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— Israël n’a pas de plutonium, trancha Alan Spencer. Et l’Irak a réussi à en fabriquer seulement quelques grammes, en se donnant un mal fou.

« Pour en revenir à notre problème, il y a quelques semaines, la Company a reçu des informations de sources multiples selon laquelle une filière clandestine était en train de se mettre en place, à partir des centres de production de plutonium militaire en Union soviétique, à destination de l’Iran. L’homme chargé de l’opération — nom de code Darius — serait un certain Ishan Kambiz, un Iranien déjà impliqué dans de nombreuses affaires de terrorisme et dans des transferts de technologie nucléaire au profit de l’Iran.

— Les Russes sont assez fous pour se prêter à ce jeu ? s’étonna Malko.

L’Américain eut un geste résigné.

— Les officiels de la CEI jurent la main sur le cœur que ce sont des mensonges, qu’ils contrôlent les stocks et la production de plutonium 239 au milligramme et que personne ne serait assez irresponsable pour se lancer dans un trafic pareil. Seulement…

Il laissa sa phrase en suspens.

— Seulement quoi ? insista Malko.

— La fabrication de plutonium 239 est répartie entre une douzaine d’unités implantées dans différents secteurs, de la Lituanie à la Sibérie, en passant par l’Ukraine. Les scientifiques chargés de la production sont livrés à eux-mêmes depuis l’éclatement de l’Union soviétique, avec des salaires ne dépassant pas vingt dollars par mois. Or, sur le marché officiel, un kilo de plutonium civil 238 vaut déjà 545 000 dollars… Vous imaginez ce que peut valoir un kilo de plutonium militaire pour un pays comme l’Iran qui dispose d’un budget annuel de deux milliards de dollars pour ses armements…

— Quels sont les moyens de contrôle de la CEI ?

— Avant, c’était la peur. Le type qui se serait amusé à cela aurait été fusillé dans les cinq minutes. Maintenant, qui nous dit que des scientifiques ne se sont pas laissés tenter…

— C’est hautement vraisemblable, admit Malko.

— Que le diable ne vous entende pas ! soupira le chef de station. Je vais vous donner deux chiffres qui m’empêchent de dormir : la Company estime à cent tonnes la quantité de plutonium militaire 239 stocké actuellement sur le territoire de l’ex-Union soviétique. Or, comme je vous le disais, à partir de huit kilos, vous pouvez confectionner un engin qui dévastera tout sur un rayon de trois kilomètres.

Deux fois Hiroshima.

— D’après les experts, l’Iran possède déjà la technologie lui permettant de construire des bombes nucléaires. Avec une bonne quantité de « combustible » ils pourraient avoir en moins d’un an une capacité nucléaire militaire.

Finalement, la guerre froide avait du bon. Les Fous de Dieu étaient infiniment plus dangereux que les raides apparatchiks de feu l’Union soviétique. Avec leur haine de l’Occident et d’Israël, on pouvait s’attendre à n’importe quoi.

— Revenons à votre plutonium, dit Malko. Où l’avez-vous trouvé ?

— Comme toutes les stations de la Company, j’ai reçu la mise en garde concernant cet Ishan Kambiz. Je l’ai transmise à mes homologues hongrois du NBH[8] et j’en ai parlé au rezident du KGB.

— Vraiment ? fit Malko légèrement étonné. Alan Spencer eut un sourire entendu.

— Vous savez bien qu’entre nous c’est la lune de miel maintenant. Surtout sur un sujet comme celui-là. Boris Eltsine a donné pour instructions au KGB de collaborer avec nous pour stopper la prolifération nucléaire. Il tient à renforcer sa crédibilité. Le rezident du KGB, Serguei Oulanov, est un brave type qui vient d’arriver de Moscou. Il boit comme un trou et ne pense qu’à faire du dollar. Mais il n’est pas idiot et possède quelques tuyaux. Il ne faut pas oublier que pas mal de ses collègues se sont fait démobiliser ici pour se lancer dans des trafics de tous genres. Je lui ai donc parlé du plutonium, mais il ne savait rien. J’avais fait un rapport rassurant pour Langley lorsqu’un incident inattendu s’est produit. Avez-vous entendu parler du « Red Mercury » ?

