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La liberté plus ou moins grande de la Toile pourrait bien être un critère de la démocratie. Comme la liberté de la presse, la liberté de la Toile suppose qu’on écarte les chaînes et les trames.

16 novembre 2005

Conservateur

Les attitudes politiques se répartissent, tout le monde en convient, selon plusieurs tendances. En France, c’est la Révolution qui a mis en place deux types d’opposition. D’une part, il y a une répartition des partis en droite et gauche, qui n’est pas spatiale, mais symbolique. D’autre part, on désigne trois positions possibles face à l’évolution de la société : mouvement, par les réformes ou par la révolution, immobilité, appelée « conservation », et enfin réaction.

En accusant la gauche de conservation, voire de conservatisme, on fait un retournement rhétorique. Assez malin, d’ailleurs, car si personne n’a songé à dénoncer dans la droite un progressisme révolutionnaire, cette droite se proclame volontiers réformiste, ce qui exclut la conservation. On remarquera enfin que personne ne se dit « réactionnaire ». Ainsi, les défenseurs du colonialisme, qui ne sont pas tous à droite, estiment un système disparu, mais ne réclament pas un retour à ce passé.

Du passé, on ne veut plus faire table rase, et l’idée d’en conserver des éléments porte un nom plutôt valorisé : celui de tradition, mot qui signifie « transmission ».

De fait, en matière d’art, les conservateurs, comme les restaurateurs, sont des transmetteurs de patrimoine, et combattent la destruction du passé. En politique, mais dans l’Antiquité, le conservator romain conservait, sauvait et respectait des contenus précieux : on parlait de conservator rei publicae, conservator libertatis. Or, conserver la république, la liberté, n’est pas l’apanage de la droite.

Conserver, du latin cum servare, renforce servare, qui ne signifiait pas « servir », mais « sauver, garder », et se retrouve dans réserver, ob-server, pré-server, tous programmes dont le caractère de droite ou de gauche n’est pas évident, et dépend des compléments donnés à ces verbes. Bien sûr, la gauche n’est hostile ni aux conserves, ni aux conservatoires de musique, ni aux conservateurs de musée ; ce n’est pas une raison pour lui prêter l’esprit conservateur ainsi désigné en 1794 et qui s’oppose alors à révolutionnaire. Nous sommes tous conservateurs des choses qui nous sont chères, ce qui n’empêche aucunement de vouloir changer la vie. Selon ce qu’on veut conserver ou changer, on sera de gauche ou de droite, sans traiter l’autre, si l’on est honnête, de réac ou de vieille conserve.

20 décembre 2005

Évolution

Les évolutionnistes ne sont pas plus évolués que les autres humains, mais ce sont des scientifiques, qui ont donc des convictions évolutives. Grâce au débat, apparemment intellectuel, et réellement politique, qui se développe aux États-Unis, de nouveaux mots en — isme apparaissent. Ainsi, les antiévolutionnistes contribuent à l’« évolution » du langage, en suscitant, par exemple, le néocréationnisme, qui succède au créationnisme, mot fabriqué vers 1890 par réaction, déjà, contre l’évolutionnisme, désigné en 1873 à côté de transformisme. Ces termes signaient non seulement une évolution, mais une véritable révolution scientifique. Encore deux mots en — isme, darwinisme (1867 en français, Charles Darwin était mort cinq ans avant), et, négligé par les Étatsuniens, lamarckisme, du nom d’un immense savant, Lamarck, l’un des responsables du mot biologie et l’inventeur de l’opposition invertébrés-vertébrés.

Le mot évolution, aujourd’hui, grâce à Lamarck et à Darwin, est le seul cadre possible de pensée scientifique pour l’histoire de la vie sur notre planète et notamment pour celle d’espèces animales, celles de ces mammifères appelés primates — ce qui veut dire « premier » et non pas « crétin » —, et aboutissant à ce qui intéresse le plus les égoïstes humains : leur propre espèce, la nôtre. Ainsi, avec l’évolution, nous, qui aimons nous appeler sapiens sapiens, deux fois sages, car une seule sagesse ne nous suffisait pas, échappons au façonnage par la main divine. Quant à la femme, elle en a marre de s’appeler Homo — même si les mecs lui concèdent sapiens sapiens — et plus encore d’être considérée comme une création quasi chirurgicale à partir de la côtelette du père Adam. Nos ancêtres ne s’appellent plus, ici en France, les Gaulois, mais, ici sur Terre, erectus, habilis, ergaster, sapiens, série très évolutive de latinismes.

Nostalgiques des mythes, certains, qui lisent littéralement la Bible comme d’autres fondamentalistes lisent le Coran, partent en guerre contre l’évolution. Entre Anglo-Saxons nord-américains, l’ennemi est le darwinisme, mais les francophones, face à ce qu’un ministre québécois facétieux appelait les « anglosaxophones », ajouteront le lamarckisme, qui se réfère plus à l’idée d’adaptation que de sélection, débat fructueux.

J’oubliais de dire que le mot très général évolution venait du latin volvere et signifiait « déployer, dérouler », belle métaphore pour l’histoire des espèces vivantes. Ce mot a été affecté à la science d’abord en Angleterre, par le géologue Lyell, et aussi par le biologiste suisse Charles Bonnet, avant Darwin.

Cela, avec le transformisme de Lamarck, faisait partie de l’« évolution », pour ne pas dire le progrès, de la connaissance scientifique. L’antidarwinisme des tenants du « dessein intelligent », autrement dit la création par un Grand Esprit, ne peut satisfaire les croyants eux-mêmes ; en revanche, il séduit les ennemis de la science. L’antiévolutionnisme ne correspond qu’à une évolution politique et sociale négative. L’antiévolutionnisme pourrait être tout simplement un régressionnisme.

22 décembre 2005

Remerciements

Je remercie, parmi tous ceux qui m’ont guidé ou soutenu au fil des années : Patricia Martin, Jean-Luc Hess, Claude Villers, Pierre Bouteiller et le président Jean-Marie Cavada, ainsi que Danièle Morvan dont les conseils et critiques m’ont été précieux.