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Je mets un moment avant de la reconnaître.

— Ombe ! je m’exclame sans en croire mes yeux. Les trois goths échangent un regard entendu.

— Waouh, dit simplement Romu en dévorant les pages des yeux. Tu la connais ?

— Cachottier ! beugle Jean-Lu, en me balançant une grande claque sur l’épaule. Vas-y, raconte !

— Il n’y a rien à raconter, je réponds, empourpré. C’est juste une copine qui… Enfin…

Mes amis m’observent avec intensité. Je tente de faire diversion et je m’adresse aux trois gothiques, sur un ton soupçonneux :

— Comment vous saviez que je la connaissais ?

Pour toute réponse, le second garçon sort un journal plié de sa poche et me le tend. Il y est question d’un film à gros budget utilisant comme cadre l’enceinte du lycée Pierre Bordage. Un film qui aurait mal tourné.

L’intéressant n’est pas là, mais dans les deux photos qui accompagnent l’article.

La première montre l’actrice principale devant un gros tas de terre. Actrice qui n’est autre qu’Ombe !

La suivante, sous-titrée : « Idylle avec un rocker », nous présente, elle et moi, marchant côte à côte dans la rue.

La tête commence à me tourner.

— Faux frère ! gronde Jean-Lu. Tu te sors un mégacanon et tu nous le caches !

— Moi, si j’étais à sa place, j’aurais peut-être fait pareil, dit Romu en venant mollement à mon secours.

Tous deux affichent un air clairement désapprobateur.

J’hésite un moment. Après tout, je pourrais très bien présenter Ombe comme ma petite amie. Il y a une photo qui l’atteste ! Mais en fermant les yeux, en m’imaginant l’expression dégoûtée d’Ombe, puis celle, déçue, de Romu et de Jean-Lu, j’ai aussitôt honte d’avoir songé un seul instant à mentir. Je cache des choses à mes amis, c’est vrai. Mais je ne les ai jamais menés en bateau.

— Écoutez, je dis après avoir respiré un grand coup, mettons les choses au point. Cette nana s’appelle Ombe et c’est la fille la plus sexy que je connaisse. Malheureusement, c’est juste une copine ! On suit les mêmes cours particuliers, dans la même boîte privée de remise à niveau scolaire. Évidemment que j’aimerais sortir avec elle ! Tout le monde en rêve ! Mais ce n’est pas le cas. C’est juste une copine (je martèle les derniers mots). D’accord ?

— Pourtant, le journaliste…, tente encore Jean-Lu.

— Ne me dis pas que tu crois ce que racontent les journalistes, maintenant ! je m’énerve.

Jean-Lu lève la main dans un geste apaisant.

— C’est vrai qu’il utilise aussi le mot « rocker » en parlant de toi. Disons que je n’ai rien dit ! Fin de l’épisode. Ça te va ?

— Ça me va. Romu ?

Romu est encore scotché devant les photos d’Ombe dévoilant ses charmes.

— Mmmh ? Oui, ça me va.

Je lui arrache le magazine des mains (j’en profite pour retenir le titre, il y a un kiosque à journaux en bas de chez moi !) et je le rends aux goths, qui ont assisté sans broncher à la scène.

— Tu ne sais pas où on pourrait la trouver, ta copine ? me demande la fille en battant des paupières. On voudrait qu’elle nous dédicace les photos. Elle est tellement… comme nous !

Je regarde cette fille splendide et je ne ressens rien. Enfin, rien du côté du cœur ! Non, Ombe n’est comme personne. Mais je ne peux pas leur dire.

— Je sais juste qu’elle crèche du côté de la rue Muad’Dib, je lâche pour mettre un terme à cet épisode embarrassant. Je ne suis jamais allé chez elle. On se voit dehors. Irrégulièrement, je précise en jetant un regard appuyé à mes deux copains qui font semblant de se désintéresser de la conversation en rangeant la sono.

Lorsque je me retourne vers les trois gothiques, ils ont disparu. Je cherche à les repérer au milieu de la faune du ring. Sans succès.

