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Fabio ! Fabio connaît sûrement tout ce que la ville compte de malsain.

D’accord, je l’ai attrapé et livré à l’Association. J’ai quand même pris soin de le protéger de la lumière du soleil en l’enfermant dans une cave. Est-ce que ça suffira pour qu’il se sente redevable ?

C’est un peu léger mais je n’ai pas le choix. C’est le seul vampire de ma connaissance. Avec Séverin, évidemment, bien que je doute que cet adepte de la dope soit disposé à m’aider. Nous nous sommes quittés sur un mal et tendus (j’ai exposé sa peau ultra-sensible à un sort de soleil en boîte qui l’a rendu aussi séduisant qu’un poulet grillé).

Question suivante : comment trouver Fabio ?

La réponse m’apparaît comme une évidence, au moment où une sensation de froid me prévient que j’ai vidé le ballon d’eau chaude. Je repérerai facilement Fabio avec ma clé fafnirienne puisque le vampire n’est pas, lui, sous protection magique !

Je bondis hors de la baignoire et me rhabille à toute vitesse.

J’ai maintenant un prétexte en béton pour pénétrer dans la chambre d’Ombe.

Ta chambre.

Ton nid, comme tu disais avec un sourire heureux.

La pièce, sous les toits comme le reste de l’appartement, est basse de plafond, surtout au niveau du lit.

J’évite de trop le regarder, ce lit. La couette, froissée, est tirée comme un rideau sur une scène que je ne veux pas imaginer. Tu as eu le temps de m’en confier des choses, Ombe, ce fameux soir de Noël…

Un sac de frappe pend du plafond, accroché à une poutre. Vu les éraflures qu’il exhibe, il ne devait pas rigoler tous les jours ! Une paire de skis et du matos d’escalade lui tiennent compagnie. L’armoire pourrie, au fond, doit contenir ta garde-robe.

Rassure-toi, je n’irai pas fouiller dedans.

Je suis davantage attiré par les rayonnages de ta bibliothèque verte (pas franchement destinée aux enfants…). L’Alimentation des vampires, par Xavius Bishop, en anglais. Les Farfadets de F à S, par Mercedes Calzon. En espagnol. Je les ai lus tous les deux, mais en français. Le reste est en russe.

Bien joué, Ombe ! Quand on ne dispose pas d’une pièce qui ferme à double tour, il faut soustraire d’une manière ou d’une autre ses petits secrets à la curiosité de son entourage.

Ombe, reine de la punaise.

Sur le mur, les photos d’une femme escaladant des rochers et grimpant des falaises. Accroché à côté de la fenêtre, un panneau sens interdit (pour te rappeler d’utiliser la porte en présence de tes colocataires ?). Plus loin, un drapeau multicolore, bouffé par les mites. Enfin, un poster du groupe de métal Fear Factory, dont tu me rebattais les oreilles tandis qu’il bousillait les tiennes.

Ce que je cherche est par terre, à proximité d’une robe de soirée chiffonnée (stop, Jasper, ne rêve pas plus loin !) et d’un réveil lumineux dont les chiffres clignotants trahissent une coupure de courant récente.

Ton ordinateur portable.

Je l’ouvre. Il est resté allumé. Ce n’est pas prudent, mais… c’est vrai que tu comptais revenir bientôt.

Le fond d’écran représente un paysage enneigé. Québécois, sans doute.

Je branche la clé USB où sommeille Fafnir, mon fidèle sortilège.

Cette fois-ci, inspiré sans doute par la nature du fond, il choisit d’apparaître en esquisse de lapin blanc sur le bureau. Il fait quelques bonds puis s’arrête, attendant sans doute mes consignes, ou une carotte.

Pour la carotte, on verra plus tard.

— A tuv hecilo carcan nastavn colinco sancava atio, hantany&l, hunlocnyaQº

« A tuvë hecilo carcan nastavën colindo sandava Fabio, hantanya, hunlocënya ! Trouve le paria aux dents comme des pointes porteur du nom de Fabio, merci mon dragon-chien ! »

Le dragon-chien déguisé en lapin semble réfléchir un moment puis disparaît.

