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— Merci, mon chou.

Elle murmure :

— Je m’appelle Barbra.

— Pardon ? fais-je, car j’ai l’esprit ailleurs, ce qui est un peu mufle sur les bords, compte tenu du fait que c’est moi qui lui réclamais son prénom.

Elle répète :

— Je m’appelle Barbra.

Je ne réponds rien, ni que c’est « très joli », ni que c’est un nom bateau, ni que ça fait bidon, film « B » amerlock ou autre.

Je suis assis dans le fauteuil engraissé au cuir rembourré. J’ai sorti mon stylo et je me mets à gribouiller la photo de première page de Hugh Williams. J’ai toujours eu des dispositions pour le dessin ; par moments je nourris des regrets (rien qui soit moins coûteux à nourrir que des regrets : ça bouffe trois fois rien, ces petites bêtes, et ça devient énorme en un rien de temps) en me demandant si j’aurais pas dû faire les beaux-arts. Je serais peut-être devenu Botero, avec mon sens de l’hénorme, non ?

La photo de l’ami Hugh se modifie sous ma plume. Je l’ai affublé d’une perruque frisée, de lunettes, non plus d’écaille, mais d’acier. J’ai accentué les rides et les lèvres. Lui ai offert un collier de perles (rien de plus fastoche à dessiner qu’un collier de perles, une grappe de raisin ou une assiettée de petits pois). Je pousse le scrupule jusqu’à le doter d’une poitrine de moyenne importance, mais très « lisible ».

Je contemple le résultat obtenu avec satisfaction. Puis j’écris sous la photo : « San-Antonio présente ses respects à Mrs. Daphné Williams. » Ensuite je déchire la page du dossier.

— Vous n’auriez pas une enveloppe, ma chérie ?

Barbra fait droit à ma requête comme disent les ampouleurs de frais. Je glisse mon surprenant message dans l’enveloppe à en-tête de l’agence.

— Qu’on fasse tenir ceci de toute urgence à Mr. Williams ! enjoins-je.

Sans se formaliser (maintenant que le « boss » m’a reçu, je suis tabou), elle mande à nouveau le descendant de l’oncle Tom, neveu direct de l’oncle Tom pour lui confier ma missive.

On dirait un mouton noir, ce gentil Noirpiot. Il s’empare du pli avec onction.

Je regarde disparaître ma petite bombe.

Autant en emporte l’ovin !

— Cette fois, nous partons, dis-je à l’Exquise. Alors, quel est votre prénom, vous ne me l’avez toujours pas dit ?

12

L’AMARRE AU DIABLE[31]

Il reprend lentement pied, Mathias, mais continue de rester axé sur ses bonheurs conjugaux. A l’entendre, sa mégère lui a donné des chiées d’émotions fortes. Belle leçon : ils baisent chrétien et c’est délectable. Depuis la chemise fendue de la nuit de noces, en passant par le chevalet conçu pour les coïts d’avant accouchement, il révèle des instants de folle intensité où l’invention palliait les rigueurs de la foi. Ils ont eu un problème de société à résoudre, les malheureux, quand la prolifération de leur descendance les contraignit à héberger dans leur chambre matrimoniale quelques-uns de leurs rejetons. Leur quatre-pièces ne suffisant plus à loger la horde de rouquins, le Génial a inventé une bulle de plastique opaque pour en coiffer leur couche, à l’instar (expression tombée en désuétude) des courts de tennis qu’on veut utiliser en hiver. Ne reculant devant aucun sacrifice, Xavier a insonorisé sa cloche à baise afin que sa chère moitié puisse gémir de plaisir sans arrière-pensée. Ainsi continue-t-il d’honorer la femelle à l’abri des juvéniles et perverses curiosités.

Tout ça qu’il raconte, mon copain, saisi d’un vertige incoercible (comme disent les déménageurs de pianos) qui le pousse aux confidences les plus intimes.

Et moi, tout en lui accordant une oreille traînante, je gamberge férocement, mon regard errant sur Central Park. Je me dis que l’Agence Williams est sûrement aussi performante que le prétend son somptueux dépliant. Et j’organise dans ma somptueuse tronche climatisée l’hypothèse ci-après.

