Выбрать главу

– On s’est présentés, Maître ! Ne sommes-nous pas tous les deux vos serviteurs ?

– Tu parles, euh, le corbeau ?

– Pas vous, Maître ?

– Euh, non, enfin, pas vraiment. Je parle le fafnir, c’est déjà pas mal.

Et dire que je me croyais cinglé en dialoguant dans ma tête avec Ombe ! Voilà que je cause à un démon prisonnier d’un miroir qui taille une bavette avec un sortilège piégé dans un cadavre de corbeau…

– Maître ? reprend Ralk’ du fond de ma sacoche.

– Quoi encore ?

– J’entends mais je ne vois pas. Ne croyez pas que je me plains, Seigneur, mais votre interlocutrice ne m’est pas inconnue ! Si je pouvais jeter un coup d’œil…

Décidément, je vais de surprise en surprise avec mes acolytes ! Ralk’, démon prisonnier, a déjà rencontré une fille qui était encore, il y a dix jours, Agent de l’Association ?

– Ce n’est pas une vilaine ruse de ta part, hein, Ralk’ ? je réponds sur un ton menaçant.

– Maître !

Son indignation est sincère.

J’ouvre donc ma sacoche, en sors le miroir de manière qu’il soulève légèrement le rabat. La brume noire qui constitue l’essence de Ralk’ se précipite à l’endroit découvert.

– Alors ? je m’enquiers.

– Désolé, Maître. Je ne l’ai jamais vue. Mais le halo mystique qu’elle dégage m’est familier ! Cette fille n’appartient pas à ce monde.

Halo mystique ? Pas de ce monde ? Qu’est-ce que Ralk’ veut dire ?

L’Ombe étrange reprend la parole, m’empêchant de mettre de l’ordre dans mes pensées.

4

– Ton miroir magique dit vrai, Jasper.

La tristesse qui imprègne chacun de ses mots me serre le cœur. Je la laisse poursuivre son monologue.

– J’étais morte, continue-t-elle. Je le suis toujours et pourtant je vis. Par le plus sombre des artifices. Par la plus noire des magies.

Chaque phrase est un déchirement. Je ne suis pas le seul à souffrir puisque j’entends, dans ma tête, Ombe hoqueter.

– Une prophétie vampire annonce depuis longtemps la venue d’une reine qui mènera son peuple au-dessus des autres. Par un incompréhensible coup du sort, les plus fanatiques de mes sujets ont décrété que j’étais celle-là…

Bien sûr ! Les trois goths venus me voir au Ring avec les photos d’Ombe figuraient parmi les vampires montant la garde…

Goths save the queen.

Ça fait enfin tilt !

Le coup du sort dont elle parle a pris l’apparence d’un magazine de mode et d’un article vampiro-gothique pondu par un photographe en mal d’imagination…

– Eusèbe n’est plus roi ? je m’enquiers pour la forme.

Elle secoue la tête.

– Quand je suis morte, continue-t-elle, les vampires ont volé mon corps et ont passé un pacte avec un nécromancien. Celui-ci me ramenait à la vie afin que je devienne la fameuse reine de la prophétie ; en échange, la communauté des vampires renonçait aux contrats en cours pour n’accepter que les siens.

Je crois, hélas, que je connais le sorcier en question.

Pourquoi est-ce que je ne suis pas surpris de savoir Siyah derrière tout ça ?

Ce coup tordu lui ressemble. Sa perversité également.

– Le nécromancien…, je demande, il est maigre, habillé tout en noir, avec une barbiche et un bandeau sur l’œil ?

Elle secoue la tête.

Tiens ! Ce n’est pas Siyah ?

Ma curiosité est piquée au vif et j’attends qu’elle m’en apprenne davantage.

– Le sorcier dont je parle est très grand, avec des cheveux blancs. Il s’habille comme un prince.

J’ai l’impression qu’elle vient de décrire Fulgence !

Bon sang… Fulgence en sorcier réveilleur de morts !

Le chef de la MAD se révèle plus fou que ce que je croyais : il a fait assassiner Ombe par ses sbires, avant de la ressusciter…

La tête me tourne.

