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– Je n’avais pas vu ça sous cet angle.

– D’un autre côté, ta vision est intéressante. »

Je furète un moment dans la pièce, en espérant déclencher une réaction chez Ombe.

Alors que je m’approche de l’armoire bancale dans laquelle Ombe range sa garde-robe, mon instinct me hurle de reculer. Je m’arrête aussitôt. Par le cor du Gondor ! Mon sixième sens s’est sacrément renforcé !

« Jasper ? Qu’est-ce qui se passe ?

– J’en sais rien mais j’ai peur qu’il y ait autre chose que des vêtements dans ton armoire. »

Comme pour me donner raison, la porte du meuble s’ouvre de l’intérieur et une silhouette en jaillit.

Une silhouette familière.

10

Ombe se tient devant moi, ramassée sur le sol et prête à bondir.

Je reste pétrifié.

– Ça alors…

Bon sang, je ne rêve pas ! C’est Ombe !

Silhouette fine et athlétique, cheveux blonds coupés court et coiffés en pétard, yeux grands ouverts.

Quelques détails incongrus attirent mon attention : elle arbore une tenue gothique sexy où prédominent le cuir et le métal, un maquillage sombre et outrancier ainsi que des lentilles rouges.

Elle tient dans la main un tee-shirt appartenant à Ombe, un de ceux qu’elle aimait particulièrement.

« Jasper ? C’est… c’est quoi, ça ?

– Ben… c’est toi !

– C’est impossible !

– Pour le coup, ça c’est dingue ! »

Un peu léger pour rassurer la vraie Ombe qui se niche en moi. Mais j’ai des excuses ! Cette apparition est la dernière que j’aurais pu imaginer…

– Hé ! je lance à la fille tapie sur le sol. Tu es qui ? Qu’est-ce que tu fais là ?

Elle ne répond pas tout de suite. Elle m’observe en fronçant les yeux, comme si elle fouillait dans sa mémoire à la recherche d’un détail. Une expression étonnée envahit son visage.

– Je m’appelle Ombe, dit-elle avec la voix d’Ombe, avant de brandir le tee-shirt pris dans l’armoire. Je suis venue chercher quelque chose qui m’appartient. Tu comptes m’en empêcher… Jasper ?

Entendre mon nom prononcé par cette Ombe–bis me plonge dans un état de réelle confusion.

Elle en profite. Avec une rapidité inhumaine, elle saute sur le rebord de la fenêtre et s’élance dans le vide.

Le temps que je m’y penche à mon tour, elle a disparu.

« Jasper… C’est un cauchemar, n’est-ce pas ?

– Un cauchemar ? Oui, sûrement. »

Ou un rêve.

« Jasper, tu me crois, n’est-ce pas ? Tu sais que c’est moi qui te parle ? Hein Jasper ? Tu me crois, dis !

– Je te crois, Ombe. Et plus encore : tu m’as donné plusieurs fois la preuve que tu es réellement celle que tu dis être. Mais cette fille-là…

– Elle me ressemble, n’est-ce pas ?

– Plus que ça, Ombe. Cette fille, c’est toi.

– Tu ne peux pas dire ça, Jasper ! Je suis unique !

– Tu es unique, Ombe. Tu as simplement un double.

– Un… double ?

– Oui, ma vieille. Un double étonnamment ressemblant. »

Je n’ajoute pas que la fille qui vient de sauter par la fenêtre dégage un truc malsain – au-delà de son ridicule déguisement de vampire.

Je ne lui avoue pas non plus que si elle m’avait ouvert ses bras, je me serais précipité dedans, sans réfléchir…

« Jasper ! Tu es là ?

– Oui, ne t’inquiète pas.

– Tu ne m’abandonnes pas, hein ?

– Non, Ombe. Jamais.

– Parce que toi, tu peux voir des gens, leur parler, les toucher. Moi, je n’ai que toi. Quand tu te caches dans tes pensées, quand tu m’ignores, quand tu doutes de mon existence, je n’existe plus. Et dans ces moments-là, je regrette de ne pas être morte pour de vrai dans cette attaque au Taser. »

Il y a des mots qu’on préférerait ne jamais entendre.

« On est ensemble, Ombe. À la vie, à la mort. »

Je la sens soupirer. Une tension se défait quelque part.

Maintenant, Ombe pleure. Je le sais quand elle pleure, parce que ça me mouille à l’intérieur.

Je m’assieds sur le matelas et me recroqueville, je la serre en moi, contre moi, je la berce et la rassure, en même temps que je cherche à me rassurer.

Surtout, éviter de laisser mes pensées me submerger.

Parce que soit Ombe a une sœur jumelle, soit Ombe est revenue d’entre les morts…

Je vais avoir des choses à raconter, moi, tout à l’heure, à la réunion de l’Association !

II. Pour s’accorder,

 il faut agir de concert…

(Gaston Saint-Langers)

1

– Entre, Jasper. Les autres sont déjà arrivés.

Je ne sais pas pourquoi je reste devant la porte ouverte, sans oser en franchir le seuil. La voix de mademoiselle Rose me parvient du bout du couloir.

La dernière fois que je suis venu, la porte était fermée. Il n’y avait personne. J’ai tambouriné et j’ai failli me faire choper par la mère Deglu.

Ce soir tout paraît normal. C’est comme si rien ne s’était passé.

Comme si le Sphinx arpentait encore l’armurerie au sous-sol.

Comme si la secrétaire des lieux ne s’était pas transformée, le temps d’une bataille, en ange de la mort.

Comme si Walter n’avait pas été possédé par un sombre démon.

« C’est étrange de revenir là.

– J’ai le même sentiment, Ombe. »

Mademoiselle Rose vient vers moi.

– Ils sont dans la bibliothèque, m’annonce-t-elle. On y va ?

Je hoche la tête.

– N’oublie pas, Jasper : tu as promis le silence sur les secrets de l’Association. Officiellement, nous avons réuni les trois stagiaires impliqués dans les événements des derniers jours…

– Officieusement, je la coupe avec impertinence, vous avez réuni le Bureau parisien de l’Association au grand complet. Enfin, Rose ! Nina et Jules se doutent forcément de quelque chose : où étaient les Agents pendant l’enterrement du Sphinx ?

– En mission, Jasper. En mission.

Elle ouvre la porte de la bibliothèque en mettant un doigt sur ses lèvres pour me signifier que le sujet est clos.

Dans la pièce, il y a Walter, Jules et Nina ainsi qu’un quatrième individu que je ne reconnais pas tout de suite.

Le genre de personne qu’on identifie pourtant du premier coup d’œil mais qu’on ne s’attend tellement pas à rencontrer qu’on refuse d’y croire.

Assise à côté du patron, drapée dans son horrible manteau à carreaux défraîchi, roulant des yeux derrière une épaisse paire de lunettes, se tient… la mère Deglu ! Je déglutis.

« Ben m… alors ! Tu imaginais ça, Jasp ?

– J’ai toujours pensé qu’elle n’était pas Normale. Mais je la rangeais plutôt dans la famille des taupes, goules ou gobelins ! »

– Assieds-toi, Jasper, me dit Walter, sans me laisser le temps de reprendre mes esprits.

J’obéis.

– Tu as vu ? me chuchote à son tour Nina. La mère Deglu ! C’est un Agent !

– Cette fois c’est sûr, je réponds sur le même ton, la fin du monde est proche.

Nina me frôle la main et lève sur moi un regard interrogateur. Je la rassure avec un sourire qui peut aussi bien dire « Tout va bien » que « Je suis content de te voir ».

Puis mademoiselle Rose nous rejoint autour de la table.