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je rassure Nina en rebroussant chemin.

Tiens, donne-moi la main !

Un tour en barque avec une fille

vaut bien quelques coups de godille !

Malheureusement l’heure n’est pas romantique,

elle serait plutôt apocalyptique…

Obligés pour une erreur de protocole

de chercher refuge auprès des trolls…

Contraints par un homme nommé Fulgence

à venir tenter sa chance

parmi les Anormaux…

Je cherche mes mots,

tandis que nous touchons terre.

À en croire Walter,

c’était partir

ou bien mourir.

Ombe et le Sphinx

– s’ils avaient encore un larynx –

pourraient en témoigner :

les hommes de Fulgence ne nous auraient pas épargnés…

– Jasper ?

Bonne mère…

Je reconnais cette voix terrifiée.

Pas besoin de vérifier,

c’est Jules le délicat !

– Salut les gars !

Ça c’est pas Jules.

Ni une libellule.

Devant nous surgissant des fourrés,

deux trolls gigantesques semblent se marrer…

« Jasper…

– Oui ma chère ?

– Mademoiselle Rose a dit « se mettre au vert », pas « se mettre aux vers » !

– Ah bon, tu es sûre ?

– Jasper…

– D’accord, d’accord, j’arrête ! »

3

Analyse rapide de la situation : deux trolls – un mâle bedonnant et une femme aux seins tombants couverts de longs poils – viennent de nous surprendre en train de pénétrer sur leur territoire. Ils sont monstrueux. Et je ne les connais pas. Enfin si, de vue. Je crois.

Pour être franc, rien ne ressemble davantage à un troll qu’un autre troll !

Ils n’ont pas l’air en colère. J’ai du mal, cependant, à déchiffrer le sourire qui s’étale sur leur visage réjoui… Gourmand ? Taquin ?

Je m’avance vers eux tandis que, dans un mouvement inverse parfait, Nina, Jules et Jean-Lu battent en retraite.

Quand j’ai appelé Jean-Lu, hier soir, pour lui proposer cette escapade, il était dubitatif au sujet des trolls. Je crois qu’il imaginait plutôt un truc du genre communauté hippie vivant à la sauvage. Au début, il n’était pas très partant – c’est le moins qu’on puisse dire – pour troquer le confort de sa chambre contre la rudesse d’un séjour hivernal en pleine nature. Il a fallu que je lui mente (un peu) en lui racontant que celui qui l’avait démoli (beaucoup) le recherchait (passionnément), et qu’il valait mieux se mettre au vert un moment (Au verre ? Non, Jean-Lu : au vert…).

Je lui ai promis que Nina serait de l’aventure et il a été rassuré en la voyant ce matin, place Daniel – il n’a émis aucun commentaire sur Jules.

Donc, contrairement à mes camarades stagiaires qui, même s’ils n’en ont jamais croisé, n’ignorent rien des trolls, c’est un vrai choc pour Jean-Lu d’en découvrir deux pour de vrai !

– Bonjour ! je commence en levant les mains en signe de paix. Une grande joie illumine mon cœur, frère et sœur trolls ! Tandis que, partis à l’aurore, nous nous dirigions d’un pas alerte vers le splendide sanctuaire qui…

– Stop ! proteste le troll en levant les yeux au ciel. On sait pourquoi vous êtes ici. L’Association nous a contactés. Inutile de te lancer dans un soliloque interminable !

« Effectivement, ils te connaissent !

– Ferme-la, Ombe. »

– Il y en a une qui t’attend avec impatience, Jasper, poursuit la trolle avec un clin d’œil.

– Ah oui ? je réponds en me raclant la gorge, devinant parfaitement de qui il s’agit (ou elle s’agite, en l’occurrence).

– En route, annonce le troll ventru à mon grand – et lâche – soulagement. On ne va pas prendre racine ici alors que de la viande est en train de griller dans la clairière !