— Jamais, avoua Malko.

— Vous êtes excusable. Il s’agit d’iodure de mercure. Un produit pas très connu qui a différentes applications très techniques. On s’en sert dans la fabrication de détecteurs de rayons X ou comme adjuvant au Propergol solide ou encore pour accélérer le vieillissement de certains papiers. C’est une poudre rougeâtre, assez facile à fabriquer.

— Quel lien avec le plutonium ?

— Vous allez voir ! Il y a quelques mois, on a vu apparaître un peu partout en Europe des membres de la mafia soviétique qui offraient du « Red Mercury » à cent fois sa valeur, prétendant que ce produit était indispensable à la fabrication des bombes thermonucléaires. Tous les intermédiaires travaillant pour les pays arabes se sont rués là-dessus comme des mouches sur du miel. Malko s’étonna :

— Une épidémie de crétinisme ?

— Les services irakiens, syriens, libyens ou pakistanais ne traitent pas directement, expliqua l’Américain. Ils utilisent des « go-between », des intermédiaires, qui, eux, n’y connaissent rien. Ceux-ci se sont jetés sur le « Red Mercury » et l’ont acheté à prix d’or… Ce sont les services polonais qui nous ont expliqué le mécanisme de l’escroquerie à laquelle sont mêlés plusieurs anciens officiers du KGB jadis en poste dans les pays de l’Est. Ils apportent de la crédibilité à l’affaire en fournissant de faux documents en cyrillique… Et font fortune au passage.

— Personne ne se plaint ?

Alan Spencer corrigea froidement.

— Personne ne s’était plaint. Du moins, officiellement. Seulement, il y a quelques jours, on a découvert le cadavre d’un Russe, membre de la mafia ukrainienne installée à Budapest, dans la cour d’une villa d’un quartier résidentiel de Pest. Il avait été assassiné d’une façon très particulière : on l’avait étouffé en lui faisant ingurgiter près d’une livre de « Red Mercury ». Ses deux gardes du corps — des Tchétchènes — avaient été froidement exécutés. Des armes munies de silencieux, puisque personne n’a rien entendu.

— Ça devait arriver, remarqua Malko.

— Certes, admit l’Américain. Mais il y a autre chose. Je ne vous aurais pas fait venir de Vienne pour un simple règlement de compte. Intrigués par la présence du « Red Mercury », les policiers hongrois ont passé le cadavre au compteur Geiger. Ils ont découvert dans une de ses poches une source faiblement radioactive : un échantillon de plutonium 239, celui que je viens de vous montrer. Nous ignorons pourquoi ses assassins l’ont laissé sur lui. Peut-être ignoraient-ils sa présence.

— Comment avez-vous su tout cela ?

— Le colonel Balatomi, de l’ORFV qui s’occupe des mafias russes, savait que j’étais intéressé par tous les problèmes relatifs au plutonium. Il m’a transmis cet échantillon sans faire de procès-verbal… Inutile de vous dire que j’ai alerté instantanément Langley, car c’est la première fois que l’on intercepte du plutonium 239 en provenance de Russie. Alors, je me suis demandé si nous n’étions pas tombés sur l’opération « Darius ». Et, cela justifie votre présence…

« Si l’Iran entrait en possession de plusieurs kilos de plutonium 239, on serait à la merci d’une attaque surprise atomique contre Israël ou d’un acte terroriste nucléaire. Imaginez une bombe explosant dans une grande ville européenne ou américaine.

Malko imaginait très bien.

— Je suppose que les Hongrois sont en train de remonter cette piste ? interrogea-t-il.

L’Américain secoua négativement la tête.

— Les Hongrois sont impuissants sur ce sujet, leurs services sont en pleine réorganisation. En plus, leurs policiers ont été habitués pendant des années à travailler la main dans la main avec le KGB. Or, les officiers en poste à Budapest appuient la mafia soviétique et ce sont souvent eux qui ont les contacts avec les « clients » potentiels, des États avec qui URSS faisait déjà des affaires depuis longtemps. Simplement, ils se sont mis à leur compte.

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Nemzet Biztonsagi Hivatal (Office national de sécurité).