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Pinaud a cinquante-six ans et une constitution plutôt chétive tandis que Dubois n’en a pas quarante et figure dans les gabarits géométriques. S’il n’avait le souci dominant d’écarter de lui ce revolver, il y a longtemps qu’il aurait eu raison du Pinaud des Charentes ! Mais ce bras armé l’inquiète ! Moi, dans mon sarcophage, je les ai au nougat ! Oh ! pauvre madame ! Si j’étais valide, vous verriez un peu ce turbin ! Il sentirait sa douleur, Dubois… Il me paierait la facture de ces jours hideux qu’il m’a fait vivre !

Et avec les intérêts de retard encore, ma parole !

Mais je ne peux que frémir et, impuissant, assister à cette méchante bataille !

Soudain, Dubois force sur le bras de Pinaud, le revolver tombe de la main de mon pote. Il cogne sur le montant du lit et choit au-delà de la couche que j’occupais…

Alors Dubois fait le forcing. Il a dû trouver son second souffle, probable, car le mec Pinuche le sent passer. Dubois commence par lui carrer un coup de boule dans le baquet… Ensuite il se redresse et se met à travailler Pinuche à la face. Une série dans la frite, puis un méchant crocheton dans l’estom’ et voilà mon pauvre facteur expédié en port dû au tapis… Alors Dubois a un rire sauvage, il lève le pied et l’abat sur la poitrine de Pinaud qui pousse une plainte déchirante ! Il s’acharne, le doc… Une fureur noire l’anime… Il veut la peau de mon copain, et il va l’avoir… Tout va être scié…

Anne-Marie, soudain, se baisse prestement. Lorsqu’elle se relève, elle a posé le couvercle du cercueil… Je la vois s’avancer, mettre un genou sur le lit… Son bras droit, tenant le gros tournevis, se lève au-dessus du dos de Dubois… La brave petite !

Il y a en elle comme une fraction de seconde d’hésitation, puis son bras s’abat ! On n’entend rien… Elle retire vivement sa main… Je vois le gros manche rouge du tournevis rivé au dos de mon tortionnaire. Dubois s’immobilise… Son dos, sous sa blouse, est large, carré, blanc comme un écran de cinéma.

Le manche planté là-dedans prend une signification formidable…

Dubois se retourne lourdement… Il a un petit geste ridicule. Il passe sa main dans son dos, comme fait une femme pour dégrafer sa robe, mais lui, il veut essayer d’arracher cette tige de fer plantée en lui… Il ne peut terminer son geste. Son bras retombe… Il parvient à faire demi-tour. Il me regarde. Puis il regarde Anne-Marie et il ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais un peu de sang coule au coin de ses lèvres… Il bredouille un peu, ses yeux se troublent. Il s’écroule…

Un terrible silence s’établit alors dans la pièce.

Anne-Marie est toujours agenouillée sur le lit. Elle a le regard dilaté par l’énormité de son acte et elle se mord le tranchant de la main pour s’empêcher de hurler.

J’entends remuer, de l’autre côté du lit… Une main s’accroche à la barre de cuivre du montant… Je la fixe, halluciné. Est-ce celle de Dubois ou bien celle de Pinaud ? Lequel des deux est en train de se relever ?

Je regarde, fou d’angoisse… Si Dubois n’a pas été touché mortellement, il aura le sursaut nécessaire pour cramponner le pistolet et nous démolir tous…

Une gueule apparaît, celle de Pinuche. Je respire… Il est frais, le chéri… Il a le pif qui pisse le sang… Son lampion gauche est boursouflé comme une aubergine et sa pommette droite est ouverte… Il pose sur moi un œil, un seul, empli d’étonnement. Il est tellement cocasse ainsi, que, malgré la gravité de la situation, je suis secoué par le fou rire…

— Bonjour, facteur, dis-je. Vous faites les recommandés, à ce que je vois… Et les paquets chargés ?

Il torche son nez rouge d’un revers de manche.

— Tu as bonne mine, dans ta baignoire capitonnée, rétorque-t-il.

Il regarde Anne-Marie… Des larmes silencieuses ruissellent sur le joli visage de la jeune fille.

