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Et son bras retomba froid et sans force, et son dernier soupir fit tressaillir l'atmosphère qui pesait sur ce champ de mort…

Et cependant, poursuis, ô poète, poursuis ton désir effréné de l'idéal; cherche, à travers des douleurs infinies, à atteindre ce fantôme aux mille couleurs quî fuit incessamment devant toi, dût ton coeur se briser, dût ta vie s'éteindre, dût ton dernier soupir s'exhaler au moment où ta main le touchera.

UNE MÈRE

(CONTE IMITÉ D'ANDERSEN)

Une mère était assise près du berceau de son enfant. Il n'y avait qu'à la regarder pour lire sur sa physionomie qu'elle était en proie à la plus vive douleur.

L'enfant était pale, ses yeux étaient fermés, il respirait difficilement, et chacune de ses aspirations était profonde comme s'il soupirait.

La mère tremblait de le voir mourir, et regardait le pauvre petit être avec une tristesse déjà muette comme le désespoir.

On frappa trois coups à la porte.

– Entrez, dit la mère.

Et, comme on avait ouvert et refermé la porte, et que cependant elle n'entendait point le bruit des pas, elle se retourna.

Alors elle vit s'approcher un pauvre vieillard, le corps à moitié enveloppé, dans une couverture de cheval.

C'était un triste vêtement pour qui n'en avait pas d'autre. L'hiver était rigoureux; derrière les vitres blanchies et ramagées par le givre, il faisait dix degrés de froid et le vent coupait le visage.

Le vieillard était pieds nus; c'était sans doute pour cela que ses pas ne faisaient pas de bruit sur le parquet.

Comme le vieillard tremblait de froid, et que, depuis qu'il était là, l'enfant paraissait dormir plus profondément, la mère se leva pour ranimer le feu du poêle.

Le vieillard s'assit à sa place et se mit à bercer l'enfant, en chantant une chanson mortellement triste dans une langue inconnue.

– N'est-ce pas que je le conserverai? dit la mère en s'adressant à son hôte sombre.

Celui-ci fit de la tête un signe qui ne voulait dire ni oui ni non, et de la bouche un sourire étrange.

La mère baissa les yeux, de grosses larmes coulèsent sur ses joues, sa tête tomba sur sa poitrine. Il y avait trois jours et trois nuits qu'elle n'avait ni dormi ni mangé!

Son front devint si lourd, qu'un instant elle s'assoupit malgré elle; mais bientôt elle se réveilla en sursaut et toute glacée.

Le vieillard n'était plus là.

– Où donc est le vieillard? cria-t-elle.

Et elle se leva et courut au berceau.

Le berceau était vide.

Le vieillard avait emporté l'enfant.

En ce moment, la vieille horloge qui était pendue dans un coin contre le mur sembla se détraquer; le poids en plomb descendit jusqu'à ce qu'il eût touché le sol, et l'horloge s'arrêta.

La mère se précipita hors de la maison en criant:

– Mon enfant! qui est-ce qui a vu mon enfant?

Une grande femme vêtue d'une longue robe noire, et qui se tenait dans la rue en face de la maison, les pieds dans la neige, lui dit:

– Imprudente! tu as laissé la Mort entrer chez toi et bercer ton enfant, au lieu de la chasser. Tu t'es endormie pendant qu'elle était là; elle n'attendait qu'une chose: c'était que tu fermasses les yeux; alors elle a pris ton enfant. Je l'ai vue s'enfuir rapidement et l'emportant entre ses bras. Elle allait vite comme le vent, et ce qu'emporte la Mort, pauvre mère, elle ne le rapporte jamais!

– Oh! dites-moi seulement le chemin qu'elle a pris, s'écria la mère, et je saurai bien la retrouver, moi.

– Certes, rien ne m'est plus facile, dît la femme noire; mais, avant de le faire, je veux que tu me chantes toutes les chansons que tu chantais à ton enfant en le berçant. Je suis la Nuit, et j'ai vu couler tes larmes lorsque tu les chantais.

– Je vous les chanterai toutes, depuis la première jusqu'à la dernière, dit la mère, mais un autre jour, mais plus tard; laissez-moi passer maintenant, afin que je puisse les rejoindre et retrouver mon enfant.

Mais la Nuit resta muette et inflexible; alors la pauvre mère, en se tordant les bras, lui chanta toutes les chansons qu'elle avait chantées à son enfant. Il y avait beaucoup de chansons, mais il y eut encore plus de larmes. Quand elle eut chanté sa dernière chanson et que sa voix se fut éteinte dans son plus douloureux sanglot, la Nuit lui dit:

– Va droit à ce sombre bois de cyprès; j'ai vu la Mort y entrer avec ton enfant.

