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– Avec les types de la MAD qui rôdent pour nous enlever ? s’exclame Nina. Tout le monde n’a pas ton pouvoir de transparence, Jules !

– Je vais raccompagner Nina chez elle, je me sens obligé d’ajouter.

Jules a l’air déçu.

– D’accord. À demain matin, alors.

– Rendez-vous place Stéphane Daniel, sous la statue du Lion d’or, je lui rappelle. N’oublie pas ton sac de couchage.

Il acquiesce et s’engouffre dans l’escalier.

Une fois dans la rue, je jette des regards suspicieux tout autour, mais il n’y a personne. Qui oserait nous attaquer aux abords de l’Association ?

– Merci, Nina, je commence en baissant la tête. Tu n’as pas oublié Jean-Lu, contrairement à moi ! Comme ami, je suis plutôt nul…

– Ce n’est pas ta faute, répond-elle d’une voix douce. Ces derniers temps, tu es ailleurs. Je comprends très bien ! Tu as vécu des moments difficiles. Et puis, on est ensemble, non ? On s’épaule. On s’entraide.

– On est ensemble, tu as raison, je répète sans y croire, en songeant à mon début de flirt avec la coloc d’Ombe, tout à Laure, euh, l’heure. Merci Nina, tu n’étais pas obligée.

– Je me suis occupée de Jean-Lu dans les sous-sols de l’Héliott, on peut considérer que c’est le simple suivi de l’affaire ! dit-elle avec un rire forcé avant de changer de sujet : Cette histoire est étrange, tu ne trouves pas, Jasper ?

– Quelle histoire ?

– Je ne comprends pas pourquoi le grand patron de l’Agence t’en veut à ce point.

– Ah… Je me suis embrouillé avec lui ce matin, j’élude. Il ne semble pas avoir l’habitude qu’on lui tienne tête ! En fait, je crois que ce type m’en veut parce qu’il est jaloux…

– Jaloux ?

– Je suis doué en magie et j’ai une supercopine !

– Idiot ! répond Nina en souriant.

« Pourquoi tu ne lui dis pas ?

– Lui dire quoi, Ombe ?

– Que tu ne veux plus d’elle ?

– Hein ? Qu’est-ce que tu racontes ?

– Arrête de te mentir, Jasper. Ta relation avec Nina est plombée. Tu n’y crois plus.

– Tu te trompes ! Elle compte beaucoup pour moi.

– Est-ce que tu l’aimes ?

– Je… Peut-être, oui.

– Tu es lamentable. »

Lamentable ?

De peur que la discussion reparte sur le sujet des informations que je possède et que je ne peux pas révéler – ou sur celui autrement plus délicat des sentiments – j’embraye.

– Nina… J’ai un cadeau pour toi !

« Ne fais pas ça, Jasper.

– Mais je croyais que tu étais d’accord pour…

– Je ne parle pas du bijou.

– Je ne comprends rien à ce que tu dis !

– Tu t’en veux de ne rien éprouver pour elle. Alors tu compenses cette absence de sentiments.

– Pourquoi je ferais ça, hein ?

– Parce qu’elle t’a sauvé la vie, Jasp. »

Quand je sors de ma poche la gourmette d’Ombe, ma main tremble. Il est trop tard pour reculer. Nina m’observe, intriguée.

– C’était à Ombe, j’explique en contrôlant les frémissements de ma voix. La gourmette qu’elle avait quand elle était bébé. Je sais que ça lui aurait fait plaisir que tu la prennes.

Je lis sur son visage parsemé de taches de rousseur et encadré par de beaux cheveux roux les signes d’une vive émotion.

– Jasper ! C’était… ton amie, pas la mienne ! Je la connaissais si peu…

– Elle te connaît, euh, te connaissait mieux que tu ne le crois. En tout cas, moi, j’aimerais que tu la gardes.

Elle hésite en dansant d’un pied sur l’autre.

