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— Hussain, va voir.

Le garde démaillota la Kalach et se fondit dans l’obscurité, l’arme à bout de bras. Karim Nazarbaiev attendit, la gorge nouée… Hussain réapparut très vite. Dans la main gauche, il portait une valise métallique que le mafioso kirghize reconnut immédiatement : celle qu’il avait confiée à Stephan quelques heures plus tôt !

Hussain ouvrit la portière à la volée et se laissa tomber à côté de lui.

— Ils sont tous morts, annonça-t-il d’une voix altérée. Stephan et les deux autres.

— Morts !

Karim Nazarbaiev n’en croyait pas ses oreilles.

— Mais qu’est-ce qui est arrivé ? Hussain frotta nerveusement ses grosses mains l’une contre l’autre.

— Salim et Najib ont été flingués. Dans la tête. Stephan, on lui a fait avaler la poudre rouge. Enfin, assez pour qu’il étouffe.

Le chauffeur poussa une exclamation.

— Regardez ce qui arrive derrière !

Karim Nazarbaiev se retourna et aperçut une voiture qui remontait lentement la rue Lendvay. Lorsqu’elle passa sous un réverbère, il distingua sur le toit les deux gros gyrophares d’un véhicule de police. A cause de la présence de nombreuses ambassades dans le quartier, il y avait souvent des rondes.

— Démarre !

Le chauffeur ne se le fit pas dire deux fois. Karim Nazarbaiev ouvrit la valise métallique posée sur ses genoux et aperçut les sachets intacts. Il n’en manquait que trois. La gorge nouée, Karim vit que la voiture de police venait de s’arrêter, juste en face du numéro 20 ! Pas question d’y retourner. Le chauffeur vira brutalement dans Dosza Gyorgy, longeant le parc de Varosli-get, et se retourna.

— Où va-t-on ?

— Prends Andrâssy, on rentre, jeta le mafioso. Il se rencogna sur la banquette, cherchant à se vider le cerveau, mais une petite voix au fond de lui murmurait qu’il avait pris un risque de trop.

Chapitre II

Alan Spencer, chef de station de la CIA à Budapest, prit sur son bureau une boîte ronde où reposait sur un lit de coton une boule enveloppée de papier d’aluminium de la taille d’une toute petite bille. Il défit le papier, révélant une sphère de métal gris, couleur de plomb, qu’il tendit à Malko.

— Ceci est du plutonium, annonça-t-il gravement. Pour être précis, du plutonium 239 à usage militaire. Il y en a 0,14 once environ, soit 4 grammes. Vous pouvez le toucher, cela ne présente aucun risque.

Malko recueillit la boule de plutonium 239 au creux de sa main et s’approcha de la fenêtre donnant sur la place Szabadsag pour mieux l’examiner. C’était fascinant de penser que ces quelques grammes de métal inerte pouvaient déchaîner l’enfer. Il réalisa soudain qu’une douce chaleur se dégageait de la boule de plutonium 239, et leva les yeux sur Alan Spencer.

— C’est chaud. C’est normal ?

— Tout à fait, affirma le chef de station de la CIA. Avec ses grosses lunettes d’écaille, ses cheveux rejetés en arrière et son visage sans traits marquants, plutôt avenant, il ressemblait à un professeur. Malko essaya de rayer le plutonium avec son ongle, sans y parvenir. C’était beaucoup plus dur que le plomb, et peut-être un peu plus dense.

— Thermonucléaire, corrigea doctement l’Américain. Pour le modèle « Hiroshima », l’uranium 238 enrichi suffit. Mais attention ! Il y a trois variétés distinctes de plutonium. Le plutonium 238 à usage civil, le 239 qui sert à la fabrication des armes nucléaires et le plutonium 240 qui ne sert à rien, parce que trop instable.

— C’est-à-dire ?