Soudain, une multitude de fichiers apparaissent sur l’écran, au milieu desquels Fafnir gambade frénétiquement. Mais à quoi est-ce qu’il s’amuse, ce crétin de sortilège ? Je ne lui ai pas demandé de débusquer Fabio dans l’ordinateur d’Ombe !

Euh… si.

Parce que je n’ai pas branché le WiFi.

Je corrige l’erreur d’un clic.

Aussitôt, les fichiers se volatilisent et mon lapin disparaît par un trou creusé dans la neige. Autonome… et joueur ! Ce sortilège est décidément plein de surprises.

Il mériterait un paragraphe dans mon Livre des Ombres.

Je me promets de le lui consacrer quand tout ça sera fini.

« Est-ce que ça sera fini un jour, Ombe ? Est-ce que j’arriverai à accepter l’idée de ne plus jamais te voir, la perspective de ne plus partager avec toi que des dialogues improbables et des souvenirs qui iront en s’estompant ? »

En attendant que Fafnir se manifeste de nouveau, je laisse mon regard vagabonder lui aussi dans la pièce.

De l’endroit où je me trouve, je remarque, posé sur une planche de la bibliothèque, un objet qui m’avait échappé jusqu’alors. Intrigué, je me relève.

Il s’agit d’un coffret, matelassé d’un velours vert décoloré par le temps et décoré avec des éléments en plastique brillant, comme on peut en voir dans les chambres de fillettes, qui y rangent leurs bijoux de pacotille.

À l’intérieur il y a une gourmette. Une gourmette de bébé.

Avec « Ombe » gravé sur la plaque.

Les maillons sont remarquablement fins.

Tu m’as raconté ton histoire, celle du début, du tout début : tu portais cette gourmette lorsqu’on t’a trouvée dans la neige.

Des larmes se frayent un chemin à travers mes yeux. Je les écrase rageusement. Tu as survécu à tant de choses, Ombe, pour terminer ta course dans une vitrine, brûlée vive par un rayon plus blanc et plus froid que toutes les neiges du monde !

J’hésite un bref instant. L’Association viendra tôt ou tard récupérer tes affaires (c’est étonnant, d’ailleurs, que ce ne soit pas déjà fait). Un objet de plus ou de moins…

Je glisse le bijou dans ma poche.

Je suis sûr que tu comprends, Ombe. Je ne suis pas un voleur. Juste un ami, qui cherche par tous les moyens à te garder avec lui…

Serrant la gourmette dans mon poing, je retourne devant l’ordinateur pour guetter le retour de Fafnir.

Je ne suis pas déçu : son arrivée est à la hauteur de son départ, sous la forme d’un lapin devenu bleu et chaussé de skis, slalomant sur le fond d’écran et s’arrêtant dans un dérapage impeccable.

Projetant de la neige sur la face interne de l’écran.

— N’importe quoi…, je murmure en secouant la tête. La neige, en dégoulinant, dessine les mots d’une adresse.

Je déchiffre à voix haute :

— 1922, rue du Comte Orlock. 5e étage, droite.

Y a pas à dire, mon sort azur toujours assure !

Le lapin (le lapin !) frétille de la queue. Ah oui, une carotte pour mon champion de ski.

— an na am)olca: fina na afnirQº

« Man na ampolda ? Sina na Fafnir ! C’est qui le plus fort ? C’est Fafnir ! »

Il se tortille de plus belle avant de s’estomper, rendant au paysage québécois sa quiétude hivernale.

Je retire la clé et la range. Je sais où trouver Fabio. J’irai sonner chez lui au crépuscule et il me dira ce que je veux savoir. De son plein gré ou pas.

En attendant, j’ai l’après-midi pour dormir. Mais pas ici. Le canapé du salon fera très bien l’affaire.

— À plus tard, Ombe…

Je quitte la chambre sans bruit, laissant les lieux sous la sereine protection de la boxeuse du poster.