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Mais Berthy le refoule.

Elle a suffisamment donné commako, la Gravosse. Dis, faut qu’elle s’aère un peu les meules, merde ! D’autant que contre une table, mercille beaucoup ! Ça lui enraye la digestion. Elle a une barre au niveau de l’estom’. Et puis c’est le moment qu’elle donne le sein à son bambino vorace. Chacun son tour, non ? D’autant que messire l’ancêtre, si on doit l’entreprendre à la manivelle, on n’est pas encore sorti de l’auberge, c’est le cas d’y dire ! Elle regrette véry moche, mais ça sera pour une autre fois, quand Apollon-Jules fera sa première communion ; si pépé se cramponne jusque-là, elle lui donnera priorité, juré !

Le départ est homérique. Le personnel accepte de transporter Béru jusqu’à ma calèche. Il va laisser sa traction à l’hôtel, n’étant plus en état de la piloter. Il carmera la note demain en venant la reprendre. Le patron est si content de nous voir partir qu’il accepte le principe. Pinaud suit le cortège en chancelant. Tous les deux ou trois pas, l’un de ses genoux cède et il se paie une génuflexion involontaire.

Je fourre tous ces résidus d’humanité sur le cuir de ma Quattroporte, poum ! Et bon, je vais driver l’équipe jusqu’à l’appartement des jeunes parents. Le hic c’est que Berthe a paumé son sac à main, et donc la clé de l’apparte. Alors on retourne au Goujon « frivole » de la Marne pour rechercher le réticule mais, manque de bol, la guinguette a fermé ses volets pour cause de demain dimanche. Alors, bon, comme on ne peut pas laisser un nouveau-né à la rue, je décide d’emmener les Bérurier et leur progéniture chez moi. Ils bivouaqueront dans la chambre d’amis.

Et puis qu’est-ce qui me prend, en cours de chemin faisant de vouloir passer au Pasha Club ? La conscience professionnelle, tu crois ?

Oui, je ne vois pas d’autres explicances.

Je me pointe dans la rue de l’établissement, gare ma chignole à la je-m’en-branle à l’angle de deux rues.

J’explique à dame Berthe que je dois faire un saut au club, l’affaire de dix minutes, et qu’ils veuillent bien m’attendre, tous ces romanos.

Qu’ensuite je vais carillonner à la porte de l’établissement. Huis clouté, avec un judas comme un guichet de prison percé en son milieu et pourvu d’une grillette de fer forgé.

Au bout de peu, une gueule répond à mon appel.

— Vous désirez ?

— Entrer, réponds-je avec une grande précision.

— Vous avez la carte du club ?

— Non, mais peut-être que celle-ci fera l’affaire ? hypothèsé-je en plaçant ma brème poulardière devant le judas.

Magique : on m’ouvre !

Un beau gosse, saboulé pingouin, avec une denture éclairée au néon, m’accueille. A la fois sémillant et blasé. Baraqué sans que son tailor y mette trop du sien. Le genre de gusman qui doit chasser la douairière et lui faire sa joie de vivre sur traversin moyennant une montre Cartier ou une gourmette de chez Boucheron. Le club constituant un vivier à vieilles dragueuses, des mémères que le temps a dérouillées et qui raffolent se faire dérider la babasse par un petit champion du pic à glace.

— Très honoré, monsieur le commissaire, il y a un problème ?

Son ton tranquille m’assure déjà que s’il y en a un il est infondé, le Pasha Club étant une boîte sans peur et sans reproche.

— J’aimerais questionner le personnel du restaurant à propos d’un de vos clients.

— En ce cas, descendez l’escalier. En bas, vous demanderez Freddy, c’est le maître d’hôtel.

Je dévale un escadrin entièrement tendu de tapis avec deux rampes dorées et de savants éclairages en forme d’étoiles dans le plaftard. Un second esclave tout smok et tout sourire m’accueille au bas des marches. Celui du haut l’a déjà affranchi par le biniou intérieur car il m’envape avec zèle en me filant du « monsieur le commissaire » gros comme ma cuisse. Me voici installé à une table discrète, derrière des plantes vertes artificielles, mais tellement bien imitées que de vraies racines leur poussent.

— Accepteriez-vous un petit champagne-framboise, monsieur le commissaire ?

— Avec plaisir.

— Je vous envoie Freddy dans un instant.

Je retapisse la salle luxueuse, tout en glaces fumées, avec des sièges et un nappage dans les tons abricot.

Pas grand monde encore : une tablée de six personnes (trois couples) plus deux de deux. Les convives sont en tenue de soirée, à l’exception d’un homme qui s’est contenté d’un bleu croisé, mais on l’a accepté tout de même. Moi, je trouve que c’est une bonne chose de s’habiller for the dinner de temps à autre. Si on se fout tous en bloudgine ou en salopette pour aller au théâtre ou dans des dîners mondains, la France ressemblera vite à une affiche chinetoque célébrant la Longue Marche.

Le champagne-framboise est délicatement dosé et frappé. Au-delà du restau, s’ouvre la boîte de nuit, dans des demi-teintes orangées coupées de zones ténébreuses. Elle ne fonctionne pas encore, du fait de l’heure jeunette. Mais déjà, de la musique mouline à tout-va ; ritournelle pour vieux crabes, Strangers in the Night et sirop de trompe d’Eustache à lavement.

Un grand type blond, affable, s’approche de moi, s’incline à 45 degrés, se présente :

— Freddy, maître d’hôtel, vous souhaitez me parler, monsieur le commissaire ?

De l’allure, du parler bien ajusté : bref, un vrai pro.

— Pas à vous en particulier, mon bon, je lui retourne en souriant Colgate, mais il est probable que vous allez pouvoir éclairer ma lanterne.

J’aimerais bien qu’il s’asseye (ou qu’il s’assoie s’il trouve cette forme plus confortable) car c’est vachement torticolant de s’entretenir avec un grand type debout lorsqu’on est assis à vingt centimètres de lui ! Mais dis, t’imagines pas un serveur, même chef, installé à la table d’un clille en plein service !

— Vous connaissez Alain Lambert de Vilpreux, camarade ?

Bien que le mot camarade ne soit guère de mise en ce lieu doré et coûteux où l’on sert davantage de homard que de sardines à l’huile, le maître-autel répond sans perdre son sourire :

— C’est un habitué, oui.

— Il vient souvent au club ?

— Au moins une fois par semaine.

— Avec qui ?

— Tantôt avec sa fille, tantôt avec son amie.

Il ajoute :

— C’est un bon client, très gentil.

Donc, il arrose facile, le Lambert. Dans la limonade de luxe, pourliche or not pourliche, that is the question.

— Je crois savoir qu’il est venu ici avec sa fille et des amis, jeudi passé ?

Freddy n’a pas à gamberger long. Il acquiesce, me désigne une table.

— Si fait : ils ont soupé au 11.

— Maintenant, rappelez bien vos souvenirs, mon bon. Ce même jeudi soir, il y avait, non loin de leur table, un dîneur solitaire. Un gros homme du genre levantin qui bouffait du caviar comme moi de la choucroute.

Freddy n’hésite pas une broquette.

— M. Kazaldi, annonce-t-il.

— Ça consiste en quoi ?

— Propriétaire d’un groupe pétrolier ; il a du fric plus gros que lui, et ce n’est pas peu dire !