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Malko regarda l’émir pour voir s’il ne plaisantait pas. Mais l’Arabe avait le visage sérieux, avec même une expression de cruauté gourmande. Il renouait avec une vieille tradition. Au siècle dernier, le calife Omar de Bagdad avait renvoyé par petits morceaux à ses ennemis un émissaire qui avait déplu.

— Vous êtes fou, dit Malko. Fou à lier.

Sans répondre, l’émir fit demi-tour et sortit. Dans le couloir, il retrouva Abd el Baki et Abdul Aziz. Les deux Égyptiens ne le lâchaient plus d’une semelle, l’observant sans cesse de leurs petits yeux noirs sans expression. Et Son Excellence Abdullah Al Salind Al Katar crevait de peur. Il savait que sans un résultat rapide, il allait recevoir une balle dans le dos : les deux barbouzes ne croyaient pas une seconde à la réussite de l’opération Hillman. Et la cruauté de l’émir grandissait comme sa peur : à une vitesse vertigineuse.

— Restez ici, commanda-t-il brutalement aux deux Égyptiens, je ne veux pas qu’on vous voie avec moi, depuis votre stupide tentative ratée.

Onctueux et sinistres les deux hommes s’inclinèrent et regardèrent partir l’émir.

Les Sept Plaies d’Egypte.

Kitty était réveillée. Cette fois, dès que l’émir fut sorti, elle se rapprocha de Malko et se blottit contre sa poitrine. Il sentit ses petits seins s’écraser contre lui, à travers le mince tissu de la robe. La jeune fille ne disait rien, mais de grosses larmes coulaient le long de ses joues.

— Qu’est-ce qu’il y a, Kitty ?

— J’ai peur, dit-elle. Je voudrais rentrer.

Elle se serra encore plus fort ; ses grands yeux candides ne quittaient pas son visage. Il se dit qu’elle était très belle avec sa bouche si féminine et ses longs cheveux qui contrastaient avec l’expression enfantine de ses yeux.

Sans rien dire, elle tira Malko pour qu’il s’étende sur le lit à côté d’elle. Puis elle s’allongea de tout son long contre lui, comme pour le réchauffer, la tête au creux de son épaule. Sa respiration était régulière et lente. Malko s’assoupit lui aussi, épuisé par la tension nerveuse. Il faisait nuit déjà, mais une lampe dehors diffusait une lueur pâle dans la chambre-cellule. Malko fut réveillé par une sensation étrange : sur un coude Kitty le regardait. Son visage s’était métamorphosé. Ses yeux mangeaient tout son visage. Sa bouche à demi entrouverte avait une expression vorace et une grosse veine battait sur son cou. Malko réalisa tout à coup que son corps était pressé contre le sien et qu’elle avait envie de lui.

Et ce que lui avait dit le professeur Soussan lui revint en mémoire. Kitty avait des besoins sexuels qu’elle assouvissait comme un petit animal avide de sensations agréables.

Il voulut se lever, mais elle l’en empêcha avec une mimique suppliante. Inutile de la raisonner. La présence de Malko l’avait rassurée, elle oubliait le danger et la nature reprenait le dessus. Elle serrait ses hanches étroites de garçon contre Malko avec application, sans dire un mot. Il essaya de nouveau de se lever, mais cette fois, Kitty gémit si douloureusement qu’il se laissa aller contre elle. Aussitôt, elle se détendit.

Elle avait des gestes maladroits et un peu brutaux, mais son petit visage triangulaire respirait enfin la joie. Quand Malko la prit, elle se mordit les lèvres au sang comme pour se punir. Puis elle le serra de toute la force de son bras valide. Elle ne cria qu’une fois, un petit cri d’oiseau, lorsqu’elle heurta sa main blessée au mur. Puis, elle s’endormit d’un coup, les cheveux dans la figure de Malko. Il éprouvait une infinie pitié pour cette femme-enfant doublement murée dans sa solitude par son dérangement mental et sa captivité. Dans son sommeil, Kitty, soulagée, détendue, souriait aux anges dans la beauté délicate de son corps nu. Malko la couvrit de sa robe et se leva. La fenêtre n’était plus qu’un carré noir, éclairé par la lune. Des pas résonnèrent dans le couloir. De nouveau ce fut le cérémonial habituel.

