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– Ah, ah ! Merci quand même. »

Quand Ombe est d’humeur taquine et que Ralk’ fait le mort dans ma sacoche, ça signifie que ça va chauffer… Je quitte l’abri du mur, me dévoilant aux yeux de mes amis – et de mes ennemis.

6

Je lis de la stupéfaction dans les regards.

Puis de la joie dans celui de Nina, de Walter et de mademoiselle Rose.

De l’inquiétude dans ceux des mages.

De la perplexité, enfin, chez Fulgence.

Nina me hurle quelque chose mais je ne l’entends pas. Le son ne traverse pas l’étrange enveloppe qui les protège.

Tant mieux.

Elle n’entendra pas les cris de douleur de ceux que je m’apprête à pourfendre. Et elle ne me déconcentrera pas avec ses encouragements.

Sans laisser le temps aux gebbets et à Fulgence-Lokr’ de réagir, je rassemble autour de moi les esprits guerriers et désigne leurs cibles d’un geste théâtral (comme dans le parchemin d’Otchi) :

– A roita, fairi ! A roita, fairi ! En chasse, esprits ! Nal ehti ! Nal ehti ! Soyez des lances ! A nwalyal araucori ! A nwalyal araucori ! Tourmentez les démons ! A etelehtal istari ! A etelehtal istari ! Délivrez les bons magiciens !

Feulant d’excitation, les serpents de brume bondissent en direction des mages, déclenchant une indescriptible cohue.

Ceux qui tentent de quitter le cratère trébuchent en escaladant la pente cendreuse. D’autres lancent des sorts imprécis que les esprits n’ont aucun mal à éviter.

Seul Fulgence reste indifférent à la bataille qui s’est engagée. Ses cheveux blancs flottent derrière lui. Ses bras pendent le long de sa veste immaculée. Il darde sur moi, resté au-dessus du trou, un regard terrible, que je mets un point d’honneur à soutenir.

Soudain, un esprit-serpent bondit sur le chef de l’Association, la gueule ouverte. Avec une rapidité étonnante, Fulgence l’attrape par le cou.

Je dis bien : l’attrape, alors que l’esprit est fait de fumée !

Il me semble (à moins que ce ne soit mon imagination) entendre des vertèbres craquer. L’esprit tombe au sol, où il se dissout, agité de convulsions.

Prévenus, les autres restent à distance et concentrent leurs attaques sur les mages.

Un esprit plus agressif parvient à s’engouffrer dans la poitrine d’un mage. Il en arrache une entité informe et ténébreuse, qui se débat en vain.

Le sorcier libéré tombe sur le sol, hébété, tandis que l’esprit guerrier dévore la ténèbre démoniaque plaquée au sol.

Le même phénomène se répète à plusieurs reprises et les cinq mages sont bientôt débarrassés de leur hôte monstrueux. Les moins choqués s’empressent de fuir, entraînant leurs confrères restés dans un état de stupeur.

J’hésite à les poursuivre.

À quoi bon ? Ces malheureux n’étaient pas eux-mêmes quand ils ont aidé Dryden et protégé les Miliciens. Les démons qui les manipulaient sont morts. Ma vengeance (si elle a encore un sens) est accomplie.

Fulgence n’a pas esquissé un geste pour les aider ou les retenir. Il continue de me fixer. Puis il lève sa canne et la plante dans le sol, me lançant un défi.

– Maintenant, c’est entre toi et moi, Jasper ! annonce-t-il d’une voix puissante. Tes amis sont à l’abri mais ils ne peuvent t’aider ! Quant aux esprits que tu as invoqués, ils ne font pas le poids et ils le savent !

Effectivement, les esprits guerriers, leur tâche accomplie, se dispersent sans un regard en arrière.

Il faudra que je note dans mon Livre des Ombres, à côté de tout ce que je dois encore écrire au sujet des démons et des morts-vivants dont je suis devenu en quelques heures un expert, que les esprits-serpents et les sortilèges trouillards ont de nombreux points communs…

– Tu ne me fais pas peur, Lokr’ ! je réponds sur le même ton.

