Le hasard avait voulu, que dès septembre 1991, Pavel Sakharov soit affecté à la sous-direction chargée de la protection du nucléaire.
Il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre qu’il était assis sur un tas d’or. Méticuleusement, il avait exploré le sujet jusqu’à ce que le hasard lui fasse retrouver un ancien ami. Grâce à son poste, il savait avec une précision relative où se trouvaient les stocks de plutonium 239 militaire, beaucoup plus faciles d’accès que les armes nucléaires déjà fabriquées.
Le reste était une question d’organisation. Dieu merci, Pavel avait gardé de nombreux amis dans l’ex-second Directorate, qui ne demandaient qu’à l’aider moyennant une poignée de dollars.
En janvier 1992, le MSB était devenu le MBRF — Ministère de la Sécurité de Russie, mais cela n’avait rien changé à ses plans.
Il se moquait éperdument que l’Iran balance des bombes nucléaires sur ses voisins. Secrètement, même, il souhaitait que cela arrive, et voir en représailles les barbus griller comme des poulets. Il haïssait les Iraniens depuis que plusieurs de ses amis du KGB avaient été massacrés par le Hezbollah de Beyrouth.
Pour mettre au point son projet, le général Pavel Sakharov avait longuement étudié le problème. Le jour venu, il ne lui avait pas fallu plus de dix minutes pour faire disparaître, grâce à son ordinateur, les stocks de plutonium 239 qu’il souhaitait commercialiser… Les autorités de la CEI et même les contrôleurs internationaux n’y verraient que du feu. Sur cent tonnes de plutonium, personne ne retrouverait cent kilos volatilisés. Seulement, cet édifice fragile reposait sur la vitesse. Américains et Israéliens faisaient le siège de Boris Eltsine pour qu’il reprenne un contrôle plus strict des unités du KGB qui veillaient sur les matières fissibles.
Des bruits de bottes troublèrent sa réflexion. Zakra pénétra dans le bureau, sa chevelure flamboyante au vent. Elle jeta un coup d’œil amusé au Makarov posé sur les papiers, chien relevé. Pavel Sakharov était un homme prudent. Même au fond de cette usine il se méfiait.
— J’ai la réponse ! annonça-t-elle. Ton ami dit qu’il ne peut pas se déplacer. Il faut aller le voir.
— Quoi !
La Kirghize haussa les épaules.
— C’est ce qu’ils ont dit, moi je ne sais rien de plus.
Il ne l’avait pas mise dans la confidence. Sans insister, elle quitta le sous-sol.
Pavel se remit à tirer sur son cigarillo, perturbé. Depuis le matin, il avait un nouvel échantillon de plutonium 239, amené d’Ukraine par un courrier et qu’il conservait avec lui. Il n’allait quand même pas l’envoyer par la poste au Brésil. Et encore moins le livrer lui-même. A la seconde où qui que ce soit dans la communauté de Russie l’associerait à Ishan Kambiz, les ennuis commenceraient. De gros ennuis.
Il eut soudain un flash. Il venait de trouver la solution. Presque sans risques.
Zakra n’en croyait pas ses yeux. Personne ne lui avait jamais fait de cadeau. Enfin, jamais de vrai cadeau, sans contrepartie.
— C’est pour moi ? demanda-t-elle.
— Oui.
Spontanément, elle se jeta dans les bras de Pavel Sakharov, après avoir passé autour de son cou le collier de perles d’or qu’il venait de sortir de son écrin.
Elle se regarda devant la glace. Le collier descendait jusqu’à la naissance de ses seins splendides.
Pavel l’observait, un peu moins glacial que d’habitude.
— Tu vas me rendre un service, dit-il.
— Tout ce que tu veux.
— Tu vas aller voir un de mes amis. A Rio. Au Brésil.
— Rio ?
Elle avait vu des cartes postales du Brésil, mais jamais de sa vie n’aurait songé à y aller. Cela paraissait trop beau. Pavel Sakharov continua.
— Tu vas lui remettre une lettre de ma part. Zakra le fixa, médusée.
