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Les mots glissaient sur sa langue comme des bonbons à la guimauve. Offrant de sa main grassouillette un fauteuil Louis XV à Malko, il entama un étonnant monologue, ponctué de petits silences, sans que Malko puisse placer un mot.

— Son Excellence ne peut vous recevoir tout de suite, expliqua-t-il. Son Excellence ne se lève jamais avant trois heures de l’après-midi. Son Excellence reçoit beaucoup : des gens du monde entier viennent en Sardaigne admirer ses réalisations. Son Excellence donne deux fois par semaine des dîners de quatorze couverts, quatorze est son chiffre porte-bonheur et Son Excellence est très superstitieuse. L’inimitable Hussein reprit son souffle et continua à dévider son dépliant publicitaire.

— Son Excellence est très bonne. Elle entretient à travers le monde un nombre prodigieux d’institutions charitables dont les bénéficiaires chantent ses louanges auprès d’Allah. Son Altesse croit à l’immortalité et à la nécessité de la charité et de la bonté.

Malko se permit un sourire tristement ironique qui échappa au secrétaire « haute-fidélité » qui continua à dévider sa mélopée.

— Tout en étant très conservateur, Son Excellence adore voyager. C’est pour éviter d’attendre les avions de ligne qu’elle a acheté son jet français, une petite merveille. Ainsi, à la fin de la semaine, Son Excellence prendra son jet pour aller au cocktail du prince de Karaman, à Barcelone. Dans ces courts déplacements, Son Excellence bien entendu n’emmène qu’un valet arabe, dont le père a servi son père, et lui-même, le fidèle secrétaire. Car Son Excellence a horreur d’avoir de l’argent sur elle. Sauf quelques pièces d’or à distribuer aux pauvres. Car, il faut le dire, Son Excellence est très généreuse. Son Excellence aime aussi beaucoup les chevaux de courses. Un de ses chevaux, « My baby », vient d’être vendu 800.000 dollars. N’est-ce pas merveilleux ? Malko s’attendait à ce que Hussein hennisse pour souligner la performance ou saute par-dessus une des bergères Louis XV. Mais le secrétaire continuait l’énumération des qualités de son maître.

— Son Excellence parle plusieurs langues en dehors de l’arabe, mais sa préférence va au français si distingué et à l’anglais si pratique. Cependant, Son Altesse comprend assez bien l’allemand.

Malko en profita pour affirmer que le français n’avait pas de secrets pour lui et qu’il se ferait une joie de parler français avec Son Excellence, si toutefois, elle daignait se montrer.

Hussein affirma que ce n’était qu’une question de minutes et précisa qu’au cas où Malko désirerait envoyer des fleurs à l’émir, il ne pouvait être question de moins de trois douzaines de roses. Cela se faisait énormément dans l’émirat.

Hussein était si louangeur qu’on aurait dit un marchand de voitures d’occasion…

Épuisé, il se tut enfin et attendit, les yeux baissés, assis du bout des fesses dans son fauteuil signé, probablement interdit au personnel. Il y eut soudain un froissement de tentures, Hussein jaillit de son fauteuil, le visage illuminé par la joie et claironna.

— Son Excellence l’émir Abdullah Al Salind d’Al Katar. S’il oubliait un titre, on devait lui couper la tête.

Malko se leva à son tour et ses yeux dorés se posèrent sur l’homme qui avait fait enlever Kitty.

Jamais on ne l’aurait imaginé dans une affaire pareille. L’émir était encore plus grassouillet et plus vulgaire que le secrétaire, bien que beaucoup plus grand. Il se déplaçait lourdement, le bassin en arrière. Malko, qui avait vu de vieilles photos, ne le reconnut pas. C’était un gros poussah vêtu d’un polo jaune, d’un pantalon de toile avec des chaussettes rapiécées dans des nu-pieds. Dans sa biographie parlée, Hussein avait oublié de préciser que Son Excellence était d’une avarice prodigieuse. Il tendit la main à Malko.

