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— Pourquoi attendre ? Vous n’avez qu’à téléphoner.

— Impossible, il a débranché…

— Mais…

— Comprenez qu’il ne me quitte pas. Une fausse manœuvre et nous y passons tous les deux !

— Bon !

— Vous m’avez bien saisie ?

— Oui…

— Alors soyez courageux…

Elle remet le drap et sort.

Quelle gymnastique !

Elle ne ment pas en assurant que Dubois la surveille. A peine est-elle hors de la chambre que Dubois l’interpelle.

— Que faisiez-vous, Anne-Marie ?

— Je mettais un peu d’ordre…

— Venez par ici !

Un claquement de porte, le silence retombe… Quand sortirai-je de ce cloaque invraisemblable ? Lorsque tout sera terminé, ce sont mes nerfs qu’il faudra soigner… Ah ! bon Dieu ! vivement la Côte d’Azur, son soleil, sa mer bleu lavande après un pareil voyage au pays de la nuit !

Je perçois un coup de sonnette…

Si au moins mes potes avaient la bonne idée de se la radiner avant la maison Borniol ! Un petit séjour dans un coffret de chêne ne m’intéresse pas. C’est suffisant comme ça…

Manque de bol, ce sont les deux gars de la veille. Un choc sourd m’avertit qu’ils apportent la bonbonnière ! Une doucereuse odeur de bois frais me caresse le sens olfactif.

— On va poser le pardosse sur le plancher, décrète le plus autoritaire, celui qui lit l’Huma.

— T’as raison, approuve son pote, ce sera plus commode pour la mise en boîte, surtout qu’il a l’air lourd, le copain !

Anne-Marie se pointe.

— Messieurs, fait-elle, je suis l’assistante du docteur, puis-je vous aider ?

— Pas besoin, ma petite dame, affirment les compères. C’est notre turbin… Vous allez voir, on va l’empaqueter au poil, ce grand garçon !

Je ne sais pas ce qu’ils bricolent… Sans doute préparent-ils ma couche définitive… Je sens que je vais hurler. Ça me saisit tout d’un coup… Ma raison chavire. C’en est trop ! Tant pis pour ce qui arrivera… Je gueulerai tant que je pourrai… Oui mais, il y a Dubois, très près, avec sa putain de seringue et son sang-froid de meurtrier… Il me blousera…

— Tu vas lui choper les flûtes, dit le lecteur de L’Huma… Moi, je me charge de l’en-haut…

Je me raidis au maximum. Je serre les dents, je garde mes bras plaqués contre mon corps…

Je suis saisi à travers le drap… Celui qui me prend par les épaules m’arrache littéralement le bras du corps et la douleur est telle que je vais hurler ou m’évanouir. Un froid intense me bloque le cœur. Je sombre presque dans les pommes.

A cet instant le whisky absorbé cette nuit produit un fort gargouillement dans mon estomac. Je me dis que tout est foutu, mais non, les croque-macchabées se contentent de rire.

— Il laisse ses dernières volontés, dit le plus malin à Anne-Marie.

Sous moi, il y a un brusque contact dur. Ces manches pèsent sur mon plâtre qui ne veut pas rentrer dans le cercueil…

L’obscurité se refait. Ils ont mis le couvercle. Je perçois, lointaine, la petite voix mélodieuse d’Anne-Marie.

— Ne vissez pas le couvercle car sa famille va vouloir lui dire un suprême adieu…

— D’autant plus qu’il s’en va sans laisser d’adresse, rigole l’un des duettistes.

Ensuite, silence ! Re-silence ! Toutes les séquences se terminent de la même façon… Du noir, du silence…

J’étouffe un peu…

On soulève le cercueil et on le hisse sur quelque chose : probablement sur deux chaises !

Des pas lointains… Confus… Il fait chaud, là-dedans… Est-ce de l’autosuggestion, mais il me semble que ça pue le cadavre, comme si le cercueil avait déjà servi… Peut-être est-ce moi qui dégage cette sale odeur après tout. Quelle différence y a-t-il entre bibi et une vraie viande froide ? Pas beaucoup !

