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— Au début, j’étais un peu gênée, et puis j’ai trouvé mes marques.

— Qu’est-ce qui t’a pris de lui dire qu’on s’était rencontrés dans une soirée sur le thème des vampires ?

— Ça m’est venu sans réfléchir. Et puis c’est la vérité, non ?

— Oui, je reconnais en bougonnant. Tu as parfaitement manœuvré : tu lui plais.

— C’est vrai ?

— Crois-moi. Ma mère ne s’apprivoise pas facilement. Une heure de plus et tu avais droit à ton avenir dans les cartes de tarot !

— Je te plais aussi, Jasper ?

La voix de Nina s’est subitement rapprochée. Je me rends compte que son visage n’est plus qu’à dix centimètres du mien.

— Je… Comment ça ?

Mon timbre éraillé la fait pouffer.

— Moi je te trouve super craquant, avoue-t-elle sans une hésitation.

Je cherche quelque chose à dire pour désamorcer une situation qui est en train de m’échapper, quand ses lèvres effleurent les miennes.

Elle m’embrasse.

Elle m’embrasse !

Je me raidis (mon corps tout entier…).

Je ne sais pas comment je trouve la présence d’esprit de répondre à son baiser. Je suis pris de vertige.

Elle m’embrasse. Sa langue caresse la mienne.

J’y crois pas ! Ses cheveux me chatouillent le cou.

Elle m’embrasse…

— C’est pour m’avoir sauvé la vie, me souffle-t-elle en touchant ma joue avec des doigts qui tremblent légèrement. Mon chevalier !

Puis elle s’enroule dans la couette comme un sushi et vient me rejoindre sur le sol.

Elle se blottit contre moi et murmure encore, presque assoupie :

— Jasper…

J’hésite entre hurler et m’évanouir. Je me contente moins théâtralement de la prendre dans mes bras, doucement, sans la réveiller.

C’est la troisième fille que j’enlace.

La première, sous son arbre, était la dernière des romantiques cachée sous un pelage de trolle ; la deuxième, sur sa moto, une sœur dissimulée derrière un masque de femme fatale ; la dernière, dans ma chambre, une fille pas toujours sage déguisée en collègue de boulot.

— Jasper ?

— Oui Nina ?

— Tu t’en vas pas, hein ? Tu restes là… Tu me protèges…

— Dors, je suis là. Tu ne risques rien.

Elle se serre encore, m’offre le parfum de ses cheveux. Finalement, la nuit ne s’annonce pas si inconfortable que ça.

Post-it

Nommer une chose, c’est avoir du pouvoir sur elle.

Épilogue

13, rue du Horla – Deuxième étage / Bureaux de l’Association

 

— Allô ?

— Mademoiselle Rose… Je suis désolé si je vous réveille. Je suis l’Agent auxiliaire Omega.

— Vous ne me réveillez pas vraiment. Je suis encore au bureau. Pour vous faire un aveu, je prenais un peu de repos dans un fauteuil ! Vous êtes l’un des deux hommes chargés d’enquêter sur la disparition du Sphinx, c’est cela ?

— Parfaitement.

— Si vous m’appelez à cette heure-ci, c’est que vous avez des nouvelles.

— Exactement.

— Enfin ! Je vous écoute.

— Elles… elles ne sont pas bonnes.

— Qu’est-ce que vous cherchez à me dire ? Ou plutôt à me taire ?

— On a retrouvé le Sphinx. Mort. Au fond d’une impasse. Sous des sacs-poubelle.

— …

— Son corps porte les marques de…

— Ça suffit !

— Je suis désolé. Il…

— Taisez-vous ! Je ne veux rien entendre ! Je… Restez près de lui. J’arrive.

— Très bien, mademoiselle.

13, rue du Horla – Troisième étage / Club philatéliste / Appartement de mademoiselle Rose

— Sorcière ! Mais tu… tu pleures ! C’est la première fois que je te vois pleurer. C’est Walter, c’est ça ? Ou bien Nina ? Jules ? Jasper ?

