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— Tu penses à un gâteau au chocolat, je dis.

— Perdu !

— Tu vois…, je fais, en prenant note que la passion pour le chocolat n’est pas aussi répandue chez les filles qu’on veut bien le dire.

— Tu me prends pour une débile ou quoi ?

— Crois ce que tu veux, je soupire.

C’est exactement ce dont je n’avais pas besoin : une discussion sans intérêt, alors que je dois être attentif, aux aguets, prêt à tout. Je comprends mieux pourquoi les super-héros sont solitaires !

« Comme Batman et Robin, par exemple ? Ou bien les Quatre Fantastiques ? Ou encore les X-men ? Tous de grands solitaires !

— Ombe ! Il faut toujours que tu te mêles de tout. Je pourrais te citer des dizaines de contre-exemples ! Tu es insupportable.

— Tiens… Tu soupires quand Nina te déconcentre, mais venant de moi, ça n’a pas l’air de te déranger.

— C’est que… C’est pas pareil, tu le sais bien.

— Peut-être. Mais tu lui dois un minimum de courtoisie. Et de respect. Je te rappelle qu’elle a choisi de t’accompagner et de se mettre en danger. Tu pourrais être plus gentil ! Surtout après les paroles qu’elle a eues pour toi dans le métro.

— J’en prends bonne note.

— J’ai parlé de courtoisie et d’attention, Jasper. Ne profite pas de la situation pour la draguer comme un malade !

— Ombe, tu es là ? Je ne t’entends plus !

— Jasper ?

— Il y a quelqu’un ?

— Toi mon vieux, tu ne perds rien pour attendre ! »

Elle est repartie. Je suis assez content de moi.

C’est vrai, quoi. Elle débarque quand ça lui chante et m’assène des leçons de morale à la mademoiselle Rose !

— C’est ça, alors ? reprend Nina avec un timbre désemparé en s’accrochant à mon bras et en me regardant avec d’immenses yeux tristes. Je suis une débile ? Tu crois que je suis moins bien qu’Ombe ? Tu préfères penser à elle, tout le temps, plutôt que de me parler, de m’expliquer ? De me faire un peu confiance… Je suis là, Jasper, en ce moment. Avec toi. Pas elle…

Bon sang !

Cette fille a été assommée par un vampire, retenue prisonnière dans le manoir des horreurs. Elle est encore sous le choc, fragile. Elle tremble depuis des heures et toi tu penses que c’est le froid. Elle n’attend qu’une chose : un peu d’attention. Une raison de se reprendre. Une étincelle pour repartir.

Tu n’es pas un héros solitaire, Jasper. Tu es un idiot égoïste. Et Ombe avait raison de t’engueuler !

« Désolé, Ombe. »

Peu importe qu’elle m’entende ou pas. Il faut savoir reconnaître ses erreurs.

— Tu n’es pas débile, je dis en m’arrêtant et en plongeant mon regard dans celui de Nina. C’est moi qui suis nul de te laisser penser ça. Après l’horreur que tu as vécue, je connais pas mal de filles qui seraient devenues hystériques ! Toi, tu as gardé la tête froide. Et tu ne m’as pas laissé tomber. C’est sympa de ta part. Plus que ça : c’est courageux.

Elle m’observe attentivement, pour être sûre que je ne me moque pas. Un grand sourire s’épanouit enfin sur son visage.

— Tu es sincère ?

— Oui. Tu es ma partenaire dans cette mission et tu as ma confiance. En échange, Nina, je te demanderai deux choses. D’abord, d’arrêter de parler d’Ombe ; ça me perturbe et je n’ai pas besoin de ça. Ensuite, de respecter mes secrets.

Elle me fixe à nouveau, avant de hocher la tête.

— D’accord, Jasper. Tu ne m’entendras plus sur ces sujets. Tu es… un garçon bien.

