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– Une confrontation que vous avez pourtant tenté d’éviter, je constate en sentant la colère monter en moi. En chargeant vos miliciens de nous assassiner !

– Je l’avoue, et cela m’a permis d’éliminer ta sœur. Mais pas seulement : j’ai également eu le plaisir immense de profaner la fille de mon ennemi, en ramenant son cadavre à la vie !

– Vous avez formé vos rejetons pour rien, je lance d’une voix rendue tremblante par une violente bouffée de rage. Est-ce qu’ils sont ici, à vos côtés ? Non. Et je vais vous dire pourquoi : vous avez enfanté des démons Majeurs, alors que Khalk’ru a fait d’Omb’r et moi des Maîtres démons ! Lucilr’ et Romualdr’ n’étaient pas de taille.

Je le vois étonné pour la deuxième fois de la journée.

– Tu insinues que…

– Je leur ai mis une bonne raclée avant de les confier à mes amis trolls. Ils doivent avoir battu le record du nombre de baffes encaissées !

À l’expression qui envahit le visage de Fulgence, je devine que le temps des confidences est révolu.

9

Manifestement, Fulgence-Lokr’ a décidé de passer à la vitesse supérieure. Il incante à toute vitesse. Le Parler Noir coule de sa bouche, fluide et naturel. Et moi je le regarde comme un idiot, admiratif, au lieu de construire un pentacle pour me mettre à l’abri !

Pareilles à des champignons vénéneux, des volutes noirâtres naissent bientôt du sol. Après quelques hésitations, elles adoptent la forme approximative de crabes, de la taille d’une assiette. Une vingtaine d’abominations surgies de nulle part frétillent bientôt au pied de leur maître.

La voix de Fulgence tonne à mes oreilles :

– Mon fils adore mes crabes fantômes. Il en a même fait une chanson, je crois ! Pour le venger, je t’offre de les rencontrer en vrai !

Les Crabes fantômes, en effet, c’est une chanson que Romu a composée pour Alamanyar. L’autre Romu, celui que j’appréciais, le garçon doux et attentionné, celui qui écrivait : « Les libellules s’aiment dans les nénuphars languides ». Et non le psychopathe que j’ai dû affronter, celui de : « Les crabes fantômes déambulent au milieu des barbares translucides. »

– Allez mes jolis, susurre Fulgence. Taillez-le en pièces !

La meute des crabes se rue sur moi, dans un grand bruit de pinces qui claquent.

« Beurk ! Répugnant. »

Heureusement, je n’ai pas oublié ce que Ralk’ m’a dit au sujet des démons et de leurs peurs.

Je plonge la main à l’intérieur de ma sacoche et fouille jusqu’à tomber sur un flacon moucheté contenant mon huile de millepertuis.

Je la débouche et répands l’huile autour de moi dans un cercle parfait, en prononçant quelques mots elfiques :

– ’a araucor etementëa, a tapa ulundor ! Ya araucor etementëa, a tapa ulundor ! Millepertuis, bloque les créatures hideuses !

La marée ténébreuse et cliquetante se brise contre ma protection.

Fulgence n’apprécie pas du tout ma réaction.

D’autant qu’il doit très vite tracer un pentacle démonique autour de lui pour se protéger des crabes fantômes surexcités.

Nous voilà à quelques mètres l’un de l’autre, séparés par un grouillement ténébreux.

Je ne ressens aucune envie de plaisanter et Fulgence-Lokr’ retient ses insultes. Les mots sont devenus inutiles. Le silence qui nous environne, perturbé çà et là par des cliquetis furieux, acquiert une densité extraordinaire.

Mon ennemi me jette des regards de pure haine que je soutiens sans broncher. Je sens chez lui un grand pouvoir, attisé par une colère brûlante. Je préfère ne pas imaginer sa puissance avant qu’il franchisse la Barrière !

Au-dessus de ma tête, le ciel reste vide de tout Fafnir. Mon sortilège préféré ne réitérera pas l’exploit des sous-sols de l’hôtel contre le monstrueux lycan.

Celui qui a pris sa place à mes côtés est un démon mineur, qui tremble au fond de ma sacoche.