— C’est le Sphinx, démon ! Le Sphinx ! Des Agents auxiliaires l’ont retrouvé, gisant sans vie dans une ruelle sordide…

— Le Sphinx… mort ?

— Et Walter qui n’est pas là ! Le seul avec qui j’aurais pu partager mon chagrin ! Walter, que je ne peux même pas prévenir…

— Étonnant.

— Moi aussi, démon, je ne voulais pas le croire. Même en face du corps, j’ai espéré. Un canular, j’ai prié pour que ce soit un sinistre canular. Mais il a bien fallu me rendre à l’évidence : le Sphinx était étendu sur le trottoir, salement amoché.

— Des traces de combat ?

— Aucune. Il aurait réduit en charpie n’importe quel agresseur ! Je me souviens de l’avoir vu tenir tête à un troll. Et l’emporter sur deux loups-garous déchaînés ! Non, les marques qu’il porte indiquent clairement qu’il a été foudroyé par un charme puissant.

— La magie n’était pas son point fort.

— Mais ses agresseurs ont commis une erreur ! La sortie de secours d’une agence bancaire donne dans l’impasse. Il y a une caméra de surveillance. L’Agent auxiliaire Omega est en train de récupérer les bandes des dernières vingt-quatre heures… D’ailleurs, je me demande ce que je fais encore là. Je devrais être en bas, à l’attendre.

— Tu viendras me dire, hein ? Hein, sorcière ? Tu viendras ?

— Peut-être.

— Eh bien, tu en as mis du temps ! Quelles nouvelles ? À voir ta tête, elles ne sont pas terribles.

— L’assassin ignorait l’existence de la caméra qui a filmé la scène. C’est bien un sortilège qui a terrassé le Sphinx. Qui l’a frappé dans le dos, quelques heures à peine après son retour à Paris.

— Comment ça s’est passé ?

— D’après les images, le Sphinx a été attiré dans l’impasse par les pleurs d’une femme. On la devine contre un mur. L’assassin s’est glissé derrière lui et l’a foudroyé. Lâchement. Avec un sort d’une puissance terrifiante dont l’énergie, par contrecoup, a déréglé la caméra pendant plusieurs minutes. Ensuite, quand les images reviennent, les lieux ont retrouvé leur immobilité. La femme a disparu ; l’assassin aussi, après avoir traîné le Sphinx derrière les poubelles.

— Les poubelles. Beurk ! Et l’agresseur ? Il apparaît sur la vidéo ?

— Je me suis repassé plusieurs fois la bande et j’ai découvert un plan très bref sur lequel on aperçoit l’assassin de dos.

— Tu trembles, sorcière.

— J’ai agrandi cette image. On distingue nettement un jeune homme longiligne, vêtu d’un manteau noir, portant une sacoche noire. Ses cheveux, mal coiffés, sont tout aussi noirs. Sa main, celle qui lance le sortilège contre le Sphinx, est blanche et fine. C’est le portrait craché de… Jasper !

— Jasper ? L’Agent stagiaire ?

— Oui, Jasper. Ce Jasper. Bien sûr, une image ne constitue pas une preuve irréfutable, surtout de dos. Mais qui, en ville, ressemble de façon troublante à l’assassin du Sphinx ? Qui maîtrise les arcanes de façon redoutable ? Qui a été la cible de la MAD, chargée de traquer les serviteurs des démons ? Et qui refuse de répondre à mes appels ? À part Jasper, je ne vois personne d’autre !

— Jasper a été la cible de la milice ? Sorcière, tu ne me l’as jamais dit !

— Je te dis ce que j’ai envie de te dire, démon.

— Qu’est-ce que tu as prévu de faire ?

— J’ai envoyé une équipe pour le cueillir chez lui, s’il a commis l’erreur de s’y réfugier. Je veux des réponses ! Et Jasper est la seule piste dont je dispose.

— Tu sembles vraiment choquée, sorcière. Décidément, cette journée n’aura pas été comme les autres !

— J’espère de tout mon cœur que Jasper n’est pas un Agent double. Pas un de tes amis, pas une recrue du camp démoniaque. Et surtout, pas le meurtrier du Sphinx.