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Je serre les poings. Siyah va le regretter.

Si je me sens d’attaque, ce n’est pas le cas du mage noir. Les passages d’un monde à l’autre réclament de l’énergie et, si puissant soit-il, Siyah n’est qu’un homme. Normal ou Paranormal, c’est (presque) pareil.

– Une fatigue passagère ? je demande, tandis qu’il peine à retrouver son souffle.

Je lui assène un grand coup de boule sur le nez.

Le sang gicle.

Il pousse un cri de souffrance et recule en titubant.

J’enchaîne avec un énorme coup de poing qui l’envoie à terre.

Il crache une dent, avant de ricaner :

– Tu te crois fort, hein, démon ? Tu aurais dû accepter la proposition de ton père. Dans le Nûr-Burzum, ils t’auraient adulé. Ici, ils vont te craindre et te détester. L’Association te chassera, tes amis te fermeront leur porte et te regarderont avec horreur. Je suis peut-être un traître mais j’appartiens à ce monde ! Pas toi !

Les mots du mage produisent l’effet escompté.

Toute ma vie a été conditionnée par la question pesante du « où vais-je ? ». S’est ajoutée depuis quelque temps celle du « qui suis-je ? », qui n’est pas moins lourde.

Le mage noir met le doigt là où ça fait mal (et pas dans l’œil, cette fois). Comme si les problèmes spécifiques de l’adolescence ne suffisaient pas !

Je ressens l’absence d’Ombe dans toute sa cruauté. Elle aurait relativisé, elle m’aurait consolé, elle aurait trouvé les mots.

Elle m’aurait dit : « Ne l’écoute pas, Jasper. C’est un vieillard aigri ! Toi aussi, tu es de ce monde, à moitié en tout cas. »

Elle aurait ajouté : « Fais gaffe, Jasp ! Il cherche à t’embrouiller ! Ne te déconcentre pas ! »

Et elle aurait eu raison.

Parce que Siyah, basculant sur le côté, sort de sous son manteau un Taser de la MAD.

7

Siyah agite l’arme sous mon nez avant de se mettre hors de portée.

– Tu le reconnais ? exulte-t-il. C’est un joujou comme celui-là qui a dégommé ta sœur ! Il libère un flux mystique mis au point par Lokr’, qui connaissait bien les démons et leurs faiblesses !

– J’ai affronté un Milicien qui avait le même et je suis toujours vivant, je crâne, en omettant de préciser que je possédais alors un bouclier runique.

– J’ai apporté à cet exemplaire quelques modifications personnelles, me confie Siyah avec gourmandise.

– Et ensuite ? je lance avec un mépris calculé. Tu as tout perdu. Tu n’es plus rien ! Tu ferais fuir une goule avec ta gueule ! Pire, tu te prendrais un vent avec un vampire !

Pendant que j’occupe son attention, j’ouvre ma sacoche et attrape discrètement le miroir.

– L’avenir ne te concerne plus, démon, répond Siyah en grimaçant. À vrai dire, il m’intéresse à peine. Seul compte cet instant. Je l’attends depuis si longtemps !

Sa bouche s’ouvre dans un sourire horrible (le sang et la dent manquante…).

Il tire.

Une fraction de seconde avant que son doigt écrase la détente, je sors le miroir de mon sac et le brandis devant moi.

Le flux d’énergie blanche craché par le canon du Taser trafiqué percute l’objet de verre et de métal.

Un hurlement inhumain résonne au milieu des ruines.

Ce n’est pas moi qui l’ai poussé.

Ni Siyah qui regarde, stupéfait, le miroir absorber les flammes froides.

C’est Ralk’.

– Désolé, vieux, je murmure tristement. C’était toi ou moi.

Au moment où je me décide enfin à bouger, un phénomène curieux se produit : l’énergie blanche reflue lentement, très lentement, comme si le miroir débordait, ou si elle avait touché un fond, quelque part, très loin.

Ensuite, tout s’accélère.

Le flux mystique frappe Siyah de plein fouet et le mage hurle à son tour.

Avant d’exploser.

Je baisse la tête pour protéger mes yeux de l’intense lumière.

