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Je récupère dans ma besace de la poudre d’améthyste broyée (la pierre d’améthyste sert notamment à ouvrir, débloquer et défaire les verrous. Je radote ? C’est possible).

Puis je souffle une pincée de poudre dans l’imposant mécanisme.

— Equen anin latyat ando lintavë helin imirin ! Equen anin latyat ando lintavë helin imirin ! Je dis : ouvre-moi la porte rapidement, violette de cristal !

La serrure cède aussitôt et la grille s’entrouvre dans un grincement. Je me glisse à l’intérieur, me faufile dans l’ombre protectrice des grands arbres.

Je suis dans la place…

Un vrombissement me fait sursauter. Je pense immédiatement à un sort anti-intrusion et j’empoigne les pierres de mon collier. Mais il ne s’agit que de Fafnir, qui entame autour de moi une danse de la joie grotesque.

Je l’accueille avec quelques paroles réconfortantes :

— Man na ampolda ? Man na anirima ? Sina na fëalocë palantir ! Sina na Fafnir ! Man na ampolda ? Man na anirima ? Sina na fëalocë palantir ! Sina na Fafnir ! C’est qui le plus fort ? C’est qui le plus beau ? C’est mon étincelant dragon qui voit-au-loin ! C’est Fafnir !

J’éprouve un réel plaisir à revoir cet idiot.

D’abord parce que je l’aime bien. Sincèrement. Ces derniers temps – si l’on excepte ma mère en tenancière de salon de thé et la voix d’O dans ma tête – il a été ma seule compagnie.

Ensuite, parce que son apparition prouve que la propriété n’est pas celle d’un magicien. Dans le cas contraire, Fafnir aurait été rapidement grillé (dans tous les sens du terme…).

Cela signifie que les individus qui se cachent dans le parc ne bénéficient d’aucune protection magique.

Ça me soulage (une menace qui disparaît) et me déçoit en même temps (la magie au moins, je maîtrise). Mais ça ne change pas grand-chose. Pour Nina notamment…

Fafnir ayant cessé de faire le fou et s’étant réfugié dans une poche de mon manteau, j’entame une approche silencieuse.

La musique devient plus forte. Elle semble provenir de toutes les fenêtres à la fois. Tant mieux, les trilles du clavecin vont couvrir mon arrivée.

Je comptais me servir d’un arbre comme poste d’observation, mais ceux qui bordent l’antique gentilhommière se révèlent trop éloignés.

Heureusement, la bâtisse est couverte de lierre.

Je choisis une liane épaisse, capable de supporter mon poids. Puis je grimpe à la force des bras, mes chaussures de cuir dérapant contre le crépi de la façade, la sacoche cognant contre la pierre.

Je m’en sors étonnamment bien ! Hop, hop, chevauchant (en tout bien tout honneur) la corde lierre, je parviens en quelques mouvements à la hauteur des premières fenêtres. Sans que les muscles me brûlent, ma respiration à peine plus rapide.

Il y a trois jours, j’avais une épaule démise qui me faisait souffrir le martyre…

J’ai une pensée pour Ombe. J’aurais pu l’impressionner et elle n’est même pas là.

Coup d’œil dans la pièce. Mon cœur part en cloche : j’ai gagné le grelot ! L’étage consiste en une vaste salle décorée de miroirs, de tentures, de tableaux de maîtres. Sur le parquet ciré, des fauteuils Louis XV, des tables de jeu, des tapis somptueux. Et dans les fauteuils, autour des tables, sur les tapis… des vampires.

Une trentaine de vampires habillés de noir, manteaux et pantalons – et pour certaines d’entre eux de robes moulantes, fendues sur des corps superbes !

Je n’avais encore jamais vu de femmes vampires. Mon regard s’attarde longuement…

« Vas-y, rince-toi l’œil ! Ne te gêne pas !

— Hein ? Ombe, c’est toi ?

— Qui d’autre ?

— Ben, en ce moment, je ne sais plus. J’ai lancé un sortilège d’espionnage intégral et du coup, j’entends pas mal de voix dans ma tête.

— La magie, ça craint, je l’ai toujours dit…

— Je suis désolé pour tout à l’heure. Je t’ai harcelée avec mes questions. Je t’ai presque reproché d’exister… C’était nul. La seule chose qui compte, c’est que tu sois là. Que tu ne me laisses pas tomber.

— Merci, Jasper. Ça me touche. Beaucoup. »

Je la sens émue, dans son éther. Je chasse le silence avant qu’il devienne envahissant.

« C’est très chouette de venir me soutenir dans une mission difficile.

— Difficile ? Mouais, je vois ça. Petit coquin !

— Petit… coquin ?

— Tu bloques de façon bestiale sur tous les décolletés !

— Ah ! Mais pas du tout, j’évalue simplement la situation…

— Pitoyable. Tu mens comme un enfant de six ans. Je t’ai déjà dit que tu avais un problème avec le sexe, Jasper ?

— Oui.

— Et ?…

— D’accord, d’accord ! Que veux-tu que j’y fasse ? J’ai toujours été attiré par les filles inaccessibles !

— Donc c’est bien pour mater des vamps que tu te les gèles sur un rebord de fenêtre ?

— Non. Je cherche Nina.

— Nina ? L’Agent stagiaire ? Elle fricote avec les vampires ?

— Rectification : elle s’est fait enlever par un vampire. Un type qui répond au doux nom d’Aristide.

— Tu es sérieux ?

— Très sérieux.

— Il s’appelle réellement Aristide ?

— Oui. Et Nina s’est vraiment fait kidnapper.

— Si elle ne se cache pas sous les traits glacés d’une pouffe, alors elle n’est pas là. Faut bouger, vieux !

— C’est ce que j’allais faire. Je reprenais des forces !

— Bien sûr ! »

Je rêve ou les filles ont un sens de plus que les garçons ? Genre : « Inutile de me cacher quoi que ce soit, j’ai deviné ton manège ? »

J’empoigne à nouveau la tige ligneuse de l’Araliaceae et accède en ahanant au deuxième étage.

C’est vraiment réconfortant de sentir la présence d’Ombe (bon prince, je ne lui tiens pas rigueur de ses insinuations calomnieuses). J’ai presque l’impression de travailler en équipe.

La nouvelle fenêtre est celle d’une chambre qui sert de débarras.

Personne.

Prenant appui sur le rebord étroit, je me déplace latéralement, lentement (je vais finir par tomber, avec ces bêtises), très lentement.

La pièce suivante est occupée par deux vampires, plongés dans une conversation orageuse. De surprise, je manque basculer en arrière. Je me rattrape in extremis au gond d’un volet disparu.

« Tu les connais, Jasp ?

— Le grand costaud, c’est Aristide. L’autre, celui qui a le visage à moitié brûlé, c’est Séverin. Un maître vampire.

— Le trafiquant de drogue ! C’est pour son compte que les garous de Trulez gardaient l’entrepôt !

— C’est lui aussi qui a essayé de me tuer et que j’ai terrassé avec une crame solaire…

— Très drôle ! Ça veut dire qu’il te connaît aussi.

— Ouais, je suis grillé !

— Jasper… À ton avis, ils parlent de quoi ?

— J’en sais rien. La vitre est épaisse. Ça barde, en tout cas. Une chose est sûre : si Séverin est dans le coup, c’est sérieux. Trop sérieux pour moi.