— Vous avez la lettre ? demanda l’émir.

Malko secoua la tête négativement. L’Arabe explosa de rage :

— Imbécile ! Vous ne changerez rien avec votre entêtement. J’aurai ces renseignements. Demain matin Schaqk opérera Mlle Hillman. Kitty dormait en boule, enroulée dans sa robe.

— Mais que voulez-vous au juste ? demanda Malko. Intéressé l’émir expliqua :

— La liste des agents de la C.I.A. dans les pays arabes du Moyen-Orient. Presque tous travaillent pour Israël…

Malko le regarda, interloqué :

— Mais, jamais personne, sous aucun prétexte, ne vous communiquera ces renseignements. Même pas Foster Hillman s’il était encore vivant. Mais pourquoi en avez-vous besoin ?

Une lueur de complicité passa sur le visage de l’émir. Il s’éloigna de la porte et dit d’une voix plaintive :

— On me fait chanter. Les Égyptiens. C’est ma vie qui est en jeu. Il faut me comprendre.

Malko sentit un fol espoir l’envahir.

— Excellence, dit-il, libérez Kitty et je peux vous promettre que vous n’aurez rien à craindre de personne. Nous vous protégerons aussi longtemps qu’il le faudra.

L’émir secoua la tête :

— Vous ne pouvez pas goûter la nourriture que je mange, dormir au pied de mon lit, empêcher un tueur de me poignarder en sacrifiant sa vie. Il me faut ces renseignements.

— Ainsi, la guerre d’Israël continue ici, soupira Malko. Je pensais que vous étiez un homme intelligent, Excellence.

— Je préfère être un homme vivant, coupa l’émir. Je ne crois pas à vos promesses. J’ai déjà connu celles des Anglais. Vous vous souvenez de Nouri Saïd à Bagdad. L’Intelligence Service lui avait juré une protection éternelle. Il est mort, pendu par les pieds à un arbre de la place d’Ara et son corps a été déchiqueté par la foule. Au revoir, monsieur Linge.

Il cracha une phrase en arabe et Schaqk empoigna Malko par le bras. Celui-ci se débattit et heurta la chaise qui tomba. Kitty se réveilla en sursaut, vit la bagarre et poussa un long hurlement hystérique. Déjà Schaqk tirait Malko hors de la pièce, irrésistiblement. La porte se referma. Le cri de la jeune fille résonna longtemps dans le couloir. Il se termina brusquement en sanglot étranglé.

Projeté dans sa propre cellule, Malko jurait à voix basse, fou de rage et d’impuissance.

Il était sûr que les deux gorilles devaient combiner un plan pour le faire évader, mais comment ? À moins que l’émir ne les ait mis hors de combat. Avant qu’une nouvelle équipe soit à pied d’œuvre, c’en serait fini pour Kitty et lui.

Ainsi la guerre d’Israël continuait à deux mille kilomètres à l’ouest de Jérusalem.

Pour la centième fois, il s’approcha de la fenêtre. La colline nue et pierreuse était déserte. Les barreaux massifs qui le séparaient de la liberté étaient scellés et il aurait fallu des années pour en venir à bout en les limant.

La porte était épaisse, incrochetable et le couloir certainement surveillé. L’émir était trop sûr de lui pour ne pas avoir pris toutes ses précautions. Découragé, S.A.S. revint à son lit. Il pensait à Kitty de nouveau seule dans la cellule voisine.

Il était encore allongé quand Schaqk entra, portant un plateau de nourriture. Son gardien le posa sur la table, et sans prononcer un mot ressortit.

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