— Dans le plutonium 240, il y a des neutrons en liberté qui peuvent provoquer une fission spontanée…

Un ange passa et s’enfuit, poursuivi par un champignon atomique. Autrement dit, le plutonium 240 pouvait exploser n’importe quand…

— Pour obtenir le plutonium militaire, on le comprime et on le chauffe, continua l’Américain. Afin d’éliminer presque totalement le plutonium 240. Par séparation isotopique ou par centrifugation.

Malko remmaillota la bille de plutonium et la tendit à Alan Spencer.

— Pourquoi ce papier d’aluminium ?

— Pour arrêter les rayons alpha. Il émet aussi un rayonnement gamma, mais sans danger. Bref, c’était le métal idéal.

— Si vous m’offriez un café avant d’aller plus loin ? demanda Malko.

Il venait tout juste d’arriver de Vienne par la route, au volant d’une voiture de location, bravant une tardive tempête de neige et les innombrables camions qui encombraient les trois cent cinquante kilomètres de route à deux voies.

Cela lui avait fait une drôle d’impression, au poste frontière de Hegyeshalom, d’entrer aussi facilement dans un pays jadis hermétique pour lui. Dès son arrivée en ville, il avait mesuré le changement. Les poussives Trabant avaient presque disparu, remplacées par des Opel, des BMW, des Volkswagen. Les dernières Trabant se vendaient à prix d’or, comme souvenir…

Des embouteillages effroyables engluaient les cinq ponts principaux sur le Danube, séparant Buda, à l’ouest, avec ses collines, de la plate Pest, à l’est. Mais pas le moindre coup de klaxon, vestige de la discipline communiste. Seuls, les longs trams jaunes bondés glissaient harmonieusement au milieu de la circulation chaotique. Le « socialisme goulash » s’effaçait peu à peu, ne laissant derrière lui qu’immeubles noirâtres sans entretien depuis un demi-siècle, HLM lépreuses et boutiques vides. Les Hongrois, pourtant malins comme des singes, avaient du mal à se remettre au travail après cette longue parenthèse.

Malko avait retrouvé avec plaisir le Hilton juché sur un ancien cloître. Seule différence : on recevait CNN et tous les journaux du monde étaient en vente à la réception.

Les États-Unis n’avaient pas eu le temps de rouvrir une ambassade plus conforme à leur statut de superpuissance. Le drapeau américain flottait toujours au premier étage du majestueux immeuble 1900 en pierre blanche qui abritait les bureaux de la modeste chancellerie, place Szabadsag, à deux pas du Parlement, face à l’obélisque de l’Armée rouge.

Malko avait eu toutes les peines du monde à se garer sur la place envahie par le stationnement sauvage.

Il termina son café et adressa un sourire encourageant à son interlocuteur.

— Je suppose que vous n’avez pas trouvé le plutonium 239 dans votre courrier. Quel est le problème qui vous a fait m’arracher à Liezen ?

— Je vais vous expliquer, annonça Alan Spencer. L’Américain reversa généreusement du café infect avant d’allumer une Marlboro. C’était son premier poste à l’étranger et il était encore tout excité à l’idée de rencontrer un chef de mission chevronné de la division « Opérations ». Il avait plutôt l’habitude des ordinateurs.

— Encore un mot sur le plutonium, commença-t-il.

Pour une bombe nucléaire, vous pouvez utiliser soit de l’uranium enrichi, soit du plutonium. La différence c’est qu’avec le plutonium 239, il suffit de huit kilos pour atteindre la masse critique sans laquelle il ne peut y avoir de fission. La production de plutonium est restreinte à cinq pays producteurs d’armes nucléaires : les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Chine, et bien entendu, l’Union soviétique.

— Et Israël ? demanda Malko.

L’Américain se racla la gorge. On touchait à un sujet hypersensible. Les milieux du renseignement étaient persuadés que le plutonium 239 utilisé par Israël pour ses projectiles nucléaires avait été détourné clandestinement des stocks américains… Ce que les Israéliens niaient farouchement.