Un décodeur, s’il vous plaît ! Un garçon bien, dans sa bouche, ça veut dire honnête ? craquant ? sympa ? J’esquisse en retour un sourire assez vague pour ne pas commettre d’impair. Je comprends de plus en plus ce qui me séduit chez les trolles…

La porte de l’immeuble est ouverte. C’est plutôt mauvais signe. Tout comme l’agitation qui règne autour de la loge du concierge.

J’intercepte des bribes de conversation :

— … odeur affreuse de brûlé…

— … cris horribles !… la police a dit que…

Il n’y a pas un instant à perdre. Les forces de l’ordre et les pompiers vont bientôt investir le bâtiment. Pas bon, ça, pas bon du tout !

Je remets discrètement le bracelet runique autour de mon poignet, attrape la main de Nina pour lui faire partager mon sort de furtivité et montre l’escalier en faisant le signe « un » (comme « premier étage » ou bien « on monte »).

Retrouvant des réflexes d’Agent entraîné, elle se glisse sans un bruit derrière moi.

L’appartement où se tenaient les réunions du Cénacle spirite est toujours fermé. Parfait ! Ça veut dire que personne ne sait encore exactement de quoi il retourne. On a une petite longueur d’avance.

Je m’apprête à récupérer dans ma besace le nécessaire magique d’ouverture (et ainsi dévoiler la véritable nature de mes talents…) quand Nina sort une épingle de son soutien-gorge et s’attaque à la serrure.

Qui cède aussitôt, me laissant à peine le temps de déglutir.

— C’est ton pouvoir ? je demande. Ouvrir les portes ? Elle rit doucement.

— Comme je suis une fille pas toujours sage, mes parents m’enferment souvent dans ma chambre. Il a bien fallu que je me débrouille !

Une fille pas toujours sage ? Le feu me monte au visage, d’autant qu’elle a accompagné son explication d’un clin d’œil qui avait l’air coquin. Nina aurait-elle un côté délicieusement obscur ?

J’entre derrière elle dans l’appartement. Une odeur de chair brûlée nous saute à la gorge, me ramenant à des pensées nettement moins agréables.

— Qu’est-ce que…, commence à dire mon équipière en se protégeant le nez avec mon écharpe.

— Reste là, ne bouge surtout pas ! je la coupe en prenant le chemin de la bibliothèque.

La pièce est bien telle que Fafnir me l’avait montrée.

La table, au centre, est carbonisée et la fissure suinte encore une humeur visqueuse. Les quatre corps calcinés autour restent accrochés par les mains. Des traces de pure noirceur subsistent partout où ont traîné les ignobles et tortueuses racines.

Quel que soit celui qui a envoyé ses griffes dans notre monde, il a bien pourri l’ambiance. Et laissé derrière lui une vilaine odeur de soufre, que mon scarabée ne pouvait pas me rapporter.

— Ahhhh !

Je me retourne. Nina n’a pas écouté mes avertissements… Elle contemple la scène, stupéfaite, les yeux agrandis par l’horreur. Puis elle se détourne et vomit violemment. Moi, j’ai déjà vu la scène deux fois. On peut presque dire que je suis immunisé.

Pour ne rien arranger, des sirènes stridentes se font entendre sur une avenue toute proche. Il nous reste à peine quelques minutes.

Nina est repartie dans le couloir.

Je cherche des yeux l’inscription laissée sur le sol par le spectre à l’attention d’Otchi : « Celui que tu cherches sera à cette heure-là à cet endroit », avait-il dit. Je retiens un juron : une racine a partiellement détruit l’information. Je distingue néanmoins les mots « Hôt… » et « Hel… ». Rien sur l’heure à laquelle il est fait allusion.

— Hôt-Hel : Hôtel ? Hôtel Hell, l’hôtel de l’enfer ? je réfléchis à mi-voix.

Je continuerai plus tard. Il est grand temps de tirer notre révérence.

Mais, avant, je dois réagir comme un Agent de l’Association. Car il est clair que mademoiselle Rose ne pourra jamais intervenir avant l’arrivée de la police. Et il y a ici (je ne parle même pas de l’ADN de Nina qui couvre les murs…) des mystères qui ne doivent pas être laissés au regard de tous.