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— My God !

Chris regardait ses mains, comme si les stigmates du Christ allaient y apparaître. Milton Brabeck ricana.

— Quand je vais dire à Langley que tu as voulu te faire un mec…

Chris l’aurait tué. Heureusement que les pulpeux androgynes avaient disparu. Les trois hommes traversèrent l’avenue Vieira Souto pour gagner la plage grouillante de monde. Ce ne fut pas difficile de repérer la chevelure fauve de Zakra. La jeune femme s’était installée près du bord dans une chaise longue, cernée par tous les célibataires du coin qui se rapprochaient d’elle en rampant sur le sable comme des limaces.

Malko et les deux gorilles prirent une position stratégique un peu plus loin. Chris et Milton frileusement sous un parasol, tellement couverts de crème solaire qu’on aurait dit des Indiens sur le sentier de la guerre.

Chris fixait désormais d’un œil suspicieux toutes les filles qui se promenaient avec leurs maillots brésiliens, se composant d’un minuscule triangle devant et d’une ficelle dans les fesses. Provocantes comme des diablesses avec leurs croupes bien cambrées. On finissait par ne voir que cela. Personne ne se baignait, tant la mer était sale et dangereuse. Les égouts se déversaient juste en face de la plage la plus chic de Rio… Malko, avant de s’installer, avait chargé Prudente Freitas de leur procurer des places pour le bal des travestis.

Il touchait au but. Si le correspondant de Zakra était Ishan Kambiz, c’était gagné…

— Elle bouge ! annonça Milton Brabeck.

Zakra, lasse de cuire, partait se tremper les pieds dans les vagues.

Quelques minutes plus tard, ils furent rejoints par le policier brésilien, en maillot, un pistolet discrètement dissimulé dans sa serviette roulée. Comme beaucoup de simples touristes d’ailleurs.

Rio était devenue une ville dangereuse, où on pouvait vous tuer pour un dollar ou une montre Swatch.

* * *

Bernardo Malcher n’était pas né sous une bonne étoile. Alors qu’il n’avait encore que quatre ans, son père, cambrioleur notoire, avait été abattu par un « Escadron de la Mort ». On avait retrouvé son corps criblé de balles sur une décharge publique du morro Babylonia, déjà bien entamé par les vautours. A la suite de cet incident regrettable, la mère de Bernardo avait sauté sur une occasion rare en ces temps de chômage. Une place de pute à plein temps dans le district de Minas Gérais, en pleine expansion.

Probablement pour ne pas peiner ses quatre enfants, elle avait quitté le morro Babylonia sans crier gare, après avoir vendu tout ce qui valait quelques cruzeiros dans leur cabane en bois.

Le sort avait continué à s’acharner sur la famille Malcher. L’aîné de Bernardo, Gustave, avait eu la tête écrasée à coups de pierre par un des narcos régnant sur le morro, pour avoir voulu lui voler 5 000 cruzeiros[21]. Il fallait décourager la malhonnêteté… Son second frère, Leonel, spécialisé dans le pillage des boutiques de Leblon, avait pris une décharge de riot-gun qui ne lui avait laissé que la moitié de la tête, à la suite d’une expédition punitive de commerçants excédés.

Bernardo, alors âgé de douze ans, s’était hâté de vendre sa sœur, qui n’en avait que dix, à un pourvoyeur des chantiers de la Transamazonienne qui lui en avait donné 100 000 cruzeiros[22].

Grâce à cette rentrée inespérée, il avait loué une cabane et monté un gang d’enfants. Ils mendiaient dans les restaurants de Copacabana et, le reste du temps, détroussaient les touristes. Activité lucrative et peu dangereuse qui permettait, de plus, de vivre au grand air, l’essentiel de l’activité se déroulant sur les différentes plages de Rio.

