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Gérard De Villiers

Alerte plutonium

Prologue

Stanley Fawcett, directeur adjoint de la Central Intelligence Agency, but avec délices sa première tasse de café. Le jour se levait à peine, mais il était obligé d’être à six heures trente du matin dans son bureau au quatrième étage du bâtiment principal de Langley afin de préparer le « Daily Brief », synthèse de toutes les informations importantes des dernières vingt-quatre heures. Le document devait se trouver sur le bureau du président des États-Unis à dix heures, pour la réunion quotidienne du NSC[1]. Son café terminé, Stanley Fawcett se lança à l’attaque de la pile de comptes rendus des stations de la CIA à travers le monde, amenés quelques minutes plus tôt par sa secrétaire, encore plus matinale que lui.

Au bout d’une demi-heure, il avait sélectionné deux dépêches. Deux informations venant de « sources » annoncées comme sûres par les deux chefs de station de Damas et Moscou.

A Damas, il s’agissait d’un agent infiltré dans les instances dirigeantes du Hezbollah libanais, émanation des services spéciaux de Téhéran. A Moscou, d’un Russe recruté récemment par la CIA : un des responsables de l’institut Kurchatov de l’Énergie atomique. Connu du temps de l’Union soviétique sous le nom de « Laboratoire N°2 », l’institut Kurchatov avait été au cœur du développement des armes nucléaires soviétiques. Rien de ce qui touchait à ce domaine ne lui était étranger.

Stanley Fawcett posa les deux rapports l’un à côté de l’autre. Chacun tenait sur moins d’une page, et les deux disaient la même chose. Depuis octobre 1991, l’Iran avait lancé une opération ultra-secrète, nom de code « Darius », afin de se procurer du plutonium militaire nécessaire à la fabrication de bombes nucléaires et thermonucléaires. L’ayatollah Said Mohajerani, responsable du programme accéléré d’acquisition d’armement nucléaire, avait chargé le docteur Mehdi Chimran, diplômé de physique nucléaire de l’université de Berkeley en Californie, de prendre les contacts nécessaires dans l’ex-Union soviétique. Celui-ci, par discrétion, sous-traitait les opérations avec un homme qui avait déjà rendu de nombreux services à l’Iran : Ishan Kambiz, businessman iranien basé en Syrie.

Le rapport de Moscou précisait que la transaction risquait de se faire par l’intermédiaire d’une compagnie récemment formée par d’anciens apparatchiks soviétiques : Isotop, 22 ulitza Pogodinskaya, Moscou. Cette officine était officiellement chargée de commercialiser de l’uranium « pauvre », impropre à tout usage militaire.

Stanley Fawcett demeura quelques instants pensif devant ces rapports. Certes, il s’agissait de sources fiables, mais il aurait préféré, pour une affaire aussi grave, posséder un élément plus solide, comme une interception électronique. Tant de rumeurs circulaient, depuis l’éclatement de URSS ! En dépit de la collaboration réelle des autorités de la CEI, il était toujours très difficile de savoir où était la vérité. Le directeur adjoint de la CIA hésitait : devait-il mettre en tête de son « Daily Brief » cette histoire de plutonium ? Le Président détestait les Iraniens et ne manquerait pas de réagir ; ce qui serait un bon point pour la Company… Mais si, ensuite, l’histoire se dégonflait…

Stanley Fawcett fit pivoter son fauteuil à roulettes afin de se placer face à l’écran de son terminal d’ordinateur et composa sur le clavier le code secret donnant accès à la banque de données de Langley. Ensuite, il tapa le nom d’Ishan Kambiz. Quelques secondes plus tard, un texte commença à s’imprimer rapidement. Ishan Kambiz, nationalité iranienne, né en 1932. 1952 : Études au Polyieclinicum de Zurich. 1956 : M.B.A. à Harvard.

1958 : s’installe en Syrie, à Damas, on il crée une affaire d’import-export. Travaille beaucoup avec l’Union soviétique où il effectue de nombreux séjours. En 1971, déménage à Beyrouth dans un immeuble qu’il a fait construire et dont il conserve les deux derniers étages. Se marie avec Najira Adwan, ex-Miss Liban.