— Merci, dit-il. Sans vous, je crois qu’on allait passer un vilain moment…

— Comment se porte notre bon docteur ? je demande.

Pinaud va se pencher sur l’homme étendu de l’autre côté du lit.

— Il se porte comme un mort, affirme-t-il ; va falloir que tu lui laisses ta place, mon garçon…

Vous le voyez, l’humour ne perd pas ses droits !

On prétend souvent que les gens d’esprit ne se recrutent pas dans la police. Dans l’ensemble c’est un peu vrai. Mais il est des exceptions…

Anne-Marie bégaie :

— Mort ! Il est mort !

— Oui, réaffirme Pinaud. Vous ne l’avez pas raté… Ah ! le voyou. J’ai cru qu’il me fendait le crâne !

— Je l’ai tué, sanglote Anne-Marie. Je l’ai tué…

— C’est la plus belle action que vous ayez jamais accomplie, certifie mon collègue.

Il se tamponne le pif…

L’hémorragie se tarit un peu.

— Il faut que j’aille téléphoner aux amis pour qu’ils envoient de la main-d’œuvre, dit-il. Tu permets ?

Sans attendre mon autorisation, il s’évacue…

J’entends décroître son pas et je regarde la petite Anne-Marie, effondrée. Elle chiale tout ce qu’elle sait. C’est la réaction. En voilà une à qui je dois une fière chandelle. Quand j’irai mieux, du reste, je lui offrirai un cierge grand format ! Sans elle, je serais calanché à l’heure où je mets sous presse ! Et quelle mort ! Maintenant, au contraire, je vais vivre… Vivre !

Le tableau que nous offrons ne doit pas manquer de pittoresque, mes pauvres chéries. Imaginez votre San-Antonio bien aimé à demi assis dans un cercueil posé sur deux chaises. Puis une belle fille en larmes agenouillée sur un lit, la jupe relevée, ce qui permet de découvrir le haut de ses bas, une patte de porte-jarretelles en soie blanche, un morceau de peau bronzée…

Et enfin, à terre, le cadavre d’un homme ayant un tournevis planté dans la viande ! Charmante figure familiale… Hitchcoque verrait ça, il achèterait les droits d’adaptation ! Aussi sec, nature !

Soudain un léger grincement me fait sursauter… Ma lourde vient d’être poussée et la mère Dubois paraît dans l’encadrement… Si l’on peut dire, car elle déborde de chaque côté… Elle a la moustache en bataille… L’œil noir, injecté, et le mufle fouisseur… Elle ressemble à une truie occupée à chercher des truffes.

Elle mord la scène d’un regard charbonneux… Une expression mauvaise s’étale sur sa monstrueuse bouille !

Elle me voit dans le cercueil, comprend que je suis incapable d’intervenir… Elle voit le cadavre de son vieux, le portemanteau piqué dans sa carcasse ; elle voit les larmes de la belle assistante… Tout son être frémit… Elle franchit la porte et s’avance… Elle est immense, terrible comme un char d’assaut… C’est une montagne en mouvement que cette vieille pourriture !

Elle fonce sur nous. Parvenue au niveau du lit, elle hésite. C’est moi qui ai droit à la charge de la brigade sauvage. Tel un bulldozer, elle culbute « mon cercueil » et je me retrouve les trois fers en l’air (le quatrième étant hors jeu).

La secousse a été si rude que j’ai un instant de flottement… Ça tournique dans ma tronche. Des clochettes printanières carillonnent gaiement et j’ai envie d’aller accrocher les wagons.

Enfin, percevant des cris, je bigle en direction d’Anne-Marie. Cette dernière tire une langue longue comme un rouleau de papier peint. La mère Dubois l’a saisie à la gargante et lui malaxe le larynx avec frénésie, tout en vomissant des injures. La pauvre Anne-Marie, bloquée contre le mur par la masse de viande, ne peut rien faire… Elle suffoque… Elle se trémousse…

Bon Dieu, qu’est-ce qu’il fout, Pinuche ?… C’est pour le coup qu’il devrait jouer le Retour de Zorro ! Seulement, tel que je le connais, son téléphone passé, il est en train de se laver la hure au lavabo du troquet en se faisant préparer un grand rhum…