— Je suis ravi de vous recevoir, dit-il d’une voix chantante. J’ai beaucoup d’amis en Allemagne et en Autriche. J’aurais pu vous y voir… Sous-entendu : comment se fait-il que je ne vous aie jamais rencontré ? Malko serra la main tendue, molle et grasse.

— J’habite les États-Unis, précisa-t-il. Mon château est en cours de restauration.

L’émir hocha la tête, signifiant qu’il comprenait ce genre de désagrément. Mais lui avait au moins la ressource de faire couper en place publique la main droite des mauvais entrepreneurs. Il claqua des doigts en direction de Hussein. Celui-ci lança un cri aigrelet et prolongé :

— Cahouaaah ![11]

Presque aussitôt le colosse café au lait reparut, portant délicatement une cafetière à long col dans la main gauche et deux tasses minuscules dans la main droite. Il versa un mince filet de café brûlant dans une des tasses qu’il tendit à l’émir. Celui-ci y trempa les lèvres et seulement alors, le serviteur remplit les deux tasses.

Hussein avant de s’éclipser, précisa à l’oreille de Malko que Son Excellence, étant musulmane, ne buvait jamais d’alcool. Son Excellence était très pratiquante.

Visiblement, l’émir n’avait aucune idée de la véritable personnalité de Malko. Autrement, il n’aurait pas été aussi hospitalier. Ils burent leur café en silence puis l’émir reposa sa tasse et demanda poliment :

— Comment trouvez-vous la Sardaigne ?

— Charmant, assura Malko. Très beau pays. Très sauvage.

— J’y ai beaucoup travaillé, assura douloureusement l’émir, comme s’il avait manié la pioche de ses brunes mains. Je suppose que vous désirez vous y installer. C’est un peu pour les gens comme vous que j’ai voulu créer ce complexe où nous serions entre nous. Il appuya sur le nous.

De mieux en mieux.

Malko se caressa le menton. Dans la pièce calfeutrée et insonorisée, le moindre bruit semblait incongru.

— À vrai dire, je n’ai pas l’intention de m’installer ici, précisa-t-il. Je suis seulement venu vous rendre visite.

Les yeux myopes de l’émir papillotèrent de joie. En Europe il n’était pas habitué à cette humilité. On le traitait plutôt de bougnoule milliardaire derrière son dos, en espérant quand même qu’il entendrait…

— Je suis ravi, prince Malko, roucoula-t-il et j’espère que vous voudrez bien être mon invité.

Le sourire de Malko disparut. Il se pencha en avant, scrutant le visage mou de son interlocuteur.

— Altesse, dit-il, je suis venu vous voir pour affaires. Une affaire désagréable.

L’émir se tortilla sur son fauteuil et tenta de sourire :

— Désagréable ? Je ne comprends pas.

Malko remarqua que son pied droit avait appuyé sur le tapis, à un endroit où, il y avait une minuscule bosse… Une sonnette dissimulée, très probablement. L’émir recula imperceptiblement devant les yeux dorés, striés de vert. Durs comme du jade.

— Excellence, continua Malko, vous avez commis une grave erreur. Je suis venu vous aider à la réparer. Si vous le voulez bien.

— Une erreur ?

Ou l’émir avait suivi les cours de l’Actor’s Studio ou il était à mille lieues de savoir qui était Malko. Il le prenait peut-être pour un quémandeur distingué.

— Excellence, poursuivit Malko, je suis venu chercher une jeune fille qui se nomme Kitty Hillman et qui se trouve ici, contre son gré. Cette fois, l’émir Katar sembla se liquéfier sur son fauteuil. Il dit faiblement :

— Une jeune fille ? Je ne comprends pas. Mais le ton n’y était plus.

Malko attendait, ses yeux dorés fixés sur l’émir. Celui-ci cherchait à dissimuler une expression de panique sur son visage gras. Il prit des lunettes dans une poche de son pantalon et les chaussa pour mieux examiner Malko.

— Mais qui êtes-vous d’abord, monsieur ? dit-il, je croyais d’après votre carte…

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11

Du café.