L’obscurité revient et avec elle le silence.

Je bats des paupières.

Siyah a disparu.

8

À sa place se tient une créature d’ombre et de feu, de nuit et de flammes rouges. Une forme vaguement humaine, à la fois réelle et floue. Une large bouche. Des braises à la place des yeux. Et une paire de cornes de taureau.

– Siyah ?! je lâche sous le coup de la surprise.

Le démon qui me fait face éclate d’un rire énorme.

– Non, Maître. C’est Ralk’, votre dévoué serviteur ! Ralk’ est libre, enfin ! Après toutes ces années !

J’ai du mal à imaginer que je me trouve en présence d’un démon mineur. À quoi ressemblent les démons Majeurs sous leur forme d’origine ? Sans parler des Maîtres démons…

Oubliant ma propre nature semi-démoniaque, je sens monter en moi des bouffées de tendresse pour les Anormaux. Par la barbe de Gimli, vive la Barrière qui empêche des créatures aussi terrifiantes d’envahir notre monde !

– Ralk’ ? je finis par dire. Mais… Comment ? Où est passé Siyah ?

– Passé est le mot juste, Maître. Siyah a pris ma place dans le miroir ! Les énergies qu’il a déchaînées ont créé un couloir que je suis parvenu à emprunter. Ensuite, je n’avais pas d’autre choix, pour interrompre le processus, que renvoyer la source à la source !

Je me penche au-dessus du miroir intact. Les runes sont brûlantes. À l’intérieur, j’aperçois une silhouette prostrée. Ça pourrait être un homme ou un démon, impossible de faire la différence. Pauvre Siyah…

« Pauvre Siyah ? m’aurait engueulé Ombe. Ce salaud était prêt à te tuer sans aucun remords ! Il a de la chance d’être toujours vivant ! Il n’a que ce qu’il mérite. »

Ce qu’il mérite, je veux bien. Quant à la chance d’être en vie et prisonnier d’un miroir, on pourrait en discuter.

Je le range dans ma sacoche et fixe la monstrueuse silhouette de Ralk’.

Celui-ci se tortille, gêné.

– Il y a un problème, Maître ?

– Tu es beaucoup plus encombrant que quand tu étais dans le miroir.

– Vous n’allez quand même pas…

– Non, Ralk’, rassure-toi. Mais je ne peux pas te garder avec moi.

– Maître !

Je réfléchis.

Personne ne connaît mon secret. Comme l’a fort bien exposé Siyah, je dois garder le silence sur ma part démoniaque si je veux reprendre le cours normal de mon existence. À moi de m’arranger avec elle(s) !

Ralk’ serait un auxiliaire précieux ; ses connaissances semblent infinies. Mais il me grillerait très vite. Avant de griller tout court sous les coups de l’Association !

Ralk’ est suspendu à mes lèvres. Il attend ma décision. Le démon, deux fois plus grand que moi, me regarde avec des yeux implorants !

– Tu connais le moyen de retourner au Nûr-Burzum ? je demande.

– Oui, Maître. Dans ce sens-là, c’est assez facile.

Le soulagement est perceptible dans sa voix. Il croyait vraiment que j’allais le renvoyer dans le miroir ? La vie dans le Nûr-Burzum ne doit pas être de tout repos.

Je prends un carnet au hasard dans ma besace et en arrache trois pages vierges. Sous le regard curieux de Ralk’, je griffonne quelques mots sur l’une et quelques phrases sur les deux autres. Je plie les lettres, les numérote et les tends au démon qui les attrape délicatement entre ses doigts griffus.

– Je te charge de porter ces messages à ma sœur, Omb’r, fille de Khalk’ru, princesse du Nûr-Burzum.

Ralk’ incline légèrement le buste en signe d’obéissance.

– Le premier te concerne, Ralk’. Je lui vante ton dévouement et lui demande de te prendre à son service personnel.

Si les démons sont capables d’émotions, Ralk’ en donne un parfait exemple. Il s’incline plus largement, avant de reprendre la parole.

– Maître… Mille fois merci, mon Seigneur. Ça a été un honneur et un plaisir de vous servir.