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Elle trempa ses lèvres dans son Cointreau et se mit à sucer un glaçon. Pourvu que cette histoire se termine vite.

Pavel Sakharov tirait sur son cigarillo, à peu près apaisé. Son bureau était une bulle de calme au milieu de l’Eden. Heureusement, car il avait toujours eu horreur des cabarets, de la musique moderne et des prostituées. Il lui avait fallu faire un effort considérable sur lui-même pour se glisser dans la peau d’un mafioso.

Mais ce n’était que provisoire. En quelques semaines, il avait pris la place de Karim Nazarbaiev et c’était parfait ainsi. Qui aurait soupçonné un minable mafioso ukrainien d’un trafic de l’importance du plutonium 239 ? Il était tous les soirs à l’Eden et continuait la politique de son prédécesseur, s’emparant peu à peu de toutes les boîtes de Budapest.

Seuls, trois de ses hommes savaient qui il était vraiment. Pour les autres, il venait de Moscou, après un accord avec la mafia de Kiev. Clandestin total, les Hongrois n’avaient pu le repérer. Chaque fois qu’il lui fallait téléphoner en Russie, il se rendait à la poste. Le message transmis par Zakra l’avait laissé perplexe et vaguement inquiet.

Apparemment et comme cela avait été prévu, Zakra avait servi de commissionnaire sans comprendre de quoi il s’agissait. A plusieurs reprises, elle lui avait réclamé le collier remis d’après elle à l’Iranien, lors du bal des Travestis et c’était bon signe. D’après elle, Kambiz le lui avait enlevé pour qu’elle ne le perde pas et avait oublié de le lui rendre. Pavel avait prévu de lui en offrir un autre.

L’attitude de Zakra, ce soir, lui avait ôté les derniers doutes sur une possible trahison. Il ouvrit une poche intérieure de sa veste fermée par un zip et y prit un carnet marron. Après l’avoir ouvert à la bonne page, il griffonna quelque chose sur une feuille de papier, la plia et la mit dans une enveloppe. Ensuite, il ferma le bureau et regagna la salle de l’Eden.

Zakra était dans un coin, seule devant son Cointreau.

— Porte ça au Hilton, demanda-t-il.

Chapitre XIV

— Est-ce que cela va aller ?

Le petit homme fluet aux yeux très bleus qui semblaient perpétuellement noyés de larmes arborait une expression si anxieuse qu’elle en était comique. Malko compara un des documents qu’il tenait, trouvé dans l’attaché-case d’Ishan Kambiz, et celui que lui tendait Mark Tyselman, spécialiste en faux de la Technical Division de Langley. C’était un ordre de virement d’un million de dollars au profit du compte indiqué par Pavel Sakharov, avec une signature parfaitement imitée d’Isham Kambiz, suivie du code secret trouvé par Malko dans ses papiers.

— C’est parfait, dit Malko. Qu’en pensez-vous, Alan ?

— Tout à fait étonnant, reconnut le chef de station de Budapest.

Mark Tyselman était arrivé de Londres trois heures plus tôt et s’était mis au travail immédiatement, dans un bureau voisin de celui d’Alan Spencer.

— Avez-vous découvert quelque chose sur ce compte ? interrogea Malko.

— Non, avoua l’Américain. Il est à Zurich, au nom d’une antstalt lichtenstanoise dont il est impossible de percer à jour le véritable propriétaire. Nous l’avons criblé à l’ordinateur, mais c’est la première fois qu’il apparaît.

— Est-ce que cela peut venir de Russie ? Interrogea Malko.

— Bien sûr, confirma Alan Spencer. N’importe qui peut ouvrir ce genre de compte qui est totalement protégé. Il faudrait une longue enquête pour trouver le vrai bénéficiaire. Nous savons que beaucoup d’apparatchiks soviétiques et de membres du KGB ont ouvert des comptes étrangers numérotés ou secrets.

La veille au soir, Malko avait trouvé une enveloppe dans sa case au Hilton avec simplement ce numéro de compte et un intitulé. Il était maintenant prêt à procéder au virement par le débit du compte « iranien » d’Ishan.

— Quand espérez-vous une réaction ? demanda le chef de station.

— A mon avis, très vite, fit Malko. Un virement ne prenait que quelques heures. Si Pavel recevait son million de dollars, il y avait de fortes chances qu’il accélère les négociations.