J’éprouve un soulagement, mais également une sensation désagréable. Cette scène n’aurait jamais dû avoir lieu. C’est comme si des digues s’étaient rompues et avaient brusquement mis en contact des univers totalement étrangers. Pas faits pour se rencontrer.

Je me mords une lèvre.

Qu’est-ce qui m’a pris de parler d’Ombe à des inconnus ?

— Avant de te répandre à tort et à travers, tourne sept fois ta fichue langue dans ta bouche ! je grommelle à voix haute.

Autant le dire tout de suite, je ne suis pas seulement le roi du calembour et des jeux de mots pourris. Je suis aussi bavard. Très bavard.

Cependant le mal est fait et je dois réparer mes bêtises. Comment ? En appelant Ombe, bien sûr, pour tout lui raconter.

Je me réfugie dans un coin de la salle et je sors mon téléphone.

— Ombe ? je dis quand elle décroche.

— Ouais.

Je comprends tout de suite que je tombe mal. Ce qui ne signifie rien puisque j’ai le sentiment de ne jamais tomber bien, avec Ombe.

— Oui… euh… désolé si je t’embête. C’est juste que j’ai fait une boulette ce soir et…

— Attends !

À l’autre bout des ondes, j’entends des raclements sur le sol et la voix étonnée d’Ombe s’adressant à quelqu’un :

— Qu’est-ce que tu fiches ici ?

— Ombe ? je dis. Tout va bien ?

Mais elle parle toujours à son mystérieux interlocuteur :

— Eh, t’es sûr que ça va ?

Je sais que ça ne sert à rien mais je hausse la voix dans le combiné.

— Ombe, tu m’entends ?

— Merde ! a-t-elle juste le temps de dire avant un grand « clang ! », suivi d’un gros « scroutch ».

Tuuut-tuuut-tuuut.

Une décharge d’adrénaline m’oblige à m’adosser contre le mur. Fébrile, je recompose le numéro, encore et encore. Chaque fois je tombe directement sur son répondeur.

L’évidence me fait l’effet d’une bombe. Ombe a un problème. Ombe est en danger !

Je bois un peu d’eau, en me forçant au calme. Elle est sûrement en mission. Et elle a rencontré quelqu’un d’hostile.

Mon premier réflexe est de composer le numéro d’urgence de l’Association. L’Association ? L’Association !

En deux mots, pour ceux qui sont montés en marche (eh, il ne faudrait pas que ça devienne une habitude !) : les humains ne sont pas seuls sur notre bonne vieille terre. Ils partagent le monde avec des créatures diverses, vampires, trolls, loups-garous, gobelins, goules, esprits du feu ou du vent, vouivres et autres monstres de la terre et de l’eau (pour faire cours, euh, court). L’Association, elle, gère la cohabitation entre le monde des créatures, aussi appelées Anormaux, et celui des humains, ou Normaux, plus nombreux mais plus vulnérables. Pour réussir ce tour de force, l’Association utilise les ressources d’une troisième catégorie d’individus : les Paranormaux. Des humains dotés d’aptitudes particulières. De pouvoirs, quoi.

C’est là qu’Ombe et moi on entre en piste.

Parce qu’on est tous les deux des Paranormaux. Des Agents (stagiaires, pour l’instant, c’est-à-dire qu’on fait tout le sale boulot – sauf les photocopies) chargés par l’Association de maintenir l’équilibre entre les différentes communautés.

Quels sont les pouvoirs d’Ombe ? Je n’en sais rien. L’article 5 du règlement le stipule : « L’Agent ne révèle jamais ses talents particuliers. »

Quant à moi… Pas le temps de m’étendre, on verra plus tard. Mais j’ai déjà survécu à l’attaque de bandits armés jusqu’aux dents, d’un démon terrifiant et d’un puissant vampire !

Ainsi qu’à quelques situations dont le ridicule aurait poussé la moitié de l’humanité au suicide.

Il y a plus de deux mots mais j’ai prévenu, je suis bavard.