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Alfred Constaman demeure un long moment à regarder une mouche, au plafond, qui en sodomise une autre avec tact et sans précipitation.

Il finit par murmurer :

— Il a écrit tout ça, le journaliste ? Je lui en ai pas raconté le dixième !

— C’est moi qui ai complété le topo.

— Vous êtes journaliste aussi ?

— Non, flic.

— Je me disais…

— Ça se voit donc ?

— Non, ça se sent. Je vous intéresse encore ?

— Pas moi, maman.

— Je comprends pas.

— Je suis directeur de la Rousse, monsieur Constaman et j’habite chez ma mère. La digne femme est abonnée à V.S.D. et a lu votre histoire qui l’a beaucoup intéressée. Elle m’a demandé d’en prendre connaissance. Sur la photo illustrant le chapitre qui vous est consacré, vous avez un air franchement malheureux et je pense que c’est cela surtout qui a touché ma vieille. J’ai chargé un de mes collaborateurs d’établir votre biographie, ce qui vous explique que je sois documenté à votre sujet.

Il ronchonne :

— Vous avez rien de mieux à foutre, à la Police ?

— Si, et on le fait aussi, réponds-je.

A cet instant, une forte religieuse à barbe se pointe, cornette au vent.

Elle clame, d’une voix de marchande des quatre-saisons aphone :

— On m’a appris que tu as de la visite, Alfred ! Tu sais que tu ne dois pas te fatiguer !

— Va te chier, la grosse ! répond avec dévotion le vieillard.

La mère supérieure hausse ses robustes épaules.

— Je ne sais pas ce que Le Seigneur va pouvoir faire pour toi quand tu comparaîtras devant Lui, dit-elle, mais II aura du boulot !

Puis à moi :

— Vous êtes un parent de ce mal embouché ?

— Un ami, ma mère.

— Il en a donc ? En tout cas si vous êtes vraiment son ami, ne le surmenez pas trop, il ne respire plus que par habitude ! Encore cinq minutes et vous le laissez !

Elle se retire dans un froufrou de jupailles solennelles.

— Quel vieux tromblon ! grince le vieillard. Vingt ans et mèche que je supporte ce fagot ! Y a vingt piges, elle avait encore de beaux restes, maintenant, elle en a plus que des vieux ! Avec ça, un caractère de doberman, mon gars. Je la hais ! Reste ! Reste tant que tu veux. Si elle revient encore nous les briser, je lui ferai voir ma queue : ça la met en fuite !

Il rit méphisto, le bougre. Commence à trouver quelque agrément à ma présence : elle attise son brandon de vie.

— C’est marrant, avec ces putes de nonnes. Quand elles te font la toilette, elles te fourbissent le chibre sans sourciller, mais si tu le leur déballes dans le courant de la converse, elles prennent peur comme si on allait le leur carrer dans le train !

Ça y est, le voilà en forme, Pépère, redevenu mâle par la grâce de la gaudriole.

— Ainsi, ta mère m’a à la chouette ? il murmure.

— Complètement ! C’est une sainte femme.

— Parce qu’il faut être saint pour s’intéresser à moi ?

— J’ai pas dit ça. C’est une simple précision que j’apporte pour vous faire comprendre son personnage. Cela dit, il y a une chose que j’aimerais que vous me disiez, monsieur Constaman, c’est ce que vous alliez foutre à Alcatraz après avoir eu la chance d’en sortir. Très franchement, je n’y crois pas beaucoup au coup de folie. C’est pas votre style. Et puis un fou n’échafaude pas l’histoire du bateau de pêche et ne se prête pas à cette comédie plusieurs jours durant.

Je me tais. Il a fermé les yeux et son souffle est court.

Soudain, il chuchote :

— Je crois que la grosse a raison : tu me pompes l’air, fiston. Casse-toi, ça m’a fait plaisir de te connaître. Et puisque tu diriges la Rousse, suis mon conseil : sois pas vache avec les malfrats, essaie de les comprendre. Moi, je suis tombé, jadis, parce que j’ai zingué une gonzesse qui avait déjà pompé cent mecs avant moi et qui en aurait pompé mille après sans ce coup de chaleur qui m’a fait perdre les pédales.