– De la viande ? s’inquiète Jules tandis que nos hôtes nous invitent à les suivre.

– Des intrus qui n’ont pas eu la chance d’être recommandés par l’Association, je précise avec un soupir appuyé (la frousse récurrente de mon camarade stagiaire me donne envie d’en rajouter).

– C’est qui, cette personne qui t’attend impatiemment ? me demande Nina en écartant les feuillages chargés de rosée.

– C’est sûrement Arglaë, je fais, en essayant de prendre l’air dégagé. La sœur d’Erglug. Une fille plutôt sympa…

J’écope d’un regard noir.

– Je ne t’en ai jamais parlé ?

– Jamais.

Voix glaciale.

Ça va être chaud !

– Jasp ?

C’est au tour de Jean-Lu.

– Ce sont… des trolls, ces… ces gens énormes et poilus ?

– Assurément, ce ne sont pas des danseuses de ballet, je m’énerve devant tant d’évidence.

– Alors… ils existent en vrai ?

– Je te l’ai dit !

– Je croyais que…

– Je t’ai dit aussi – mettant ainsi les points sur les i une bonne fois pour toutes – que le monstre qui t’a démonté à l’hôtel Héliott est un loup-garou. Est-ce qu’il faut que je t’en montre un autre pour que tu te décides à me croire ?

– Non, je… Ça ira, termine-t-il, vaincu.

Je suis dur, peut-être, mais certaines révélations sont mieux acceptées quand elles sont brutales.

De plus, il faut que je garde ma diplomatie – et ma patience – pour gérer la rencontre de Nina avec Arglaë.

Enfin, le point positif, c’est que nous sommes à présent en sécurité. J’ai eu, pendant le trajet jusqu’au bois, le sentiment désagréable d’être suivi. Paranoïa ? Peut-être. Mais je plains le Milicien inconscient qui déciderait de poser, sans y être invité, le pied sur cette île !

4

– Fulgence ? Ici Walter. Rose et moi sommes dans mon bureau. J’ai branché le haut-parleur afin que nous puissions intervenir tous les deux. Vous m’entendez ?

– Je vous entends, Walter.

– J’en suis heureux. Jusqu’à présent, vous ignoriez nos appels. Vous avez même fait la sourde oreille quand j’ai essayé de vous parler, au cimetière. Quelle évolution !

– Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis.

– Je suis d’accord avec vous. Alors, allons droit au but : depuis des années, nous entretenons des relations de confiance avec le Bureau central. Nous travaillons sereinement à la résolution des crises touchant le monde anormal, et, hormis les affaires de la MAD que vous gérez seul, nous avons un libre accès à toutes les informations. Malheureusement, cela fait quelques mois que le mécanisme est grippé. Ainsi, nous nous posons beaucoup de questions et ne parvenons pas à avoir de réponses… Fulgence, bon sang ! Expliquez-nous ce qui se passe !

– Je ne vous dois rien, Walter. Ni à vous ni à votre Bureau.

– La discussion commence mal…

– Que tout soit bien clair. C’est vous qui m’appelez. C’est vous qui avez besoin de moi.

– Je ne crois pas, Fulgence. Comme je vous l’ai dit, nous essayons de vous parler depuis longtemps. Sans succès. Le fait que vous ayez répondu aujourd’hui prouve que vous attendez quelque chose de nous !

– Puisque nous optons pour la franchise, Walter…, c’est exact.

– Bonjour Fulgence. Je voudrais savoir pourquoi la MAD s’en est prise aux Agents stagiaires Ombe et Jasper.

– Rose… Je suis content de vous entendre.

– Répondez-moi, s’il vous plaît.

– Je ne suis pas en mesure de le faire.

– La MAD est-elle impliquée dans l’assassinat du Sphinx ?

– Non, Rose.

– La MAD a-t-elle joué un rôle dans le vol du corps de l’Agent stagiaire Ombe ?