Des gens ayant traîné dans le complot contre J.F.K. ont tout de suite su qu’un trio de lardus frenchmen, nanti d’infos nouvelles, venait jouer Ies Zorro dans cette histoire, quelque trente années après son déroulement. Depuis lors, les grandes boutiques yankee, telles que la C.I.A. ou le F.B.I. ont beaucoup perdu de leur pouvoir et de leur « efficacité ». Désormais, les gens qui redoutent une couillerie de notre part doivent faire appel à de la main-d’œuvre privée. Alors que font-ils ? Ils s’adressent à une agence dont les prestations sont réputées et qui dispose de grands moyens d’action. On a dû carmer un max à Hugh et s’assurer de sa discrétion absolue. Sans doute, comme c’est souvent le cas dans son genre d’activité, traîne-t-il quelque cadavre dans sa garde-robe et a-t-on barre sur lui ? Moi, je sens les choses ainsi ; mais peut-être que je me goure : je n'ai pas l’infaillibilité du Saint-Père.

Toujours est-il que Hugh Williams largue illico ses affaires en cours, histoire de « s’occuper » de nous. Déguisé en « mamie » et escorté d’une ravissante collaboratrice, il fait la balade d’Alcatraz en notre compagnie et, à cause de mes longues jambes, se paie un billet de parterre qui lui meurtrit durement la « gogne » comme on dit à Saint-Chef ; à preuve, il a la physionomie constellée de sparadrap.

La captivante Mary Princeval n’a pas dû être le seul élément de sa fine équipe à l’accompagner. Il a fatalement disposé d’une main-d’œuvre compétente pour me niquer dans le pénitencier, après s’être annexé d’une manière ou d’une autre les surveillants habituels. Quand ils ont constaté que je ne rentrais pas par le dernier barlu, il leur a été clair que j’allais passer la noye dans la pension Mimosa d’Al Capone. Mary a vampé Mathias, lui a turluté le Pollux et administré ce qu’il fallait pour le mettre à merci. Quand il a été « mûr », il a commencé à jacter, l’apôtre. Il a même dû parler de son élixir de Perlimpinpin et, ô ironie, comme on dit puis à la Sorbonne, la garce n’a pas résisté au plaisir d’expérimenter le produit sur son inventeur !… Je gage[32] que c’est cette accumulation de denrées néfastes qui ont ramolli l’entendement du Rouillé. Ces injections répétées lui ont brouillé la calebombe, au pauvre biquet, d’autant que la môme l’a fait reluire à fond la caisse, ce qui n’a jamais aidé un ancien élève des « Frères de la Consternation » à garder son cervelet au sec !

Va lui falloir combien de temps pour retrouver sa vitesse de croisière ? J’ai encore pas pu discuter à fond des dernières péripéties. Dès ma seconde phrase il se remet à me parler des règles douloureuses d’Angélique, de ses hémorroïdes proliférantes qui lui interdisent toute sodomie (de toute manière, cette pratique ne s’exerce que sur les ancillaires rue des Remparts-d’Ainnay).

La grisaille du soir est vaporisée sur le Park. Il commence dans les beaux quartiers et va finir tout là bas au début de Harlem. Je vois des gens en survêtes rouges ou bleus faire du footinge dans les allées. Des couples sont encore vautrés sur les pelouses et les taxis jaunes circulent calmos par les voies carrossables. Des constructions de béton virent au blafard dans la brume. On distingue des pièces d’eau, des ponts en dos d’âne. Tout ça est d'une drôle de poésie qui produit sur moi un effet magique. Il existe des chiées de coins dans New York dont je suis amoureux, comme je le suis de certains quartiers de Paris.

J’abandonne le spectacle pour m’asseoir face à Mathias.

— Tu ne veux pas qu’on essaie de parler Sérieusement, mon Beau-Souci ?

Il opine.

— Bien sûr.

— Mon petit doigt me dit que le message qu’avait placardé le docteur Garden dans sa cellule, et que j’ai trouvé, est maintenant en possession de Williams, à moins qu’il ne l’ait déjà remis à ses commanditaires. Mais je ne le crois pas. Un type qui se fait douiller probablement une fortune a intérêt à « faire mousser » le travail. En le remettant trop rapidement, il le déprécie en quelque sorte, tu comprends ?

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31

Chapitre dédié à George Sand.

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32

« Mes gages ! mes gages ! » que crie Sganarelle à la fin de Don Juan.