hèle pour le téléphone. MM. Blanc et Mathias qui m’appellent depuis Berne.

Les chéris ! J’ignore de quelle manière ils s’y sont pris (« On, peut pas te raconter ça par téléphone, directeur ») mais ils se sont fait ouvrir ce que Bérurier nomme « La caserne d’Ali Baba ».

Blanc me dit :

— Je ne pensais pas qu’on puisse concentrer autant de dollars, de deutschemarks, de francs suisses et de lingots dans un espace aussi restreint. A première vue, je crois que j’avais deviné juste, Antoine, on a mis la main sur le « Carnet Ecureuil » de puissants trafiquants. Tu es d’accord pour qu’on poursuive l’enquête ?

— Et comment ! Ramenez un max de détails qu’on puisse serrer les correspondants européens !

— Du nouveau pour le tueur de putes ?

— Je ne peux pas te raconter ça par téléphone, le parodié-je.

Je raccroche, tout guilleret. J’appelle m’man, Toinet, Marie-Marie. Ils accourent, encuriosés.

— Vous savez ce dont je viens de m’apercevoir ? leur lancé-je. Nous sommes vendredi. Ce soir je vous emmène en week-end à Deauville pour aller massacrer des langoustes.

— Pourquoi ce soir seulement ? objecte Toinet. Pourquoi qu’on part pas tout de suite ?

Jamais content, ce môme !

— Parce que tu as école jusqu’à quatre heures, eh, Tête de nœud !

Pour lui, c’est pas un argument valable.

Pas très correct. Je m’annonce chez elle à douze heures quarante : « Les Platanes » à Suresnes. Un vague projet de luminosité, qu’on ne peut appeler soleil, joue sur le toit de la maison. Une petite souillon portugaise vient m’ouvrir. Elle me dit « qué voui, lé doctor esté là, ma elle esté à tablé ».

Je lui montre ma jolie carte. Bon, dans son dialecte, faut un « a » à la fin, mais « Police » avec un « e », elle comprend tout de même. Et c’est pourquoi je suis introduit dans la salle à manger sans plus barguigner.

Mon cœur se crispe, si tu savais. Objets inanimés avez-vous donc une âme ? Ces radis dans un ravier racontent mieux que quiconque la tragique solitude du docteur Desanges, et plus qu’eux encore la cuisse de poulet froid qui attend son tour. Une boutanche de Volvic complète le festin. Pas de pain, tu connais les gonzesses…

— Je sais que je vous importune, murmuré-je, mais ma visite était nécessaire car je vais partir en voyage et tenais à vous voir auparavant. Continuez votre repas, de grâce.

Elle a un bref haussement d’épaules et joint ses doigts croisés sous son menton. Un repas, qu’en a-t-elle à fiche maintenant qu’elle n’a plus de raison de vivre ?

J’ouvre l’enveloppe de papier kraft que je viens de retirer de ma pelisse.

— Vous voulez bien jeter un œil à son contenu, docteur ?

Elle l’ouvre, surprise, et en tire un portrait robot, format carte postale.

Elle examine le dessin sans comprendre.

— Je parie que vous ne reconnaissez pas le sujet ? demandé-je.

— Non, en effet.

— C’est toujours comme ça, docteur. On ne se reconnaît jamais sur une peinture ou un dessin.

Elle tressaille.

— Comment ! Vous voulez dire que c’est moi, ça ?

— Pour moi, oui. Parce que j’ai l’œil, l’habitude aussi de déchiffrer ce genre de document. Mais je comprends qu’il soit lettre morte pour vous.

— Où l’avez-vous trouvé ?

— Je ne l’ai pas trouvé : je l’ai fait exécuter par l’un de nos meilleurs spécialistes.

— Je nage totalement, monsieur le directeur, assure-t-elle avec sincérité.

Je lui souris.

— Un premier portrait robot avait été réalisé d’après les indications des employés du garage Labielle. Il représentait un homme affublé du bric-à-brac de postiches habituels. Néanmoins tel quel, il me faisait songer à une femme. Alors j’ai prié mon technicien de l’imaginer en femme. Et voilà le résultat : c’est vous, docteur !

Elle dépose l’image à quelques centimètres de sa cuisse de poulet. Pas appétissant, ce pilon. La peau en est grisâtre et fripée, la chair blanche. La bestiole a été gavée d’hormones, c’est évident. On se nourrit de plus en plus comme des cons, mes gueux.

— Il ne restait plus qu’à procéder à l’examen graphologique du contrat de location de l’auto : c’est bien votre écriture. Quant à Georges Fromentino, dont vous avez emprunté l’identité, il est mort dans votre hôpital ; c’était vous qui le soigniez. Je pense qu’il avait oublié quelques pièces d’identité dans sa chambre. Une infirmière a dû vous les remettre, mais vous avez omis de les adresser à sa famille, si toutefois il en avait une.

— Vous êtes un très bon policier, assure doucement Mme Desanges. Je sentais que j’avais tort d’aller aux funérailles de cette canaille. Si j’étais restée à l’hôpital pendant ce temps… Notez qu’au fond, j’éprouve plutôt du soulagement. Quand on supprime les gens, fussent-ils des salauds, sans avoir vocation d’assassin, on ne peut plus vivre normalement par la suite. Je prépare une valise, ou quoi ? Dites-moi, je ne connais ces questions qu’à travers des films…

Je m’assieds en face d’elle, prends un radis et le croque. Je mange la fane avec, un toubib m’a certifié que c’était « bon pour l’organisme ».

— C’est très curieux, ce qui m’arrive, docteur, fais-je en la contemplant. Figurez-vous que l’affaire Larmiche, avec ses implications relatives au tueur de putains, et le reste, constitue ma première enquête en qualité de directeur de la Police. Je brûlais de la mener à bien en un temps record. Et puis les choses se goupillent de telle façon qu’en définitive je n’arrête personne. J’accorde ma bénédiction aux criminels. Et ce, depuis le début. On m’amène Larmiche qui fourgue de la drogue aux écoliers et trimbale une fille assassinée dans sa voiture, et je le relâche. J’arrive chez les meurtriers des prostituées au moment où un vengeur vient de les tuer assez salement, et je lui souhaite bonne chance ! Je débarque ici pour vous dire que j’ai découvert votre meurtre à vous et, au lieu de vous interpeller, comme on dit dans le jargon, j’ai envie de vous prendre dans mes bras et de vous bercer en murmurant des mots tendres. Ne devrais-je pas donner ma démission, docteur ? Peut-être que je ne suis pas un chef, peut-être que mon nouveau pouvoir me pousse à déserter ? Ou alors, il s’agit d’une mesure de grâce pour marquer mon entrée en fonction ? Comme le nouveau président de la République gracie une flopée de droits communs à son avènement ?

Elle hoche la tête. Sa voix est triste :

— Et si, simplement, au lieu de tout ça, vous faisiez passer votre conscience avant votre devoir ?

— Si je faisais cela, je ne serais plus digne d’exercer.

— Vous voyez bien, fait-elle, énigmatique.

Un long silence s’écoule. Sans y prendre garde, j’ai bouffé presque tous ses radis :

— Vous n’avez pas répondu à ma question, dit le docteur Desanges, dois-je préparer une valise ?

J’hésite un instant.

Et puis je lui réponds que oui.