Выбрать главу

— … All will burn, nothing spared

From my incineration…

— … Decimate, to devastate

Path of annihilation[1]… »

Prise de tête

J’ai lu quelque part (je ne sais plus où, mais pas dans les Préceptes de hussard et encore moins dans mes Livres de Savoir) que « tout le drame de la vie est dans la recherche des êtres. »

J’ai un peu de mal à saisir le sens exact de cette phrase, mais elle me touche, au-delà de la compréhension. Cela fait seize ans que je suis seul !

Je ne suis pas honnête…

Il y a ma mère, heureusement. Et puis Jean-Lu et Romu. Mademoiselle Rose et Walter – même s’ils ne comblent pas grand-chose en ce moment. Arglaë (ou plutôt la possibilité d’Arglaë). Il y avait Ombe-pour-de-vrai (faussement présente), il reste Ombe-pour-de-faux (mais vraiment là).

On ne peut pas dire que je suis abandonné ! Alors, pourquoi ce sentiment ?

Si je le savais, je ne me prendrais pas la tête avec.

Une autre phrase m’a fait réfléchir. Elle est la suite logique de la première : « Un homme se révèle par la façon dont il supporte la solitude. » Ça pète bien. Ça donne envie de redresser la tête, de rallumer son regard. C’est une belle phrase, sûrement pleine de vérité. Mais putain, je ne suis pas un homme ! Enfin si, ce n’est pas ce que je voulais dire…

La solitude m’est familière, elle ne me fait pas peur.

Il me semble, néanmoins, qu’avant d’être seul, on devrait être accompagné, pour voir la différence.

Heureusement, j’ai retenu une troisième phrase : « Vivre, c’est apprendre à se passer de tout, en restant capable de tout accueillir. » Elle est aussi alambiquée que les deux autres, mais il souffle dessus comme un petit vent d’espoir.

Et j’en ai actuellement bien besoin.

13, rue du Horla

Troisième étage – Club philatéliste / Appartement de mademoiselle Rose

 

— Pourquoi tu veux redescendre, sorcière ? Personne ne t’attend en bas.

— J’ai dormi un moment, c’est tout ce que j’avais à faire ici.

— Donne-moi des nouvelles, avant de partir ! Tu m’as mis l’eau à la bouche. Je suis excité comme jamais !

— Et ça devrait me donner envie de te faire d’autres confidences ?

— Tu es seule, sorcière. Parler à quelqu’un, c’est important.

— Tu sais pourquoi j’ai pris l’habitude de me confier à un démon enchâssé dans un miroir ?

— Parce que je suis muet comme une tombe ? Et que, dans le fond, tu m’aimes bien ?

— Je t’ai terrassé alors que tu t’apprêtais à torturer une fillette, juste après avoir tué sa mère ! Comment peux-tu imaginer un instant que je t’aime bien ?

— Nous sommes esclaves de notre nature, sorcière. Selon mes propres critères, tuer et torturer ne constituent pas un crime. Ce serait même plutôt l’inverse…

— C’est exactement pour ça que je déverse mes peurs, mes doutes et mes colères contre cette glace. Parce que tu les absorbes sans me juger et – c’est un comble pour un miroir ! – sans me renvoyer une image insupportable.

— Moi qui croyais que tu attendais de moi que je dise que tu es la plus belle ! Alors, ces nouvelles ?

— Tu es exaspérant…

— S’il te plaît, sorcière !

— J’ai essayé de joindre Jasper. Son portable sonne mais il ne répond pas.

— Il s’est peut-être mis dans une situation périlleuse dont il a le secret…

— J’espère que non, parce que pour l’heure, il ne figure pas dans mes priorités. La disparition de l’Agent stagiaire Nina m’inquiète davantage. Si c’est le genre de Jasper de ne pas répondre au téléphone et de bouder dans son coin, ce n’est pas celui de Nina. Nina a parfois des problèmes avec la hiérarchie, mais elle est plus respectueuse du protocole…

— Et Jules ?

— J’attends toujours le rapport de Jules, parti aux trousses du chamane oyun et du vampire. J’espère qu’il ne s’est pas fait repérer.

— Jules est doué dans son domaine… qui est justement de ne pas se faire repérer !

— Je sais. C’est également un garçon réfléchi, mais les pouvoirs de l’Oyun me préoccupent. Je connais mal l’aspect chamanique des pratiques occultes et je ne sais pas de quoi cet homme est capable.

— Chez nous, on ne dit pas : « Choisir entre la peste et le choléra » mais « Choisir entre un chamane et le magicien gris »…

— Je ne serai rassurée qu’après avoir entendu la voix de Jules. Quelles que soient les nouvelles qu’il m’annonce.

— Et le reste, sorcière ?

— La routine, démon, pour une fin du monde ! Une série d’agressions impliquant des vampires, une bataille rangée entre clans rivaux de lycans, des tombes profanées par des goules hystériques, des gobelins surgissant de terre comme des rats de leur cave… Jusqu’à la Créature du lac, que des irresponsables non identifiés ont tourmentée avec des explosifs sous-marins ! Il n’y a guère que les trolls pour rester tranquilles. Qu’est-ce que je peux faire contre cette recrudescence de troubles fomentés par des Anormaux surexcités ?

— Ah, ce sentiment d’impuissance ! Cette colère que je sens bouillonner en toi ! À ta place…

— Tu n’es pas à ma place, démon. La colère, effectivement, voudrait que j’intervienne partout et brutalement. Mais elle est mauvaise conseillère. Je dois au contraire concentrer mes faibles moyens sur des objectifs précis et agir en douceur : laisser les Agents auxiliaires enquêter sur le Sphinx et sur l’affaire du fourgon attaqué ; retrouver Nina, parce qu’elle est sous ma responsabilité ; suivre la piste du chamane, qui nous aidera peut-être à déchiffrer l’avalanche d’événements qui nous submergent…

— Là, je suis avec toi à cent pour cent. Il ne faut pas laisser ce gars dans la nature !

— Sur ces bonnes paroles, démon, à demain !

— « Démon, à demain »… Tu as fait exprès ? Tu progresses. Ah, tu peux laisser la lumière en partant ? Je n’aime pas rester dans le noir.

9

Une clameur sourde m’environne. Le bruit de mille gorges.

J’essaye de comprendre où je me trouve. Pourquoi je suis accroupi.

Mes mains sont plantées dans le sable. Je fais le dos rond. Comme un chat.

Comme un tigre.

Je tourne la tête.

Des palissades en bois forment un vaste cercle et je suis au milieu. Au milieu d’une arène. Offert aux regards avides d’une foule dispersée dans les gradins.

Une foule d’ombres, droites et immobiles, drapées dans de longs manteaux noirs.

Les ombres grondent et c’est cette clameur rauque que j’entends.

Je me redresse.

La muraille de poutres et de madriers, maltraitée par des coups de griffes et de dents gigantesques, s’entrouvre pour laisser entrer deux hommes bardés de cuir et de métal, qui brandissent une hache et une épée.

Des colosses, couturés de cicatrices.

Je n’ai pas d’armes, pas de bouclier, mais ce sont eux qui tremblent.