Je vais chercher sa main cradingue sur le drap.

— Alors vraiment, vous ne voulez pas me dire, monsieur Constaman ? Vous savez, les secrets c’est comme le pognon, vaut mieux en faire cadeau avant de partir.

Il soulève ses paupières cloaqueuses.

— Dis à ta mère de m’apporter des pâtes de fruits, j’en raffole. Si elles sont vraiment bonnes, je lui raconterai peut-être, à elle.

2

SALES LAMBEAUX[2]

Je la regarde avec attendrissement descendre le vieil escalier de pierre. Comme elle est menue dans son petit manteau de drap gris à col de fourrure synthétique (m’man est pour la protection de la nature et ne met pratiquement jamais le vison que je lui ai offert un jour, à Noël).

Ses jambes maigres tricotent les marches avec vélocité. Elle porte des gants de laine du même gris que le manteau et un petit chapeau pas croyable comme on n’en trouve plus qu’au nord de l’Écosse ou dans l’Appenzell. Tout autre qu’elle serait ridicule avec ce bibi, mais ma vieille tire parfaitement son épingle du jeu et il lui donne même un côté « cascadeur » qui m’amuse.

Elle s’avance vers ma tire à pas pressés. J’en jaillis pour l’aider à se glisser dans le véhicule sport, un peu trop surbaissé pour ses rhumatismes. Son souffle bref fait des petites boules de vapeur devant sa bouche, comme sur les dessins animés.

J’attends que nous soyons installés côte à côte avant de laisser tomber le « Alors ? » qui me démange.

— C’est pas un méchant homme, commence Félicie.

— Non, conviens-je : il n’a tué officiellement que trois personnes au cours de sa petite vie tranquille.

M’man ne fait pas un sort à ma remarque sardonique et enchaîne presto :

— En tout cas, il a adoré ma pâte de coings. Quand je lui ai dit que je la confectionnais moi-même, il a eu les larmes aux yeux et m’a parlé de celle de sa grand-mère.

— C’est réconfortant de penser que les pires bandits ont eu une grand-mère, fais-je. Il t’a confié son fameux secret ?

— Entièrement. Attends, j’ai pris des notes !

Elle déponne son sac à plis et ventru comme un accordéon et en extrait une enveloppe usagée qu’elle a éventrée pour prendre des notes sur sa face interne.

Armée de son pense-bête, elle monte au rapport :

— Pendant sa détention au pénitencier d’Alcazar…

— D’Alcatraz, m’man.

— Pardon, j’ai écrit trop vite et ne peux me relire correctement. Oui, d’Alcatraz. Pendant son incarcération là-bas, te dis-je, M. Constaman s’est lié d’amitié avec un de ses compagnons du nom de…

Elle rapproche le papier de son nez et articule difficilement :

— Tom Garden, surnommé Doc, un ancien médecin qui assassinait ses riches patientes pour les détrousser. Cet homme a été un des derniers condamnés hébergés à Alcatraz puisqu’il y est arrivé dix mois avant sa fermeture. M. Constaman prétend qu’il se droguait et qu’il parvenait à obtenir de la cocaïne en prison. Un jour qu’il était particulièrement « chargé », c’est le mot qu’a employé M. Constaman, j’espère que tu sais ce qu’il signifie ?

— Je vois parfaitement, m’man.

— Donc, un jour qu’il était « chargé », il a fait des confidences à son ami pendant la promenade.

« Il lui a déclaré qu’il savait de source sûre qu’on allait assassiner le Président Kennedy au cours de l’année et qu’il détenait la preuve du complot. Il prétendait qu’il ne lèverait pas le petit doigt pour empêcher la chose parce que, dès qu’elle serait commise, avec ce qu’il détenait, il pourrait se faire libérer en cinq sec.

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Chapitre dédié à Gustave Flaubert.