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Une fuite. Une série de fuites. Une avalanche de dérobades et de non-choix qui me permettent aujourd’hui de passer pour le glorieux chevalier blanc !

Lamentable.

– C’est vrai ? reprend Nina en levant sur moi ses grands yeux.

– Je te jure, je dis en faisant un effort pour revenir dans la conversation. Et maintenant, elle a flashé sur Jean-Lu.

Nina semble rassérénée.

– Ils vont bien ensemble, je trouve, embraye Nina.

– Tu as raison, j’en rajoute, heureux de son revirement. Jeanglug ! Jeanglug Grossbouf berk Papageï !

Elle rit. C’est bien. Hiéronymus n’a-t-il pas dit un jour : « Si tu es gaie, ris donc » ?

Elle rit, donc, et accepte un morceau de ma viande.

« Quand femme mange, femme ange » (Saint-Langers, pour changer).

Ombe a-t-elle raison ? Est-ce que je fais ces efforts pour ne pas blesser Nina ? Parce qu’elle m’a sauvé la vie et que je me sens redevable ? Ou pour nous laisser une chance ?

Ombe m’a demandé si j’avais des sentiments pour Arglaë. Je crois que oui. Mais pas de l’ordre de l’intime. De la même façon que, dans un environnement étranger, la découverte d’un visage familier rassure, il suffit à mon amie trolle d’exister. Elle appartient à cette constellation qui éclaire mon ciel personnel. Comme Jean-Lu, mademoiselle Rose et Walter. Et ma mère. Et Nina ?

Poser une question, c’est déjà y répondre…

6

– Walter ? Je voudrais vous montrer quelque chose.

– Rose ? Bon sang, mais vous êtes toute pâle ! Qu’est-ce qui se passe ?

– J’ai dû pratiquer une forme de magie dont je n’ai plus l’habitude. Ça m’a épuisée. Quant à ce que j’ai découvert…

– Asseyez-vous, Rose. Prenez quelques minutes pour récupérer. Bien. Alors, qu’avez-vous découvert ?

– J’ai essayé de pirater l’ordinateur central de l’Association.

– Je n’y aurais jamais pensé !

– Je sais, Walter. Vous êtes de la vieille école !

– N’exagérez pas, nous avons presque le même âge.

– Je vous taquine, Walter.

– Et moi je marche, bêtement… Continuez, Rose.

– J’ai réussi à contourner les systèmes de défense, très efficaces d’ailleurs – bravo aux informaticiens de l’Association ! J’ai utilisé le sortilège du Maître du Donjon. J’entre dans les détails ?

– Inutile, je vois très bien de quoi il s’agit.

– Mon objectif était de dénicher des ordres de mission impliquant la MAD dans les affaires qui nous concernent…

– La MAD et Fulgence.

– Avec un flagrant délit de mensonge du grand patron, on aurait su à quoi s’en tenir, non ?

– Vous avez trouvé ces documents !

– Rien d’officiel, malheureusement. Par contre, dans l’ordinateur personnel de Fulgence, je…

– L’ordinateur de Fulgence ?

– Ne soupirez pas, Walter.

– Je ne soupire pas, Rose.

–Dans les dossiers de Fulgence, donc, j’ai découvert ce courrier. Lisez plutôt :

Chère Lucile, cher Romuald,

C’était votre première mission et vous l’avez brillamment réussie ! Montée de main de maître, parfaitement menée ! La formation que vous avez reçue porte enfin ses fruits.

Si la tâche à accomplir reste grande, avec vous à mes côtés, je me sens désormais plus fort.

La décision de tuer le Sphinx n’a pas été facile à prendre. Mais il fallait à tout prix que l’Ennemi soit neutralisé et c’est chose faite, maintenant qu’il est accusé de ce forfait. Nous pouvons nous concentrer à nouveau sur l’essentiel : le renforcement de la Barrière…

Je ne suis pas en mesure de vous féliciter moi-même. Je dois rester à l’abri pendant quelque temps encore. Mais sachez-le : je suis très fier de vous !

