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Je finis par dénicher plusieurs jeunes femmes intéressées. Elles sont déjà dans nos murs, à Perpignan, mais dans un rôle de back-office, c’est-à-dire de soutien aux agents de terrain. Deux d’entre elles réussissent les épreuves de sélection et intègrent la formation de guerre spéciale. Une seule tient le choc, qui poursuit avec la formation moniteur combat spécialisé. Au CPIS, elle est véritablement LA première et je crois qu’elle est toujours active. Aujourd’hui encore, les opérationnelles MCS sont très peu nombreuses, pourtant elles sont redoutables.

Les tailleurs et les chaussures à talons sont moins rares au siège de la DGSE, boulevard Mortier à Paris. Qui sont ces femmes de l’ombre, classées top secret ? Beaucoup sont cyberespionnes, elles appartiennent au service de renseignement technique de la DGSE. Elles collectent des données, épluchent le Web, participent activement à la lutte contre le terrorisme. Lors des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher début janvier 2015, plusieurs centaines d’entre elles sont chargées d’intercepter les communications, les e-mails et les SMS des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly. Même ratissage minutieux de la Toile et des échanges via Internet après les attentats à Paris et en Seine-Saint-Denis en novembre 2015. Un travail de l’ombre parfois ingrat, moins romantique et romanesque que la vie à risque de l’officier traitant sur le terrain, mais tout aussi indispensable. À vrai dire, l’un ne va pas sans l’autre.

Les choses évoluent dans le bon sens. Depuis les années 1990, le nombre de femmes dans les services secrets a triplé, pour atteindre 26 % en 2013. Au siège de la DGSE, ces professionnelles ultradiplômées (ENA, X, Saint-Cyr, Sciences-Po, etc.) occupent désormais les mêmes postes que les hommes. « C’est un atout, se félicite Bernard Bajolet, le directeur général de la DGSE. Comme elles sont moins nombreuses, elles en veulent plus. Plus déterminées que les hommes, elles voient des choses qu’ils ne voient pas[17]. » En 2013, trois jeunes analystes traquent durant un an et demi le chef des Shebab impliqué dans l’assassinat de Denis Allex, l’agent de la DGSE pris en otage en Somalie. « Elles ont permis la neutralisation de l’un des terroristes les plus recherchés de la planète, abattu peu après par un drone américain au sud de Magadiscio », affirme le journaliste Éric Pelletier[18].

Malgré leurs prouesses, aujourd’hui encore, les espionnes peinent à forcer les portes de la direction générale de la DGSE (10 % de femmes) et surtout du SA (9 % de femmes). Certaines néanmoins, selon le mouvement que j’ai initié, décrochent le précieux sésame pour une carrière d’officier traitant. Leur vie devient un roman, ou un film d’espionnage. Elles découvrent le Bureau des légendes et courent les points chauds de la planète, jonglent entre des missions clandestines à haut risque. « J’ai utilisé une légende de créatrice de bijoux pour sortir des cailloux d’un pays d’Asie suspecté de fabriquer des armes chimiques[19] », confie l’une. « Je me suis servie d’une légende de présidente d’une ONG fictive pour infiltrer un groupuscule de mercenaires des Balkans », glisse une autre[20]. À leur contact au CPIS, je constate à quel point elles sont pros, dotées d’un sang-froid saisissant. Pas question de fanfaronner, ni de cabotiner. « Moi, à la différence de James Bond, je n’improvise pas, décrypte froidement une OT. Mon métier est méthodique, cartésien, cadré. » Une approche humble et dépassionnée, gage d’une grande efficacité.

