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À la vue du bateau bleu, le Riva avait fait brusquement demi-tour. Il stoppa, à cinq cents mètres environ.

— Grimpez vite, alors, fit l’inconnu, à Malko. À l’arrière, il y a une échelle. Je débraye.

Les barreaux d’acier de la petite échelle parurent à Malko aussi doux que les bras de la plus belle des créatures qu’il eût jamais aimée. Essoufflé, il se laissa tomber, sur le large pont arrière en teck. Son cœur cognait encore à grands coups contre ses côtes. Il l’avait échappé belle. Pendant plusieurs secondes, il cracha de l’eau par le nez et la bouche. Son sauveteur, un homme d’une cinquantaine d’années le regardait avec curiosité debout près de lui.

— Il serait plus prudent de partir, dit Malko.

L’inconnu eut un sourire amusé, appuya sur deux manettes nickelées et le pont se mit à vibrer sous Malko. Celui-ci se sentit glisser. L’engin démarrait à une vitesse fabuleuse.

À quatre pattes sur le pont, Malko cherchait à retrouver son équilibre. Le Riva n’était plus qu’une tache minuscule. En s’accrochant partout, il parvint près du siège de commande, se mit debout et s’agrippa à une barre nickelée. Le tableau de bord ressemblait à celui d’un Bœing, avec deux rangées de cadrans et d’étranges instruments de navigation.

Debout, soudé à son volant, l’inconnu qui l’avait sauvé, semblait ravi, un œil sur la mer, l’autre sur les cadrans. Il sourit à Malko et cria dans le vent :

— Dans dix minutes, nous serons à Porto-Giro. En ce moment, nous marchons à près de cent à l’heure…

Malko n’en doutait pas une seconde. Les trépidations étaient effroyables et le rugissement des moteurs terrifiant.

— Qu’est-ce que c’est que cet engin ? hurla Malko.

L’inconnu ralentit un peu pour dire avec une infinie tendresse dans la voix :

— Un super-Donzi. On l’a fait spécialement pour moi. Deux moteurs Daytona de 450 chevaux avec des compresseurs. Une brute. J’en suis fou. Rien ne va plus vite sur mer.

Il caressait ses manettes avec amour, les yeux dans le vague. Curieux personnage. Il n’avait pas posé la moindre question à Malko, semblant trouver tout naturel de recueillir en pleine mer un homme qu’on essaie d’assassiner. Malko ignorait même par quel concours de circonstance il se trouvait là.

Pendant plusieurs minutes, Malko se laissa bercer par la vitesse. Dans la cabine avant, il entendait les objets tomber et se décrocher mais l’inconnu n’en avait cure. Avec des gestes d’amant, il poussait ses manettes à petits coups. Effectivement, l’effet était prodigieux. L’étrave coupait littéralement les vagues, comme du beurre. Déjà, ils arrivaient à l’entrée du port. L’inconnu consentit à ralentir, évita une barque de pêcheurs dans un sillage d’imprécations et courut sur son erre. Il consentit, alors seulement, à s’intéresser à Malko. Celui-ci lui demanda :

— Comment m’avez-vous découvert ? L’inconnu sourit :

— J’étais au large. Pour un essai de vitesse. Une des transmissions a chauffé. Je me suis arrêté pour laisser refroidir. Comme je m’ennuyais, j’ai pris mes jumelles et j’ai regardé autour de moi. Souvent, il y a des marsouins qui jouent. Je vous ai vu et votre manège m’a paru bizarre. Pourtant je ne croyais pas qu’on voulait vous tuer. Autrement, je serais venu plus vite.

— Vous êtes arrivé à temps, dit Malko, merci.

Ils entraient tout doucement dans le goulet. L’inconnu regarda Malko curieusement, avec une lueur amusée sur le visage.

— Pourquoi veut-on vous tuer ? Voulez-vous que je vous conduise chez les carabiniers ? Malko hésitait :

— Non. Je ne pense pas. C’est une longue histoire. L’autre leva la main.

— Ne m’en dites pas trop. Cela ne me regarde pas. Je m’appelle Joe – Joe Litton. Si vous avez besoin d’un service, vous pouvez toujours me trouver ici, au port, ou le soir chez Pedro.