Elle me regarde et se décide enfin.

– J’accepte, Jasper. Je vais l’arranger pour la porter autour du cou.

Elle prend la gourmette dans ma main, se serre contre moi et me tend ses lèvres. Je me penche pour y poser les miennes. Comme un voleur.

Ombe a raison. Ombe a toujours raison.

Ombe…

Je me rappelle maintenant que j’ai oublié de raconter à Walter et à mademoiselle Rose l’incroyable irruption de l’Ombe-bis, rue Muad’Dib !

2

C’est l’aube et personne ne manque à l’appel.

Nina dans un manteau trop grand pour elle,

mais bien chaud.

Jules sac sur le dos,

le visage blême.

Jean-Lu égal à lui-même,

un étrange bonnet à pompon sur les tifs.

Il charrie sa guitare et un ampli portatif,

en plus de ses affaires.

Moi, j’ai ma besace militaire

(j’ai oublié de récupérer l’autre rue du Horla),

mon manteau de gala

et ma cornemuse

(c’est toujours moins lourd qu’une arquebuse…).

Les instruments,

À cordes et à vent,

c’était la condition de Jean-Lu pour venir :

je me suis laissé fléchir.

Dans les temps de malheur,

la musique n’adoucit-elle pas les mœurs ?

– Vous êtes prêts à me suivre ?

je demande à l’assemblée.

– Il faut bien survivre…,

répond Jules accablé.

Je donne le signal du départ

à notre bande de fuyards.

Nina se serre contre moi,

provoquant mon émoi.

Comment les trolls réagiront

face à cette intrusion ?

J’ai beau être leur frère,

je sais ce qu’ils préfèrent : être seuls entre eux.

Et ils peuvent être teigneux !

Qu’est-ce que Hiéronymus a dit ?

Ah oui :

« Un troll veau meuh que deux tue-l’aura »…

Comprenne qui pourra.

– C’est loin ?

– Une heure au moins,

je réponds pour abréger

à Jean-Lu qui regrette déjà de s’être chargé.

Jean-Lu me fait la tête.

Je lui ai pourtant fait la fête !

M’en veut-il de ne pas avoir pris de ses nouvelles

ou bien est-ce une colère naturelle,

au souvenir du garou brutal

qui l’a envoyé à l’hôpital ?

J’espère qu’il va s’adoucir,

sinon ce ne sera pas une partie de plaisir !

Je regrette déjà de l’avoir emmené avec nous.

Je ne suis pas sa nounou !

– Ça va, Jasper ?

Nina et ses yeux verts…

– On va à l’aveuglette.

– Ça t’inquiète ?

Les trolls ne sont-ils pas tes amis ?

– C’est un fait admis…

– Et puis mademoiselle Rose a l’air de penser

qu’on sera là-bas en sécurité.

Nina a raison,

je me fais trop de mouron.

Métro puis RER

dedans et sur la terre.

La gare de Vincennes :

bienvenue dans l’arène !

– Et maintenant ?

– En avant !

Je sais à présent ce qu’éprouvait Gandalf le Gris

menant par des chemins rabougris

dans le petit matin

la communauté de l’Anneau vers son destin…

Jules s’arrête net devant le lac glacé

et demande d’une voix angoissée :

– On traverse comment ?

– Par un embarquement !

je déclame péremptoire.

Au-delà des eaux noires

c’est l’Île-aux-Oiseaux.

Je m’avance et fouille les roseaux.

Bingo ! aurait pu dire la mère Deglu

à une époque révolue…

L’embarcation et la paire de rames

sont l’acte premier du mélodrame.

– Jean-Lu et Jules avec moi !

Nina dans le prochain convoi,

j’annonce à ma mie.

Ainsi fut fait comme il fut dit

et l’eau montant à ras des planches,

ramant sans heurt dans l’aube blanche,

je dépose mes compagnons sur l’autre rive.

– J’arrive !