Aujourd’hui, la sélection pour entrer au service Action est moins « artisanale » que par le passé. Plus question d’envoyer une taupe vous évaluer secrètement pendant un stage commando, comme à mon époque. Les postulantes intègrent la DGSE, et le SA le cas échéant, par concours. Une formation leur enseigne ensuite le b.a.-ba de l’espionnage à travers un éventail de stages : self-defense et tir, rupture d’une filature grâce au désilhouettage, maîtrise du double voire du triple langage, comme dans ce dialogue un brin caricatural mais désopilant tiré du film OSS 117. Le Caire, nid d’espions :

— Comment est votre blanquette ?

— La blanquette est bonne.

— On me dit le plus grand bien de vos harengs pommes à l’huile.

— Le cuisinier vous apportera un ramequin et vous vous ferez une idée.

Certaines femmes sont de véritables expertes dans l’art de la manipulation psychologique. Pour le reste, comme pour les officiers traitants masculins, le BEC est de rigueur et le culte du secret s’impose. Interdiction formelle de divulguer les noms des collègues, de parler de ses dossiers à l’extérieur et d’évoquer son employeur. « Même si nous œuvrons dans l’ombre, notre métier offre de puissantes satisfactions, confie une OT. La conscience de servir son pays, de lutter contre le terrorisme, de participer à maintenir la paix, à éradiquer les menaces et à sauver des vies, tout cela l’emporte largement sur le fait de ne pas pouvoir dire à l’apéro : “Vous savez quoi ? Je suis une espionne.”[21] »

Pour les OT féminins comme pour leurs collègues masculins, le retour à la maison n’est pas toujours facile à négocier. Il faut d’une part renoncer à l’adrénaline de sa double vie, d’autre part gérer les troubles de stress post-traumatiques qui peuvent apparaître après certaines missions délicates. Pour les unes comme pour les autres, le couple résiste mal et les divorces sont fréquents dans ce milieu. Le prix à payer pour une vie littéralement extraordinaire.

9

Guerre au Tchad

2004. Le président du Tchad Idriss Déby est tendu, il redoute de se faire assassiner par quelqu’un de son entourage à N’Djamena. En visite à Paris, il s’ouvre de ses inquiétudes à son ami Jacques Chirac. Le président de la République française lui fait une promesse : « Je vais t’envoyer quelqu’un et ensemble vous allez mettre en place ce qu’il faut pour te protéger. » Il s’agit d’une mission présidentielle : le premier personnage de l’État en personne décide d’envoyer un expert du SA pour organiser la sécurité d’Idriss Déby. Il se tourne vers le patron de la DGSE et lui pose la question de confiance : « Vous avez bien quelqu’un pour notre ami, monsieur le Directeur ? » L’état-major cherche l’oiseau rare : il faut un officier, bon connaisseur du Tchad, titulaire de la formation protection rapprochée, capable d’organiser une cellule de formation de gardes du corps et si possible spécialisé dans les affaires de contre-insurrection. La liste finale comprend cinq candidats. C’est moi qui suis retenu.

Direction le Tchad, cinquième pays le plus vaste d’Afrique, sans accès à la mer. Géographiquement et culturellement, le Tchad constitue un point de passage entre l’Afrique du Nord et l’Afrique noire. Du sable et encore du sable, puis enfin quelques arbres. Du nord au sud, le pays offre successivement une région désertique, un espace semi-aride, puis la savane soudanaise. Selon le Dictionnaire de l’origine des noms et surnoms des pays africains[22] d’Arol Ketchiemen, le Tchad est surnommé le « cœur mort de l’Afrique » en raison de son enclavement au centre du continent et de son climat particulièrement désertique. Très vite, je trouve ce surnom à la fois particulièrement justifié et terriblement sévère étant donné la beauté des portraits et la richesse des cultures traditionnelles locales. Le Tchad est une mosaïque de peuples et non un ensemble monolithique.

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17

Cité par Dalila Kerchouche, « 24 heures dans la vie d’une espionne de la DGSE », Madame Figaro, 28 février 2015.

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21

Cité par Dalila Kerchouche, « 24 heures dans la vie d’une espionne de la DGSE », art. cit.

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22

Favre, 2014.