En 1976, émigré à Abu Dhabi où il essaie de vendre au Cheikh Zaied une usine de dessalement d’eau de mer. Entre 1978 et 1984, effectue de nombreux voyages au Liban et en Iran où il se lie d’amitié avec l’ayatollah Mohajerani. Il devient acheteur de matériel de guerre pour le compte de l’Iran, effectuant également la liaison avec les Hezbollah installés dans la plaine de la Bekaa. On le soupçonne d’avoir eu des contacts étroits, pour le compte de l’Iran, avec des groupes terroristes menant des opérations contre les USA et Israël. Il aurait été mêlé à l’attentat contre l’ambassade américaine de Beyrouth. C’est en 1985 qu’il commence à s’intéresser au nucléaire, à la demande de Mohajerani et de Mehdi Chimran. Il ouvre différents bureaux d’achat de matériel et de technologie de par le monde : IBI Engineering Gmbh, Kaiserstrass 8, Frankfurt am Main. IBI Engineering AG, à Zug en Suisse. IBI Engineering Co, Postoak Btd, Houston, Texas. IBI Engineering Co, 74 Sloane Avenue, London SW3. Il a également de fréquents contacts avec les autorités brésiliennes qui cherchent à vendre discrètement leur technologie nucléaire à l’Iran.

Suivait en annexe une liste interminable de matériel acheminé en Iran par les bons soins d’Ishan Kambiz. Les dernières lignes du rapport intéressèrent particulièrement Stanley Fawcett :

On estime que, grâce aux efforts de Kambiz et d’autres intermédiaires, l’Iran a constitué une infrastructure technologique suffisante à la création d’un potentiel nucléaire. Il ne lui manquerait que du combustible : uranium enrichi ou plutonium.

Le directeur adjoint de la CIA déclencha l’imprimante. Décidément, Ishan Kambiz allait être le morceau de choix de son « Daily Brief ». Il ne restait plus ensuite qu’à sensibiliser toutes les stations de la Company à travers le monde pour tenter d’en savoir plus sur l’opération « Darius ».

Chapitre Premier

Depuis un moment, la brune aux cheveux tressés, en blouson de cuir et jeans délavés, jetait des coups d’œil furtifs dans la direction d’Ishan Kambiz. Avec son crâne chauve cerné d’une couronne de cheveux noirs, ses yeux légèrement globuleux et ses traits empâtés, l’Iranien n’avait pourtant rien d’un play-boy.

Il avait vidé sa tasse de thé et tuait le temps en observant les autres clients du bar, situé juste en face des ascenseurs. La fille aux cheveux tressés, elle, se trouvait un peu à l’écart, dans un des fauteuils du hall du Hilton, où patientaient les visiteurs de passage. Une brusque et tardive tornade de neige venait de s’abattre sur Budapest et pas mal de gens s’étaient réfugiés à l’hôtel.

Ishan Kambiz était intrigué par le manège de cette inconnue qui ne ressemblait pas aux putes qui traînaient dans les hôtels, maquillées à la pelle et boudinées dans des tenues hyper-sexy. Celle-là faisait plutôt penser à une étudiante. Tandis que l’Iranien l’observait à son tour, l’inconnue ouvrit son blouson comme si elle avait trop chaud, découvrant un T-shirt tendu par des seins lourds. Ishan Kambiz sentit soudain sa fatigue fondre comme neige au soleil.

Vingt-quatre heures plus tôt il se trouvait encore à Rio de Janeiro, partageant son temps entre une pulpeuse « Carioca[2] » à peine nubile, aussi docile que salope, et des négociations avec des officiels brésiliens.

Un message important et secret lui était parvenu trois jours plus tôt, de la part de Mehdi Chimran. L’opération « Darius » entrait dans sa phase opérationnelle et il devait se rendre d’urgence à Budapest où des instructions complémentaires lui seraient remises. Ishan Kambiz avait eu peu de temps pour organiser un déplacement « protégé ». D’abord Rio-Paris sur Air France, avec un passeport libanais sous un faux nom. A Roissy, un membre de la Savama[3] l’attendait avec deux autres passeports, un turc et un chypriote, et un billet Paris-Vienne sur le prochain vol Air France. Grâce à ses innombrables connexions, Roissy 2 était devenu la plaque tournante du transport aérien, permettant de jongler avec tous les itinéraires imaginables.

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1

National Security Council.

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2

Habitants de Rio.

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3

Police secrète des ayatollahs.