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J’ai brûlé Séverin, un maître vampire trafiquant de drogue ; j’ai crevé l’œil de Siyah, le magicien noir qui avait soumis ton frère ; j’ai détruit Ernest Dryden, le meurtrier d’Ombe. Tous les trois en voulaient à ma vie, je n’ai pas eu le choix. Mais est-ce normal, quand on a seize ans, de se faire autant d’ennemis ? De les affronter de façon si… sauvage ?

C’est peut-être à cause d’eux, à cause de ça que je fais des cauchemars horribles qui s’effacent quand j’ouvre les yeux ; des yeux embués par l’effroi. Des cauchemars qui s’évaporent comme la brume dans les premières lueurs du jour…

Je t’ai parlé d’une mission. D’une tâche à accomplir.

En fait, ce Dryden, cet assassin, n’a pas agi de lui-même. Un autre que lui tire les ficelles, porte la responsabilité du désastre.

Je veux le retrouver et mettre fin à tout ça.

Comprendre.

Et pouvoir dormir.

À ce moment-là, si tu ne vagabondes pas à l’autre bout du monde des trolls, c’est contre toi que j’aimerais le faire.

Je t’embrasse, ma trollesse.

Je ne sais pas si c’est la coutume, chez les trolls, de terminer une lettre de cette façon. En tout cas, c’en est une chez les humains…

 

Jasper, troll imberbe, membre du clan de l’Île-aux-Oiseaux.

13, rue du Horla

Troisième étage – Club philatéliste / Appartement de mademoiselle Rose

— Tiens ! Qu’est-ce que tu fais là, sorcière ? Tu ne devais plus mettre les pieds dans ta cuisine avant longtemps !

— Il faut croire que tu me manques, démon. Ou bien que la cafetière du bureau est brusquement tombée en panne. Je te laisse choisir.

— Pour mon ego, je vais faire semblant de croire que la cafetière du bureau est en parfait état. À voir les rides de contrariété qui barrent ton front, j’imagine que tout n’est pas… rose en bas !

— Ton calembour est encore plus nul que d’habitude. Mais tu as raison. Je suis entrée en contact avec le Bureau international, à Londres…

— Les instances dirigeantes de l’Association ?

— Oui. Ça me fait mal au cœur d’avoir dû en arriver là. Chaque délégation veille farouchement à son indépendance et Walter (je ne parle même pas du Sphinx !) m’étriperait s’il avait vent de mon initiative. Seulement, l’intérêt général doit passer avant les sentiments personnels.

— Noblement dit.

— Or, que réclame l’intérêt général ?

— Oui, sorcière, que réclame-t-il ?

— De l’aide ! Une aide urgente. Je suis seule pour coordonner les actions, diriger les Agents, calmer ce petit monde qui, dehors, s’agite, bref, pour gérer une situation de crise…

— Tu oublies Walter.

— Walter n’est plus capable de rien. Il faut savoir reconnaître ses limites…

— Et alors ? Tu as obtenu ce que tu voulais ?

— Je suis tombée sur une secrétaire inconnue de moi, si niaise que je me suis demandé, un court instant, qui avait le plus besoin d’aide ! Elle m’a répondu que personne ne pouvait prendre mon appel. Fulgence lui-même était injoignable. Ses propres Agents ne savaient pas où il se trouvait ! La MAD…

— Que Khalk’ru les foudroie !

— Ferme-la, démon. Tes malédictions me hérissent le poil.

— Qu’est-ce que la milice antidémons vient faire dans l’histoire ?

— La MAD sert aussi à assurer la protection du Big Chief. Bref, elle était sur les dents. C’est la confidence que m’a faite cette femme alors que je tentais de la rassurer…

— C’est la débâcle !

— Là, démon, tu y vas fort ! Mais tu n’as pas tort. Tout allait bien jusqu’à l’automne. Et puis il y a eu cette histoire de drogue, l’agitation des vampires, la révolte des gobelins, l’affaire de la Créature du lac…

— La fameuse théorie de convergence des catastrophes ?

— Ravale ton ironie ou je brise ce miroir !

— D’accord, sorcière, je ravale. Qu’est-ce que tu comptes faire – pas pour le miroir, pour l’Association ?

— Fermer les écoutilles. M’attaquer aux problèmes, un par un, et les régler du mieux possible. En attendant un sursaut de Walter, un retour du Sphinx ou une réapparition de Fulgence.

— Ou bien le déluge… Non ! Je ravale, sorcière, je ravale !

4

— Arrêtez-vous, s’il vous plaît !

La voix d’un Agent résonne dans le couloir, forte et claire.

Ils ont attendu pour intervenir que les lieux se vident. Très professionnel ! Ça me rappelle ma tentative pour appréhender Fabio lors de ma première mission. Je lui ai enjoint de s’arrêter, je l’ai vouvoyé ; j’ai même dit s’il vous plaît ! Mais il s’est enfui malgré tout. Est-ce parce que j’étais seul ? que le vampire était en joint (sous l’emprise de la drogue…) ? que mes cordes vocales manquaient d’assurance ? que je n’avais pas de chapeau mou ? J’aurais dû le demander à Fabio avant de lui promettre, lors de notre dernière rencontre, de ne plus jamais le revoir…

— On fait tous des erreurs, Ombe, je murmure en soupirant.

Je m’approche, rasant les murs.

Les trois hommes ont encerclé le sorcier qui ne paraît pas le moins du monde impressionné. Grave erreur ! Monsieur Regard-qui-tue ne sait pas à qui il a affaire.

Je serais curieux de connaître l’étendue des pouvoirs qui vont se déchaîner dans quelques instants. Est-ce que ces hommes savent eux-mêmes de quoi chacun est capable ? Ce n’est pas sûr. Car l’article 6 est clair : « L’Agent ne révèle jamais ses talents particuliers. »

Mais assez spéculé : place au spectacle !

Roulement de tambour.

Petite précision : quand je dis roulement de tambour, ce n’est pas une image. Le sorcier a vraiment sorti de sa poche un petit tambour en métal, tout rouge.

Aïe.

Je ne sais pas pourquoi mais ça ne commence pas bien.

Quand on est menacé par trois malabars et qu’on joue du tambour pour se défendre, soit on est bon à interner, soit on mijote un sale tour.

Le rythme se fait plus lent, régulier. Les Agents se regardent avec inquiétude.

— Hé les gars ! je grommelle entre les dents. Action ! Je ne sais pas ce que prépare le tambourinaire, mais ne le laissez pas faire !

Le sorcier esquisse un pas de danse, en même temps qu’il entonne une psalmodie sourde, un chant sur trois thèmes mineurs, qui se répètent et s’entremêlent.

Voilà qu’il chante maintenant ! Il est où, le chapeau, pour récolter les pièces des passants ?

Qui se répètent et s’entremêlent.

Ça devient du grand n’importe quoi. Je suis en train de revenir sur ma première impression : ce type n’est pas dangereux, c’est le roi des clowns !

Qui se répètent et s’entremêlent.

Un simple joueur de…

Qui se répètent et s’entremêlent.

Qui se répètent et…

« Jasper ! Hey ! Jasper ! »

— Hein ? Oui, je…

« Réveille-toi ! »

— Ombe ? je balbutie en émergeant de la torpeur dans laquelle la mélopée est en train de me plonger. Pas de réponse.

« Ombe ? »

Non plus.

Je fouille les alentours du regard, comme si elle pouvait être là, bien vivante, en chair et en os, en cheveux blonds et en yeux bleus.

Personne, évidemment.

Il y a seulement les Agents.

Des Agents étendus par terre dans le couloir.