— Pourvu que ça marche ! soupira l’Américain. L’idée d’utiliser de l’argent iranien pour retourner la situation le remplissait d’une joie saine. Teintée quand même d’une vague inquiétude.

— Et les Iraniens ? demanda-t-il.

— J’y pense, dit Malko. Nous n’avons aucun moyen direct de savoir où ils en sont. Mais j’ai une piste à explorer ici, à Budapest.

En attendant la réaction de Sakharov, il avait de quoi s’occuper. Pour l’instant, il valait mieux rester à l’écart de la pulpeuse Kirghize… Ils avaient décidé également de n’exercer aucune surveillance autour de l’Eden ou de l’usine désaffectée de Révész utça. Pour ne pas risquer d’alerter Pavel Sakharov.

* * *

Stationné sur un arrêt d’autobus, juste en haut de la rue Aikotmàny, Malko surveillait l’entrée du restaurant Semiramis. Il avait d’abord été y faire un tour. En bas, un petit bar où une serveuse mafflue servait des chawer-mas comme à Beyrouth, avec des jus de fruit. La salle du haut était minuscule avec un plafond si bas qu’on pouvait tout juste se tenir debout. Une famille était en train d’y déjeuner au fond et les deux autres tables étaient libres.

Malko commençait à mourir de faim quand une voiture, une vieille Mercedes 240 verte, s’arrêta devant le restaurant. Il en sortit trois hommes, visiblement moyen-orientaux, qui pénétrèrent dans le restaurant. Malko eut un petit choc au cœur. L’un d’eux était celui qu’il avait brièvement aperçu dans l’usine désaffectée. Celui qui avait tiré sur lui sans le voir.

Il traversa la rue, releva le numéro de leur voiture et fila de nouveau à l’ambassade. Grâce à Ferencz Korvin, l’ancien flic du MVA reconverti dans le taxi, qui lui avait fourni le nom du Semiramis, il avait peut-être enfin une piste qui lui éviterait de gros problèmes. Si les Iraniens se doutaient de la manip, ils allaient tout faire pour prévenir leur vendeur de plutonium 239. Probablement par leur réseau en place à Budapest.

Quelque part à Damas, Mehdi Chimran décrocha un téléphone et demanda à la poste de lui donner un numéro à Rio. Comme il appelait d’un appartement appartenant au Moukhabarat[27], il obtint sa communication en quelques minutes.

Une voix portugaise lui annonça que le senhor Kambiz était en voyage, style femme de ménage et il n’insista pas.

Mehdi Chimran était le bras droit de l’ayatollah Said Mohajerani, le vice-président du gouvernement iranien en charge du projet « Darius ». Deux milliards de dollars étaient consacrés à ce projet. L’acquisition de l’arme nucléaire était l’obsession numéro un des ayatollahs. Sur son lit de mort, Khomeini avait exhorté ses amis à y parvenir, afin de faire de l’Iran la puissance principale de la région. Sans parler des innombrables utilisations qu’on pouvait faire des projectiles nucléaires grâce aux groupes Hezbollah qu’ils contrôlaient à travers le monde. Des possibilités de chantage encore jamais égalées.

Trois jours plus tôt, Mehdi Chimran avait en vain attendu Ishan Kambiz à l’arrivée du vol Zurich-Téhéran. Certes, aucun passager ne portait l’un des noms d’emprunt de l’Iranien mais Kambiz était méfiant et pouvait avoir utilisé un autre patronyme.

Mehdi Chimran avait encore attendu le jour suivant. Ensuite, il avait pris l’avion pour Damas où il s’était remis à la recherche d’Ishan Kambiz, à partir d’une base Hezbollah protégée par les services syriens… Il était intrigué, mais pas encore inquiet.

Certes, des sommes colossales avaient été mises à sa disposition et l’Iran fermait les yeux sur des petits détails comme les intérêts, mais Kambiz était un homme sûr… A Beyrouth, ses domestiques ne savaient rien. Visiblement, son appartement de Rio était vide. Ses bureaux en Allemagne étaient sur répondeur. Il ne restait donc qu’une hypothèse. Pour une raison inconnue, Ishan Kambiz avait été obligé de partir pour Budapest ou Moscou, et cela, c’était plutôt bon signe… Cependant, pour être tranquille, l’Iranien préférait le vérifier.

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Services spéciaux syriens.