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Malko se raidit. C’était impossible ! Il n’était pas Foster Hillman. Personne ne pouvait savoir le rôle qu’il jouait. À moins que… les hypothèses les plus folles tournaient dans sa tête. Du coin de l’œil, il dévisagea sa voisine. Elle semblait jolie, pouvant avoir une trentaine d’années, ses cheveux blonds relevés en chignon.

Son parfum était agressif mais supportable. Dans la demi-obscurité, Malko suivait tous ses gestes. Aussi la vit-il ouvrir son sac et en sortir un rectangle de papier : une carte. Elle la garda un instant dans la main, puis, tranquillement, la glissa dans la poche gauche de son veston. Elle sourit en même temps. Puis, sans lui laisser le temps de réagir, elle se leva et sortit de la travée.

Malko se dressa à son tour, d’un bond. Il n’avait qu’un cri à pousser pour que le film s’interrompe et que les issues soient bouchées. Il ouvrait déjà la bouche quand il vit la fille s’asseoir quatre rangées plus loin près d’un homme seul.

Rassuré sur ses intentions immédiates, il se pencha sur la veilleuse près de son siège et regarda la carte. Il faillit éclater de rire en dépit du tragique de la situation : deux lignes, en belles lettres gothiques, annonçaient : Gloria Franch, massages à domicile, toutes heures, sur rendez-vous…

Il s’était tout simplement fait racoler.

C’était plutôt maigre comme résultat. De nouveau, il scruta la salle.

En vain. Il y avait une vingtaine de femmes seules et pas mal de couples. Rien ne disait que l’inconnue ne serait pas accompagnée. Il pensa à Foster Hillman étendu dans la petite morgue de la C.I.A. à 300 miles de là. S’il avait pu parler…

Perdu dans ses pensées, Malko n’avait pas vu le temps passer. Il y eut une explosion de musique sur l’écran, il aperçut au passage un baiser en gros plan humide et la lumière se ralluma. Provisoirement, il n’y avait plus de sexe à Bangkok. Indécis, il regarda autour de lui. La moitié des gens se dirigea vers la sortie. Certains ne se réveillèrent même pas. À deux rangées de Malko, un Porto-Ricain, qui avait entrepris de déshabiller sa compagne et en était au soutien-gorge, n’interrompit pas sa besogne. Blasés, les ouvreurs ne regardaient même pas. Il en fallait plus que cela pour ameuter le Star. Malko consulta sa montre et se sentit envahi par le découragement : neuf heures et demie. La femme était peut-être venue et repartie. Et il attendait pour rien.

C’est en pensant à l’inconnue que, brusquement, il se souvint ; l’accent, cet accent étrange, à la fois doux et roulant, c’était l’accent iranien. Sa fantastique mémoire ne pouvait pas le tromper. Il avait encore dans l’oreille la voix des Iraniennes qu’il avait connues au cours de sa mission à Téhéran[6].

Il se leva, très excité : c’était une piste. Il cherchait maintenant une femme au type oriental. Cela ne devait pas foisonner au Star. Si elle y était.

Cela valait la peine de regarder. Il parcourut rapidement les rangées de fauteuils. Heureusement, la salle était maintenant aux trois quarts vide. Aucune femme ne répondait au signalement. Il se dirigea vers la sortie, suivi à distance respectueuse par Chris Jones et Milton Brabeck, à qui les yeux sortaient de la tête après quatre heures de Sex in Bangkok.

Après le froid de la salle, l’air dehors semblait poisseux et brûlant. Les mêmes Noirs écarquillaient les yeux devant les affiches de filles nues. La boutique de disques continuait à solder son stock de Twist dans un effroyable tintamarre. Chris rejoignit Malko, tout égrillard.

— C’est plutôt chouette comme planque, dit-il. On reste encore à l’autre séance ?

