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Deuxième étage – Bureaux de l’Association

— Allo ? Mademoiselle Rose ?

— Agent stagiaire Jules ! Si tu m’appelles, cela signifie qu’ils l’ont intercepté…

— Oui et non. C’est-à-dire plutôt non que oui.

— Tu peux être plus clair ?

— Vos hommes ont localisé le drôle de gars que vous cherchiez.

— Ah !

— Mais le drôle de gars leur a échappé.

— Échappé ? Qu’est-ce que ça veut dire échapper ? Ils ne sont plus sur ses traces ?

— Je ne vois pas comment ils le pourraient puisqu’ils sont allongés dans un couloir du métro. Seulement évanouis, je vous rassure ! Des policiers les ont découverts, juste avant que je vous appelle.

— J’avais bien besoin de ça… Je m’en occupe. Mais je veux des détails sur ce qui s’est passé. Je t’écoute, Jules.

— Je commence au début ?

— Oui. Mais résume, je n’ai pas beaucoup de temps.

— Comme vous me l’aviez demandé, j’ai suivi les Agents auxiliaires à leur sortie de l’immeuble. Grâce au signalement fourni et au piratage des caméras de surveillance du métro, ils ont vite repéré votre drôle de gars. Pour ça, rien à dire, ils connaissaient leur affaire ! Mais pour le reste…

— Épargne-moi tes commentaires, merci !

— Comme vous voulez, mademoiselle Rose. Ils ont donc intercepté leur cible alors qu’elle se dirigeait vers une sortie, à la hauteur du parc Francescano. C’est là que ça a dégénéré. Le gars a sorti un tambour de son sac, il s’est mis à chanter et à danser. J’ai immédiatement rebroussé chemin. Ça puait la magie, ce truc. Je déteste la magie ! Vous le savez, d’ailleurs, je…

— Jules ?

— C’est bon… Je suis revenu sur les lieux quand je n’ai plus rien entendu. Le joueur de tambour avait disparu et les trois Agents auxiliaires étaient étendus sur le sol. Comme si on les avait assommés.

— C’est très fâcheux.

— Il est plus fort que vous ne le pensiez, hein ?

— Quoi ? Excuse-moi, je n’écoutais plus.

— Le gars au tambour. Il est balèze !

— Ah… Oui. Je l’ai sous-estimé. Ou bien j’ai surestimé les capacités de mes hommes.

— Pourquoi est-ce que vous n’avez pas demandé à de vrais Agents d’y aller ?

— Ça ne te regarde pas, Jules. Tu es prêt à reprendre ta filature ?

— Oui, mais, euh… j’ai eu l’impression que ce type sentait ma présence !

— C’est tout à fait possible. À en croire ton récit, il s’agit d’un sorcier. D’un chamane, pour être précis. C’est du moins comme cela, avec ce genre de tambour et de mélopées, que les chamanes pratiquent la magie. Il faudra te faire encore plus discret que d’habitude.

— Bon. Est-ce que je peux compter sur Jasper en cas de problème ?

— Jasper ?

— Lui aussi suivait les Agents auxiliaires. Vous… n’étiez pas au courant ? Vous ne l’avez pas collé sur cette mission avec moi ?

— Jasper… On ne peut pas lui demander de rester tranquille cinq minutes, celui-là ! Non, l’Association ne lui a rien demandé. Que faisait-il quand tu l’as vu ?

— Il était là, c’est tout. Il surveillait le gars au tambour.

— Hum. Bon, je vais aviser. Concentre-toi sur ton objectif et sois prudent. Tu es seul sur cette mission. Reste à distance et appelle-moi dès que quelque chose de suspect se produit.

— Mademoiselle Rose ?

— Oui, Jules ?

— Vous dites que je suis seul… Mais Nina ? Si elle n’est pas branchée sur l’opération, ça veut dire qu’elle est venue de sa propre initiative, elle aussi ?

— Rien ne t’échappe !

— Ça fait partie de mes… talents, mademoiselle Rose.

— Je ne suis pour rien dans la présence de Jasper aux abords du théâtre des opérations. Par contre, c’est bien moi qui ai demandé à Nina de t’épauler en cas de besoin.