Mais pourquoi ?

Indifférente à ma stupeur, elle poursuit :

– Le sortilège du sorcier a réveillé mon corps et ma conscience résiduelle. J’ai cherché à découvrir qui j’étais, en fouillant ma mémoire, en retournant sur les lieux de mon passé. J’ai découvert que je n’étais ni une reine ni une vampire. J’ai essayé d’avertir mes sujets. Ils m’ont enfermée dans ce bâtiment. Depuis, je ne fais que plonger en moi pour comprendre ce que je suis devenue.

La pièce me paraît soudain trop petite.

J’étouffe, assailli par ces nouvelles révélations.

Où est Ombe ? Où est la véritable Ombe ?

Je pose la question mais je possède déjà la réponse : Ombe est en moi, amputée de son corps, mais également là, devant mes yeux, privée de son essence.

– Comment… Comment le nécromancien s’y est-il pris pour te ramener à la vie ? je demande en me raccrochant à des détails pour ne pas perdre pied.

Ombe a réagi à sa manière aux ondes de choc ; elle s’est enfuie, elle s’est enfouie en moi, comme elle sait le faire pour échapper à ce qui lui échappe…

Celle que les vampires considèrent désormais comme leur reine hausse les épaules.

– La magie démonique est terriblement compliquée.

J’ai entendu démonique ? Avec un d comme « démon » ?

– De la magie… démonique ? je répète bêtement.

Ma voix déraille.

– Oui, Jasper, assène tranquillement la reine. Le nécromancien est un démon.

Fulgence.

Un démon.

Je n’en reviens pas !

– Tout comme toi, annonce-t-elle sans émotion particulière. N’as-tu pas ramené un corbeau à la vie en usant de cette même magie ? Un corbeau qui s’est senti irrémédiablement attiré par moi, comme le sont deux âmes sœurs. Sans âme.

Fafnir.

J’ai l’explication de son étrange comportement ! N’est-ce pas dans un traité de démonologie que j’ai trouvé la formule utilisée dans mon laboratoire ?

Du calme. Une information à la fois !

Walter et mademoiselle Rose sont-ils au courant pour Fulgence ?

J’imagine que non !

– Lokr’ ! Ça y est, Maître, je me rappelle ! Ah, ça me travaillait depuis tout à l’heure. L’empreinte laissée chez cette fille porte la signature de Lokr’ !

– C’est un démon ? je demande stupidement, alors que je sais très bien que les noms démoniaques sont remplis de k et de r détachés.

– Un démon Majeur, Maître. Très, très puissant. Il…

Un vacarme éclate dans mon dos et m’empêche d’entendre Ralk’ s’épancher sur le cas de Lokr’. La porte de l’appartement vibre sous des coups rageurs.

Mon intrusion a été découverte.

– J’allais oublier, Jasper, dit encore la reine depuis son fauteuil, indifférente à l’effervescence grandissante. Le premier contrat que j’ai signé avec le sorcier nécromancien te concerne : il te veut, vivant de préférence, mort si on ne peut pas faire autrement.

Avec un chronométrage parfait, la porte cède brutalement et un groupe compact de vampires se rue dans la pièce.

Leur chef m’aperçoit et s’arrête net sous le coup de la stupeur.

Stupeur réciproque, il faut l’avouer.

Séverin en personne, tout feu tout flamme…

Le seul dont la surprise n’a pas cloué le bec, c’est Fafnir ; son «Tok-tok-tok» résume la situation à merveille.

5

– Quelle heureuse surprise !

On s’en doute, ce n’est pas moi qui parle.

– Tout le bonheur est pour toi, je réponds donc à Gueule de charbon.

Derrière Séverin, une impressionnante brochette de vampires est prête à bondir.

Fafnir pousse un long « kraaa » puis quitte mon épaule, plane un moment dans la pièce, l’œil aux aguets. Il s’empare bientôt d’un tee-shirt, le tee-shirt récupéré par la reine dans l’appartement d’Ombe.