L’Iranien demeura coi. Son cerveau travaillait à la vitesse de la lumière, essayant de déterminer ce que son adversaire connaissait. Le collier, c’était un très mauvais point. Mais après tout, c’était seulement du business. Il n’avait tué personne, sauf à Budapest. Et la CIA n’allait pas faire un plat de trois voyous russes. Il y avait un élément à sauvegarder envers et contre tout. Le nom de son vendeur. Seulement, la Kirghize le connaissait…
— Je ne sais pas de quoi vous parlez, prétendit-il.
— Je vais étudier d’abord vos documents et ensuite nous bavarderons, répliqua Malko.
Il prit le contenu de l’attaché-case et l’emmena dans un bureau voisin. Là-dedans, se trouvaient les secrets du trafic de plutonium 239.
Chapitre XII
Le jour se levait très faiblement derrière la pointe de Copacabana, éclairant les buildings bordant l’Atlantique d’une lueur rosâtre. Malko avait du mal à garder les yeux ouverts. Bien que Milton Brabeck lui ait apporté à trois reprises un café à réveiller un mort. Un calme presque oppressant régnait dans l’appartement dévasté d’Ishan Kambiz. Grâce à l’ascenseur à code, ils ne risquaient pas d’être dérangés, en dépit de la porte béante. A tout hasard, Chris et Milton se relayaient dans l’entrée, afin de parer à toute mauvaise surprise, se partageant équitablement le contenu d’une bouteille de Gaston de Lagrange XO empruntée au bar de l’Iranien. Peu à peu les deux gorilles se laissaient gagner par la civilisation. Zakra avait consenti à se reposer, étendue sur le lit de l’Iranien, tandis que ce dernier, immobilisé grâce à de larges bandes de tissu adhésif, somnolait dans un coin de la chambre.
Milton Brabeck avait augmenté la clim pour que l’odeur des trois cadavres, pourtant enveloppés dans des couvertures, ne soit pas trop incommodante. C’était le château de la Belle au Bois dormant. Malko regarda une dernière fois ses notes et les papiers étalés devant lui. Il comprenait maintenant pourquoi l’Iranien avait tout fait pour qu’il ne s’en empare pas. Certes, à part le collier de perles d’or, il n’y avait rien concernant le trafic de plutonium proprement dit. Par contre, l’attaché-case renfermait tous les détails de son organisation financière y compris les codes secrets permettant de virer n’importe quelle somme de compte à compte.
Il y avait dans l’attaché-case les coordonnées de cinq comptes bancaires « off-shore » qui servaient aux opérations clandestines d’Ishan Kambiz. L’un, surtout, intéressait Malko. Le mois précédent, il avait fait l’objet d’un virement en faveur de l’Iranien d’un montant de cent millions de dollars[26] ! Une somme colossale dont la provenance — une banque d’Abu Dhabi — était indiquée.
Les autres relevés dont un de la BCCI indiquaient des mouvements très importants. Aucun de ces comptes, bien évidemment, n’était au nom de l’Iranien. Le plus important — celui des cent millions de dollars — portait la dénomination Global Ressources. C’était une société « off-shore » de l’île de Man, où n’apparaissaient que des hommes de paille ; cependant, la seule personne autorisée à signer des ordres de virement était Ishan Kambiz dont la signature devait être accompagnée d’un code. Ce dernier se trouvait dans un carnet trouvé dans l’attaché-case avec un numéro correspondant à chaque entité bancaire. A la Banco de Brazil, Ishan Kambiz disposait d’un solde créditeur de 538 623 dollars.
Avant d’aller plus loin, Malko devait évidemment communiquer toutes ces informations à la CIA… Il composa le numéro protégé de Langley le mettant en contact avec la Direction des Opérations et, dès qu’il eut le standard, annonça le code du mois. Trois minutes plus tard, il avait en ligne Stanley Fawcett, directeur adjoint de la CIA. L’homme qui avait lancé toute l’opération contre Ishan Kambiz, quelques semaines plus tôt.