Joe Litton manœuvrait son engin avec une adresse incroyable, faisant pivoter les dix mètres de la coque presque sur place. Ils étaient déjà à quai. Un jeune Sarde attendait et saisit le bout jeté par Jœ.

Dès qu’il eut stoppé ses deux moteurs, Malko lui demanda :

— Pourquoi avez-vous un tel monstre ?

— J’aime les bateaux, dit Joe avec simplicité. Je me suis arrêté de travailler, il y a sept ans, parce que j’avais assez d’argent, alors, il faut bien que je me distraie. Mais venez boire un verre chez Pedro ce soir, on bavardera. Voulez-vous que je vous raccompagne quelque part ? Malko refusa et ils se serrèrent la main. Rien ne semblait étonner Joe Litton. À moins qu’il n’ait pris Malko pour un mythomane. En tout cas, son anglais était parfait mais il n’était ni Anglais ni Américain. Malko se retrouva sur la petite place de Porto-Giro en maillot. Heureusement, plusieurs taxis stationnaient devant l’hôtel Porto-Giro. Malko prit le premier de la file et se fit conduire à La Cala di Volpe, après avoir expliqué au chauffeur qu’il avait eu une panne de bateau. Ce qui était presque vrai.

Le pain à l’ail crissait agréablement sous les dents de Malko. En face de lui, Joe Litton mâchait tranquillement sa viande, toujours aussi rouge brique, une lueur amusée dans les yeux bleus. Chez Pedro, on ne parlait qu’anglais. De jeunes Britanniques en micro-skirt[13] circulaient entre les tables avec leurs plateaux, montrant de ravissants slips de dentelle chaque fois qu’elles se baissaient. Des disques passaient sans arrêt, ajoutant au vacarme des conversations. Un gosse de neuf ans, tout blond, s’amusait à danser seul dans un coin un jerk endiablé. Les femmes étaient jolies et les hommes bien bronzés. On buvait, on mangeait, on dansait. Malko avait hérité d’une serveuse américaine avec un cou démesuré de danseuse Ouled Naïl, une grande bouche dédaigneuse et des yeux nostalgiques aux pupilles immenses, probablement bourrée de L.S.D. Elle marchait pieds nus avec une grâce de ballerine. Un jeune Italien qui consommait au bar la héla, elle posa son plateau, et le rejoignit pour un slow. Elle dansait très près de lui, les yeux grands ouverts, démesurés, tout le corps détendu en un abandon de total érotisme.

La danse terminée, elle lâcha son cavalier sans un regard et apporta le plateau. Joe l’attrapa par la main et lui caressa une cuisse.

— Ça va, Marlène ?

— Ça va.

La main de Joe allait et venait, disparaissant sous la mini-jupe, sans déclencher le moindre mouvement. Marlène resta immobile quelques instants, sourit vaguement et s’excusa :

— Je dois travailler.

Déjà, elle était à l’autre bout de la pièce.

— C’est une brave petite, remarqua Jœ. De temps en temps, je l’emmène en bateau. Elle aime ça.

Apparemment, elle n’aimait pas que ça.

Malko commençait à apprécier la tête de vieux forban de son interlocuteur et cette espèce de simplicité biblique. Le regard de ses yeux bleus était absolument clair. Pourtant, Joe Litton n’avait rien d’un naïf.

Malko n’avait plus reparlé de l’incident de l’après-midi. Mais, dans la conversation, alors qu’ils parlaient de la guerre, Joe Litton mentionna :

— J’ai travaillé avec l’O.S.S.[14] pendant un an en 1944. C’était amusant. Je suppose que vous faites quelque chose de ce genre par ici.

— C’est un peu cela, dit Malko sans se compromettre. Litton lui était sympathique, en dehors du fait qu’il lui avait sauvé la vie.

Comme Malko se taisait, il lui fit une grimace de sympathie et lança :

— C’est dommage que je parte. Je dois être à Milan demain. Mais si vous avez besoin d’un bateau, prenez l’Abilène. Je laisse les clefs au marin. Je le préviendrai.

— Pourquoi faites-vous cela ? Vous ne savez même pas mon nom, dit Malko.

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13

Super mini-jupe.

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14

Office of Spécial Service.