— Dites, mademoiselle Rose, ça commence à devenir compliqué, votre truc ! Qui suit qui, exactement ? Les Agents auxiliaires filent le gars au tambour, moi je file les Agents, Jasper file le gars au tambour et les Agents, Nina me file moi…

— Présentée comme ça, la situation semble effectivement embrouillée.

— Pourquoi Nina, mademoiselle Rose ?

— Nina ne possède pas tes pouvoirs de filature et de discrétion, mais elle dispose d’autres atouts importants.

— Je ne sais pas de quels atouts vous parlez, mademoiselle Rose, mais je pense qu’il ne faut pas trop miser dessus.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Nina a disparu.

— Disparu ? Comment ça, disparu ? !

— Après l’épisode du tambour, je suis parti à sa recherche. Pour m’assurer qu’elle allait bien. Le gars avait quand même étendu trois hommes !

— Alors ?

— Alors, comme vous le savez, j’ai l’habitude de retrouver très vite ceux que je cherche. Là, rien. C’est comme si Nina s’était évaporée…

5

Profitant du soleil timide de la fin d’après-midi, un débit de boissons a courageusement installé quelques tables sur sa terrasse. Je m’installe devant l’une d’elles et pose à mes pieds la besace militaire qui me sert de sacoche depuis que l’autre, la vraie, la fidèle, qui accompagne tous mes exploits, est depuis l’attentat qui a coûté la vie à Ombe l’otage de Walter dans son bureau.

Est-ce qu’il fait froid ? Je ne sais pas. À cause, encore, de l’action mystérieuse du collier protecteur. De la même manière que je suis incapable de dire si je me sens fatigué. Transpirant, par contre, oui, à cause de mes courses successives dans le métro. Mon manteau (la veste tient compagnie à la sacoche, rue du Horla) est largement ouvert sur le pull, noir lui aussi (c’est mon côté joyeux drille), dont j’ai une collection dans mon placard.

Je prends ma bouteille d’eau, bois longuement au goulot.

Pourquoi les événements ont-ils tendance à se bousculer dès que je mets le nez dehors ? Je suis un aimant à problèmes ! Je m’y ennuie rapidement, mais au moins, quand je reste à la maison avec ma mère, il ne se passe rien. La vie coule comme un long fleuve (de thé) tranquille.

— Vous voulez quelque chose ?

Un serveur a osé quitter la chaleur de son troquet. Vu le regard qu’il me porte et les frissons qui le saisissent, je comprends que je n’ai pas intérêt à réfléchir trop longtemps !

— Un caf… Non, un chocolat chaud, je me ravise sagement.

L’espace d’un instant, j’écoute le silence, prêt à recevoir un commentaire moqueur sur les vertus comparées du café et du chocolat.

Où te caches-tu, Ombe, sur quelle bordure, dans quel recoin ? Et qu’est-ce que tu attends de moi ?

Comme d’habitude, le tourbillon qui met ma tête sens dessus dessous m’empêche de me concentrer. J’ai du mal à ordonner mes pensées. À les classer.

Bon sang, j’ai plus urgent à faire que de m’interroger sur les silences d’Ombe ou sur ma capacité à attirer la poisse ! Un sorcier dangereux se balade dans la nature, avec une photo de Walter dans la poche et un vampire aux trousses…

Je cale mes coudes sur la table, pose mon visage dans le creux de mes mains et ferme les yeux.

— avnir a hlaratyß nií FafnirMa hlaratyë ni ? Fafnir… Tu m’entends ?

Pas de réponse. Cela dit, je ne sais même pas si un sortilège est capable de répondre.

— avnir A tana nin amtar silumß ar sinomß Fafnir… A tana nin ambar silumë ar sinomë… Fafnir… Montre-moi le monde à ce moment et à cet endroit…

Un bourdonnement dans mes oreilles. Des éclairs de lumière dorée sur le rideau de mes paupières baissées. Une télé qui s’allume péniblement… Puis, à travers un filtre jaunâtre, j’aperçois une image légèrement déformée (sûrement à cause de l’arrondi des morceaux d’ambre qui constituent les yeux du scarabée).