La mère y courut; mais, au milieu du bois, le chemin bifurquait. Elle s'arrêta, ne sachant si elle devait prendre à droite ou à gauche.

À l'angle des deux chemins, il y avait un buisson d'épines qui n'avait plus ni feuilles ni fleurs, car c'était l'hiver; il était couvert de givre, et des glaçons pendaient à chacune de ses branches.

– N'as-tu pas vu la Mort passer avec mou enfant? demanda la mère au buisson.

– Oui, répondit l'arbuste; mais je ne te dirai point le chemin qu'elle a pris que tu ne m'aies réchauffé à ton sein; car, tu le vois, je ne suis qu'un glaçon.

La mère, sans hésiter, se mit à genoux et pressa le buisson contre son sein, afin qu'il dégelât; les épines pénétrèrent dans sa poitrine, et le sang coulait à grosses gouttes.

Mais, au fur et à mesure que le sein de la mère était déchiré et que son sang coulait, il poussait au buisson, qui était une aubépine, de belles feuilles vertes et de belles feuilles roses, tant est chaud le coeur d'une mère!

Et le buisson, alors, lui indiqua le chemin qu'elle devait suivre.

Elle le prit en courant, et parvint ainsi au rivage d'un grand lac, sur lequel on ne voyait ni vaisseau ni barque; le lac était trop gelé pour qu'on essayât de le passer à la nage, pas assez pour qu'on pût le passer à pied.

Il fallait cependant, tout impossible que cela paraissait au premier abord, que cette mère affligée le traversât.

Elle tomba à genoux, espérant que Dieu ferait un miracle en sa faveur.

– N'espère pas l'impossible, lui dit le génie du lac en levant sa tête blanche au-dessus de l'eau. Voyons plutôt, à nous deux, si nous en viendrons à bout. J'aime à amasser les perles, et tes yeux sont les plus brillante que j'aie vus; veux-tu pleurer dans mes eaux jusqu'à ce que tes yeux tombent? Car alors tes larmes deviendront des perles et tes yeux des diamants. Après cela, je te transporterai sur mon autre bord, à la grande serre chaude où demeure la Mort, et où elle cultive les arbres et les fleurs dont chacun représente une vie humaine.

– Oh! ne veux-tu que cela? dit la pauvre désolée. Je te donnerai tout, tout, pour arriver à mon enfant.

Et elle pleura, elle pleura tant, que ses yeux, n'ayant plus de larmes, suivirent les larmes, qui étaient devenues des perles, et tombèrent dans le lac, où ils devinrent des diamants.

Alors le génie du lac sortit ses deux bras de l'eau, la prit, et en un instant la transporta de l'autre côté de ses eaux.

Puis il la déposa sur la rive, où était situé le palais des fleurs vivantes.

C'était un immense palais tout en verre, ayant plusieurs lieues de long, doucement chauffé l'hiver par des poêles invisibles, et l'été par le soleil.

La pauvre mère ne pouvait le voir, puisqu'elle n'avait plus d'yeux.

Elle chercha en tâtonnant, jusqu'à ce qu'elle en trouvât l'entrée; mais sur le seuil se tenait la concierge du palais.

– Que venez-vous chercher ici? demanda la concierge.

– Oh! une femme! s'écria la mère; elle aura pitié de moi.

Puis, à la femme:

– Je viens chercher la Mort, qui m'a pris mon enfant, dit-elle.

– Comment es-tu venue jusqu'ici et qui t'y a aidée? demanda la vieille.

– C'est le bon Dieu, dit la mère. Il a eu pitié de moi. Toi aussi, tu auras pitié de moi et tu me diras où je puis retrouver mon enfant.

– Je ne le connais pas, répondit la vieille, et, toi, tu ne peux plus le voir. Beaucoup de fleurs et d'arbres sont morts cette nuit. La Mort va bientôt venir pour les replanter; car tu n'ignores pas que chaque créature humaine a son arbre ou sa fleur de vie, suivant que chacun est organisé. Ils ont la même apparence que les autres végétaux, mais ils ont un coeur, et ce coeur bat toujours; car, lorsque les hommes ne vivent plus sur la terre, ils vivent au ciel. Et, comme les coeurs des enfants battent comme les coeurs des grandes personnes, peut-être au toucher reconnaîtras-tu le battement du tien.