Fulgence

– Walter ? C’est vous qui êtes pâle, maintenant.

– Rose, je… C’est terrible !

– Bien plus que ça, Walter. Fulgence a commandité le meurtre du Sphinx ! Vous mesurez ce que ça implique ?

– Il est de mon devoir, Rose, de vous rappeler qu’un simple courrier électronique ne constitue pas une preuve.

– Je sais. J’ai commis une erreur sous le coup de l’émotion en accusant Jasper, je ne la renouvellerai pas. J’aurais dû mener une véritable enquête. Mais les informations contenues dans ce courrier sont troublantes !

– Extrêmement troublantes ! Prenons les éléments dans l’ordre. Un : Fulgence aurait formé des agents en dehors du cadre de l’Association et les aurait infiltrés dans l’entourage d’Ombe et de Jasper. Deux : Fulgence se sentirait investi d’une importante tâche à mener. Trois : il n’aurait pas pris la décision de tuer le Sphinx de gaieté de cœur. Quatre : son objectif final resterait de neutraliser un Ennemi, ultime si on considère la majuscule…

– Ennemi qui pourrait être Jasper, puisque Fulgence se réjouit qu’il soit accusé de ce crime ! Même si je ne comprends pas pourquoi Jasper effraye tant le chef de l’Association.

– Se réjouirait, Rose. L’emploi du conditionnel s’impose.

– Ce qui n’est pas clair, en revanche, c’est cette phrase : « Nous pouvons nous concentrer à nouveau sur l’essentiel : le renforcement de la Barrière. » Ça ne colle pas. Tuer le Sphinx, c’est affaiblir la Barrière, pas la renforcer !

– À croire Fulgence, pourtant, neutraliser Jasper contribuerait à consolider la Barrière. Ça ne vous semble pas étrange ?

– Et pourquoi Fulgence devait-il rester caché ? De quoi avait-il peur ?

– En guise de réponses, Rose, nous avons surtout récolté de nouvelles questions !

– Pas tout à fait, Walter. Nous avons au moins l’explication de l’acharnement de Fulgence contre Jasper. Si Jasper est à ses yeux l’Ennemi, on comprend mieux pourquoi il a lancé la MAD plusieurs fois sur lui. Et pourquoi il exige qu’on le lui livre aujourd’hui.

– La dispute de ce matin ne serait alors pas une cause mais un dénouement…

– Et Jasper, en s’opposant à Fulgence, a confirmé la menace qu’il représenterait à ses yeux !

– Qu’est-ce que Jasper nous cache, Rose ?

– Sincèrement, Walter ? Je n’en ai pas la moindre idée.

7

Tandis que Nina disserte avec une matrone trolle sur les bienfaits des crudités, je déambule au hasard, m’enfonçant sous les arbres à la recherche d’un peu de solitude. Ma tentative pour démêler mes sentiments m’a flanqué un bon coup de blues et j’ai besoin d’être seul pour la digérer.

Je profite par ailleurs d’une tranquillité devenue rare en ce moment. Franchement, qui aurait pu penser qu’on se sentirait en sécurité au milieu des trolls ?

Une main énorme se pose sur mon épaule.

Je sursaute et, poussé par un réflexe que je ne croyais pas posséder, me retourne avec vivacité, prêt à en découdre.

– Bonsoir, jeune mage nerveux ! Je suis trollement content de te voir.

– Erglug !

« Erglug ? »

Erglug. Trois cents kilos de muscles, deux mètres de hauteur, large comme une armoire à glace et puissant comme une tractopelle, une denture à faire pâlir de jalousie un alien et un pagne en peau de bête duquel nul n’oserait se moquer.

Mon ami troll, goinfre et philosophe, se tient devant moi et je me rends compte à ce moment précis combien il me manquait.

Je me jette dans ses bras.

– Eh bien, en voilà des manières ! commente Erglug d’une voix moqueuse. Mais il vrai qu’Alcuin disait de l’amitié qu’elle est la similitude des âmes. Ou des ânes, je ne sais plus !