Depuis un moment, Bernardo, allongé sur le sable, guignait sa proie. Un superbe collier d’or au cou d’une belle fille à la peau blanche, certainement arrivée depuis peu, vu son imprudence. Les habitués portaient tout juste des sandales… Autour de lui, ses « hommes » attendaient ses instructions. La fille se leva, partant vers les vagues, s’éloignant un peu de la foule. Bernardo en fit autant, rameutant son gang d’un signe discret.

Malko ne quittait pas des yeux Zakra, facile à repérer entre sa chevelure de feu et son deux-pièces vert phosphorescent.

Une bande de gamins venait de surgir, tournant autour d’elle, lui offrant des colifichets, des journaux, mendiant gentiment. L’un d’eux lui prit la main, faisant mine de l’entraîner dans l’eau. Malko observait ce manège charmant lorsqu’un gamin d’une douzaine d’années bondit soudain comme un singe et arracha le collier du cou de sa propriétaire.

Celui qui l’entraînait vers l’eau lui tira violemment le bras, la faisant tomber à terre, tandis qu’un troisième lui décochait un coup de pied dans la tempe destiné à l’assommer.

Une seconde plus tard, les gosses détalaient comme de petits vautours. Malko avait déjà sauté sur ses pieds, alertant Chris et Milton.

— Le collier ! hurla-t-il pour dominer le grondement des vagues.

Chapitre IX

Chris et Milton avaient assisté à l’attaque, eux aussi. Ils se ruèrent en avant pour couper la retraite des petits voyous… Zakra s’était relevée et, de ses longues jambes, galopait derrière le groupe. Se voyant près d’être rattrapé, un des gosses se retourna, un couteau à la main. Il attaqua aussitôt, tentant d’éventrer la jeune femme.

Les baigneurs contemplaient cette scène quotidienne de la vie brésilienne, impavides. Pourquoi risquer un coup de couteau pour quelque chose qui ne vous appartient pas ? En plus, ces charmants bambins avaient parfois des armes à feu. Un mois plus tôt, à Copacabana, ils avaient exterminé sur place une famille qui refusait de se laisser dépouiller.

Un coup de feu claqua soudain. Prudente Freitas se manifestait à son tour, coupant la route aux fuyards. Ceux-ci refluèrent à travers la foule des parasols, faisant des moulinets avec leurs couteaux. Venant se jeter droit dans les bras de Chris et de Milton.

Le chef, celui qui avait volé le collier, fonça sur Milton, poignard à l’horizontale. Le gorille l’attendit de pied ferme. C’était la première fois de sa longue carrière qu’un enfant l’attaquait… Lorsque le bambin voulut l’ouvrir comme une boîte de conserve, il plongea en avant, les poignets croisés, stoppant le poignard, et lui tordit le bras. Emporté par son élan, le gosse vola par-dessus l’épaule de Milton et retomba quelques mètres plus loin, au milieu d’une famille brésilienne en train de pique-niquer.

Bernardo Malcher n’eut pas le temps de se relever. Enveloppé, mais encore costaud, le chef de famille arracha du sable le parasol qui abritait leurs agapes et en planta la tige de toutes ses forces dans le ventre du garçonnet. Aussitôt, les autres se ruèrent à la curée à coups de pied, de poing, de tout ce qui leur tombait sous la main. Une femme se mit à lui lacérer le visage avec une fourchette, lui crevant un œil au passage. En quelques minutes, Bernardo Malcher fut déchiqueté vivant. Un marchand de brochettes accouru à la rescousse donna le coup de grâce en enfonçant une broche d’acier dans la poitrine du gosse. Tous se vengeaient de la peur permanente que faisaient régner ces bandes de voyous.

Chris Jones fît fuir le gamin en train d’essayer d’étriper Zakra. Voyant le sort réservé à son chef, il n’insista pas et fila comme un trait vers l’avenue Vieira Souto.

Prudente Freitas essayait de calmer les énergumènes lyncheurs. Rejoint par Malko, il remarqua tristement :

— L’année dernière, on a tué plus de sept cents gosses à Rio : des « Escadrons de la Mort » ou des commerçants qui en avaient assez d’être rançonnés.

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21

3 dollars.

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22

60 dollars.