— J’ai des documents à vous transmettre, annonça Malko, et un compte rendu important. Il y a des décisions à prendre. Comment faisons-nous ?
— Allez à notre consulat, demanda Stanley Fawcett, nous avons deux personnes là-bas et du matériel de transmission protégé.
Prudente Freitas connaissait l’adresse du consulat américain. Avenida Présidente Wilson, dans le centre de Rio. Malko enfourna dans un porte-documents tout son butin, y compris le collier, et descendit, laissant l’appartement à la garde des deux gorilles et du policier fédéral. Une demi-heure plus tard, Malko fut reçu par un jeune employé de la CIA dont les bureaux occupaient le tiers du consulat. Dûment prévenu par Langley, il installa Malko dans une pièce insonorisée, mettant à sa disposition un chiffreur.
Désormais, Malko pouvait s’exprimer librement. Stanley Fawcett devait attendre près du téléphone car il décrocha à la première sonnerie. Son compte rendu prit près d’une demi-heure. Lorsqu’il fut terminé, le directeur adjoint de la CIA conclut :
— Je vais alerter la Maison Blanche et le State Department. De façon à ce que notre ambassadeur prenne contact rapidement avec le chef de la Policia Fédérale à Brasilia. Les ordres seront transmis au policier brésilien qui se trouve avec vous.
« Afin de préserver un secret absolu sur cette affaire, vous communiquerez par l’intermédiaire de ce bureau. Le garçon qui vous a reçu, Ted, fera la navette entre le Consulat et l’appartement d’Ishan Kambiz.
— Qu’allons-nous faire de ce dernier ?
— Sur ce point, je dois voir avec la Maison Blanche et avec l’attorney général, annonça Stanley Fawcett. Nous pouvons lancer un mandat d’arrêt international contre lui. Il a financé de nombreuses opérations terroristes. Ce type est incroyablement dangereux.
— Vous croyez que les Brésiliens l’extraderont ? Il y eut un soupir résigné à l’autre bout du fil.
— Officiellement, sûrement pas. Mais il y a des arrangements. Il peut être discrètement exfiltré et on l’arrêtera dans les règles à Miami. Les Brésiliens ont vraiment besoin d’argent en ce moment.
« Reposez-vous quelques heures le temps que je fasse analyser ces documents. Dites à Ted de m’expédier le collier pour analyser le plutonium, afin de vérifier qu’il s’agit bien de la même provenance que le premier échantillon.
Dès que Malko quitta le consulat, la chaleur lui tomba sur les épaules comme un bloc de fonte. Il faisait déjà 38° d’après les tableaux qui parsemaient Ipanema lorsque Malko regagna l’appartement d’Ishan Kambiz. Gâteux de fatigue. Dieu merci une fraîcheur délicieuse régnait dans le duplex, grâce à la clim. Zakra et Ishan Kambiz dormaient toujours, ainsi que Milton et Prudente Freitas. La paupière lourde, Chris se fit relayer par Milton avant d’aller s’effondrer à son tour. La bouteille de Gaston de Lagrange XO était vide, et Chris et Milton, définitivement conquis.
Il n’y avait plus qu’à attendre les instructions de Langley.
— On fait un break, annonça Malko.
— Et l’affreux ? demanda goulûment Milton Brabeck.
— On attend des ordres de Langley.
Chapitré, le portier du hall devait annoncer aux visiteurs éventuels que l’Iranien était absent. Quant au téléphone, on ne répondait pas. C’était trop risqué.
Malko trouva un lit et s’étendit dessus tout habillé. Il s’endormit immédiatement.
— Vous avez touché le bingo !
La voix de Stanley Fawcett frémissait d’excitation. Malko venait de regagner le consulat. Le soleil brûlant mondait Rio, la plage d’Ipanema grouillait de monde, et, dans le centre, la chaleur était encore plus accablante. Pourtant, il était déjà presque six heures du soir.
— C’est-à-dire ? demanda ce dernier encore mal réveillé.