— Une lettre ! Mais tu ne peux pas l’envoyer par la poste ?
— Non, c’est une lettre très importante, très urgente et très secrète.
Cela paraissait fou à la jeune Kirghize de parcourir la moitié du monde pour remettre une simple lettre, mais si ça pouvait lui faire plaisir.
— Tu vas donner ton passeport à Grosny pour qu’il s’occupe du visa. Cela va coûter un peu d’argent, expliqua Pavel.
— C’est la même arme que celle qui a tué un des Tchétchènes ! annonça Alan Spencer. Le laboratoire de l’ORFK[15] est formel.
Le chef de station de la CIA en faisait des bonds de joie. Enfin, après des jours d’angoisse, on repartait. Malko doucha un peu son enthousiasme, en remarquant :
— Je n’ai pas vraiment vu ces deux Iraniens, je pourrais à la rigueur en reconnaître un. Et à moins de questionner directement Zakra, je ne vois pas comment les identifier. Sauf s’ils me tirent dessus à nouveau. Ce qui est peu probable.
— Il va falloir mettre une surveillance en place autour de Zakra et de ses amis. Je vais demander à la police hongroise, sans leur révéler ce que nous savons.
— C’est risqué, remarqua Malko, il y a maintenant une bonne chance que la filière du plutonium se réactive, mais nous ne savons pas comment. Je vais plutôt tenter de tirer les vers du nez de Zakra. Elle a vraiment très envie de se marier…
Zakra contemplait avec un ravissement enfantin ses billets d’avion, sa liasse de dollars et son passeport avec un visa brésilien qui prenait tout une page. Pavel Sakharov, assis en face d’elle, plongea ses yeux bleu pâle dans les siens.
— Si on te demande quelque chose à l’entrée du Brésil, recommanda-t-il, tu viens passer le Carnaval chez des amis.
— Et ensuite ?
Il lui montra l’enveloppe de ses billets d’avion où était noté un numéro de téléphone.
— Quand tu es à ton hôtel, au Caesar Park, tu appelles ce numéro. Tu dis que tu viens de Budapest. On te donnera des instructions. C’est compris ?
— Oui.
— Encore une chose, ajouta-t-il. Tu as vu ce qui est arrivé à Karim ? Si tu parles à qui que ce soit de ce voyage, il t’arrivera la même chose.
La jeune Kirghize, en dépit de son endurcissement, sentit passer une coulée glaciale le long de son dos. Elle revit le poignard qui avait découpé son ancien amant. L’homme qui se tenait en face d’elle était froid comme un iceberg, inexpressif. Ses yeux la fixaient comme deux objectifs de caméra et elle se dit qu’il l’égorgerait sans ciller, même après lui avoir fait l’amour.
— Je ne dirai rien à personne, promit-elle. Elle quitta la pièce, sachant déjà qu’elle allait être obligée de mentir. Il fallait trouver une explication pour son fiancé. Sinon, il risquait de ne pas attendre son retour. Et cela, elle ne le voulait à aucun prix. Même si elle devait risquer sa vie.
Chapitre VII
— Il y a du nouveau. Venez vite.
La voix du chef de station de la CIA à Budapest tremblait d’excitation. Malko était retourné planquer rue Révész, sans rien voir de suspect autour de l’usine désaffectée. Tibor Zaïa était injoignable, toujours sur répondeur.
Cinq minutes plus tard, il parvenait à trouver une place au pied de l’obélisque célébrant l’héroïsme de l’Armée rouge, place Szabadsag. Alan Spencer l’accueillit avec un large sourire.
— Votre fiancée. Miss Zakra Grosnev, part pour Rio de Janeiro, annonça l’Américain.
— Comment le savez-vous ?
— Vérification de routine. J’ai demandé au BRFK de me communiquer toutes les demandes de sortie du territoire hongrois présentées par des étrangers. Zakra Grosnev est résidente hongroise, avec un passeport soviétique. Elle a déposé une demande de visa de sortie et de rentrée sur le territoire, avec comme destination le Brésil. J’ai vérifié auprès du consulat brésilien.