Malko ne répondit pas : il scrutait la rue autour de lui. Heureusement, les néons éclairaient les trottoirs comme en plein jour. Mais les gens passaient et repassaient sans cesse, s’agglutinant autour des vitrines. Soudain, il la vit.

En face sur l’autre trottoir, juste sous les néons jaunes du cinéma Lynx. Une femme d’une quarantaine d’années, dans un vêtement noir strict, fort élégante. Mais Malko ne voyait que le visage : les cheveux très sombres, tirés en arrière et séparés par une raie au milieu, les yeux noirs et un peu proéminents, la large bouche sensuelle et le nez légèrement busqué. C’était incontestablement une Orientale. Et probablement une femme du monde.

Malko ne la quittait pas des yeux. L’inconnue surveillait la sortie du Star, sans faire attention aux hommes qui l’accostaient. Il fut tout de suite persuadé que c’était la femme qu’il cherchait. Mais à chaque instant, elle pouvait disparaître dans la foule.

— Suivez-moi, souffla-t-il à Chris. Vite.

À grandes enjambées, il partit vers la Huitième Avenue. Dès qu’il fut sorti de la lumière des néons, il se jeta sur la chaussée, évitant de justesse un taxi et un autobus dont le chauffeur l’agonit d’injures. L’inconnue était à cinquante mètres, si elle n’avait pas bougé ; il remonta vers le Lynx. Chris était resté coincé au milieu de la rue. En dépit de ses signes désespérés, les voitures filaient autour de lui, sans ralentir. Quant à Milton, il était encore sur l’autre trottoir, hésitant entre le suicide et le devoir. Malko arriva devant le Lynx.

L’inconnue avait disparu. Il inspecta rapidement le hall, un drugstore voisin et remonta la rue. Pour presque heurter celle qu’il cherchait, qui s’était éloignée du cinéma et revenait sur ses pas. De près, il n’y avait aucun doute possible : elle était née entre Beyrouth et Karachi. Un beau visage aux traits forts, mais avec deux plis d’inquiétude autour des lèvres. Elle portait un élégant sac en crocodile noir accroché à son bras gauche. Son regard se posa une seconde sur Malko, puis se détourna. Mais ils se heurtèrent presque et elle leva de nouveau les yeux sur lui. Il lui barrait le chemin. Elle eut un geste de recul.

— Foster Hillman n’a pas pu venir, dit Malko à voix basse. Je suis chargé de vous conduire à lui.

Les yeux noirs devinrent immenses. Une lueur de panique passa dans ses yeux. Elle recula brusquement et fit sèchement :

— Je ne sais pas ce que vous voulez dire. Laissez-moi.

Déjà Malko ne voyait plus d’elle qu’une croupe ronde ondulant au rythme de son pas rapide. Elle remontait vers Broadway. S’il la laissait filer, elle se perdrait dans la foule avant cinq minutes. Elle pouvait grimper dans un taxi, peut-être une voiture l’attendait-elle… Et maintenant, il en était sûr : c’était la voix qui avait parlé au téléphone, le fil conducteur.

Au moment où Malko démarrait, Chris et Milton arrivaient essoufflés.

— Qu’est-ce qui se passe ?

La femme qui court là-bas, montra Malko. C’est elle que nous cherchons. Vite.

Il n’avait pas le temps de prévenir les agents du F.B.I. Mais Chris Jones l’avait déjà doublé. Sa haute silhouette se faufilait à travers la foule dense, poussant, heurtant, bousculant. Il perdit son chapeau dans un choc, mais ne s’arrêta pas.

La femme avait près de cent mètres d’avance. Les trois hommes ne gagnaient pas de terrain. Soudain, Malko vit au bout du poing droit de Chris un petit Colt cobra nickelé.

— Chris, ne tirez pas ! hurla-t-il.

Des passants se retournèrent. Une femme trop fardée vit l’arme de Chris et poussa un cri perçant.

— C’est un hold-up, glapit-elle. La police, appelez la police…

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6

Voir S.A.S. contre C.I.A.