Je perçois la voix de Dubois… Une voix comme on en entend dans les rêves : irréelle, creuse…

Une voix qui fait mal et qu’on a pourtant peur de ne plus entendre…

— Comment, ils n’ont pas vissé le cercueil ?

— C’est moi qui leur ai demandé de…

— De quoi vous mêlez-vous ?

— C’est au cas où sa famille…

— Allez me chercher le tournevis qui se trouve dans le tiroir de mon bureau…

Hein ? Mande pardon, il y a maldonne. Là je ne joue plus ! Visser ! Mais c’est que j’étouffe, moi ! J’étouffe ! Je…

J’ai dû pousser une plainte, était-elle perceptible de l’extérieur ?

J’entends en même temps un coup de sonnette.

— Qu’est-ce que c’est ? crie Dubois.

— Le facteur, annonce Anne-Marie.

J’avais espéré que c’étaient mes collègues. Qu’est-ce qu’ils attendent, ces saligauds !

— J’y vais, dit Dubois.

La sonnerie se répercute dans mon être comme une volée de cloches.

Le facteur sonne mon glas à la porte d’entrée… Il sonne, il sonne, il…

Ça devient comme un monstrueux carillon… J’essaie de me soulever… Je n’en peux plus… Je hurle, mais ma voix n’est qu’un couinement ténu de souris en bas âge…

Je ne peux plus bouger, plus parler, plus respirer. L’horreur de ma situation me rend fou ! Anne-Marie doit bien comprendre que… Elle doit se dire que…

Au secours ! On m’arrache les poumons… Je sens des explosions dans ma tête.

Alors quoi, c’est ça, mourir ?

Ben merde, je rends mes billes… Elle a été idiote, Félicie, de se laisser cloquer un polichinelle par papa !

BONJOUR, FACTEUR !

Une bouffée d’air me chavire… Je pousse un soupir délicieux… J’ouvre mes lampions… Je suis long à réaliser ce qui se passe… Je vois tout d’abord Anne-Marie, tenant le couvercle du cercueil d’une main et le tournevis de l’autre.

En travers du lit, il y a deux types qui se battent furieusement, en poussant des cris d’animaux enragés.

Je les distingue à peine à cause de ma position horizontale. D’un seul coup, l’étroitesse du cercueil m’étreint, m’affole… Je prends appui sur le bord du coffre sinistre et je parviens à me redresser un peu. Mon corps est disloqué. On pourra me refaire mon plâtre… A l’heure actuelle, je dois avoir mon bras cassé au milieu du dos.

Ça se bigorne ferme dans la carrée. Je reconnais Dubois parmi l’un des combattants… L’autre porte un uniforme. A priori, je me dis qu’il doit s’agir d’un flic, mais a posteriori, je constate que c’est un uniforme de facteur. Où je suis asphyxié, c’est lorsque je reconnais mon collègue Pinaud, à l’intérieur du costar des Pétété !

Pinuche, le brave vieux Pinuche ! Celui qui a toujours des radotages à sortir… Qui vous raconte le certificat d’études de son petit neveu, la jambe de bois de son frère, la thyroïde sournoise de sa femme, ses parties de bridge chez son pote le dentiste… Oui, Pinaud le calme, le gnan-gnan, Pinaud, l’homme à la gueule triste comme une affiche électorale, aux cils farineux, papillotants comme ceux d’un hibou éveillé en plein jour… Pinaud est là en train de faire le coup de poing avec Dubois… Il tient un revolver dans la main gauche et Dubois lui maintient le poignet levé pour détourner l’arme de lui. Avec leur autre poing libre, les deux antagonistes ne se font pas de cadeaux, je vous le jure ! Vlan ! Paf ! Bing ! Poum ! Ça pète sur les cartilages… Ça tuméfie, ça malaxe, ça meurtrit, ça laboure, ça distend, ça distribue l’ecchymose, ça sème l’hématome, ça vulgarise la fracture, ça constelle d’égratignures, ça orne de griffures ! Du travail de chiens en rut qui veulent un cadavre !