Un large sourire éclaire son visage.

– Tu as appris certaines choses, on dirait ! En ce cas, permets-moi de t’appeler par ton vrai nom : Jasp’r !

Jasp’r ?

« Jasp’r ! C’est une blague ?

– Il ne donne pas l’impression de plaisanter, Ombe. »

– Nos noms portent la marque de notre statut, mon Seigneur, chuchote Ralk’ qui a senti mon trouble. Ainsi, les Maîtres démons comme vous arborent le ’r

– Et les démons Majeurs utilisent le r’.

– C’est exact, Maître. Les démons mineurs, quant à eux, portent le r au début de leur nom.

– Les démons de même catégorie sont-ils tous semblables ?

– Non, Maître. Il y a, par exemple, des démons mineurs stupides et des démons mineurs brillants, des démons Majeurs brutaux et des démons Majeurs pacifiques. Bien que ce dernier cas soit relativement rare.

– Et Lokr’ ? je demande pour clore mon interrogatoire.

– C’est un démon Majeur ambitieux, mon Seigneur, aussi puissant qu’un Maître démon.

Je sais que je n’obtiendrai rien de plus de sa part puisqu’il est reparti se cacher au fond de ma sacoche.

« Jasp’r… Ça me fait tout drôle de prononcer ton nom comme ça.

– Alors, continue à dire Jasper… Omb’r ! »

Je ne vais pas plus loin.

Parce que d’Omb’r à ombre il n’y a qu’un pas (douloureux ) à faire.

Et parce que Fulgence-Lokr’ attend que je relève son défi.

Je pourrais essayer d’appeler des esprits plus puissants, utiliser avec ma faible expérience le tambour d’Otchi. Ou prendre mes jambes à mon cou. Mais cela ne servirait à rien.

Cet affrontement est prévu depuis toujours.

Il est écrit quelque part, au cœur de la roche, dans le froissement du vent.

Il va se dérouler maintenant.

7

Je saute dans la fosse.

En bas, pas de clameurs. Pas de spectres-acteurs.

Seulement Fulgence et moi.

Et trois membres de l’Association qui assistent à la scène, impuissants, comme des insectes emprisonnés dans une goutte d’ambre.

J’attaque sans perdre de temps.

Comment se déroulent les duels entre démons dans le Nûr-Burzum ? À mains nues ? À l’aide de sorts ? Avec des armes ?

En l’absence d’informations, j’y vais comme un boxeur. Coup de poing figure, crochet, coup de pied au foie, coup de pied dans le genou.

Fulgence encaisse ou pare mes assauts sans difficulté. Je frappe pourtant de toutes mes forces. Mais mon adversaire compte vingt centimètres et trente kilos de plus que moi…

Mademoiselle Rose, Walter et Nina sous leur bulle hurlent des encouragements (j’imagine) que je n’entends pas.

Soudain, il contre-attaque.

Ses coups pleuvent si vite que j’en esquive seulement un sur deux. Je ne tarde pas à être sonné.

– Que croyais-tu, jeune imbécile ? lance Fulgence avec mépris. Que tu avais une chance de me vaincre ?

– Vaincre ou perdre, c’est une chose, je réponds, essoufflé, en paraphrasant Gaston Saint-Langers ; se battre en est une autre.

– Tu parles là comme un Maître démon, Jasp’r, reconnaît-il. C’est dommage qu’il me faille te tuer.

J’évite de justesse un coup à la gorge.

– Pourquoi m’en vouloir à ce point alors que nous appartenons à la même espèce ? je lui demande pour essayer de le déconcentrer.

– Justement pour cela. Tu en connais si peu sur ta propre nature !

– C’est vrai, Lokr’. Il y a une semaine, j’étais encore un humain normal, enfin, paranormal.

Je m’écarte un poil trop tard et un uppercut me racle la joue. Ça fait hyper mal ! De colère, je riposte par une frappe à l’entrejambe. Fulgence pousse un grognement de souffrance mais ne ralentit pas pour autant la cadence de ses coups.

– Puisque tu vas mourir, m’annonce-t-il, tu as le droit de savoir.