Je suis (encore et toujours) seul.

Je me tourne vers le champ de force, vers mes amis.

Nina pleure et tambourine contre la paroi. Walter me regarde d’un air désolé et mademoiselle Rose a du mal à contenir sa fureur.

Ma seule consolation, c’est qu’ils n’ont rien entendu des confidences de Fulgence. À leurs yeux, je ne serai jamais un démon, mais ce que j’ai toujours voulu devenir : un Agent de l’Association, bientôt mort en faisant son devoir.

10

Je secoue la tête pour chasser ces pensées défaitistes. Aucun combat n’est perdu – ni gagné – d’avance ! Je dois trouver le moyen de m’en sortir.

Le problème, c’est que mon adversaire est plus fort que moi, que ce soit au pugilat (mes côtes douloureuses me le rappellent à chaque instant) ou en magie.

Si j’arrivais à me rendre de nouveau invisible, je disposerais d’un avantage appréciable. Mais comment réaliser le sortilège des roses… sans rose ?

Une idée me traverse l’esprit.

Je plonge la main dans ma sacoche et cherche une améthyste parmi les pierres qui tapissent le fond. Il s’agit d’ouvrir une porte, non ?

Avant ça, je dois faire le ménage et me débarrasser des crabes fantômes.

Je fouille à nouveau dans la besace.

Est-ce que j’ai pensé à renouveler mon stock ? Je tombe sur plusieurs feuilles de laurier attachées par une ficelle. Je les prends toutes.

Je sors ensuite un sachet en plastique.

Malachite, zut.

Tourmaline. Rezut.

Enfin, je trouve la poudre de calcite.

Je réduis les feuilles en morceaux dans le creux de mes mains.

L’avantage de ne pas avoir dessiné de pentacle, c’est que je n’ai pas besoin de le briser pour en sortir. Le millepertuis répandu autour de moi restera actif si je prends soin de ne pas le disperser.

Je bondis donc hors de mon cercle, jette le laurier sur les crabes de Fulgence, puis regagne ensuite l’abri du millepertuis.

– Aa tapppe ulunnnndor, orrrnë mahttttarwaaa ! Bloque les créatures hideuses, arbuste du guerrier ! 

Une mélasse suintant du sol emprisonne aussitôt les pattes des crabes fantômes qui, d’affolement, font crisser leurs pinces de manière atroce.

J’ai le plaisir de voir Fulgence-Lokr’ blêmir.

Avant qu’il comprenne que mes intentions ne s’arrêtent pas là, je sors une nouvelle fois de mon cercle et saupoudre la masse ténébreuse avec la calcite broyée, dévoreuse d’énergie.

– Aaa uuurta ulunnnndor, sarrr calimmma !  Brûle les immondes créatures, pierre brillante ! 

Les grains de calcite deviennent aussitôt incandescents. Les crabes grésillent et sifflent de colère.

C’est maintenant que ça se corse.

Parce que si je suis libre de quitter mon cercle, Fulgence l’est tout autant.

– Tu es fou, gronde Fulgence-Lokr’. Maintenant, tu vas mourir.

Je serre très fort dans ma main le morceau de quartz violet et ferme les yeux, en essayant de ne pas penser aux menaces du démon.

Puis je cherche une voie d’accès au Multivers.

Les mots de haut-elfique emplissent naturellement ma bouche (je prends garde de ne pas utiliser le Parler Noir) :

– Helin imirin ! Equen anyë tulya i ettelenna tingala landassë ho Ambar ! Helin imirin ! Equen, anyë tulya i ettelenna tingala landassë ho Ambar ! Violette de cristal ! Je dis : conduis-moi vers des terres étrangères vibrant sur la frontière des mondes !

Sous l’impact du quenya, Fulgence recule d’un pas, m’accordant les précieuses secondes nécessaires pour que la magie se mette en route.

Un bourdonnement grave indique que le sort a pleinement réussi. La lumière pâlit et se voile. Les contours du cratère se nimbent d’un flou laiteux.

Je suis là et ailleurs, en équilibre.

Loin des ruines.