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3°. Que, se trouvant encore tout son lait, elle avait sollicité des nourritures, et que huit jours après l'événement, dont il vient d'être question, madame la comtesse de Kerneuil, venue de Bretagne à Paris, pour recueillir une succession essentielle où sa présence était plus nécessaire que celle de son mari, était accouchée d'une fille presqu'en arrivant; que cette fille, confiée aux soins de l'accoucheur, qui protégeait Claudine, avait été conduite dès le lendemain chez cette Claudine, pour y être nourrie avec le plus grand soin; cet enfant établi au Pré-Saint-Gervais y avait reçu une seule fois la visite de sa mère; laquelle obligée de repartir fort vite pour Rennes, avait vivement recommandé sa fille à Claudine, assurant qu'elle enverrait sans faute, une voiture et une femme à elle, reprendre cette petite dans deux ans, avec une forte récompense à la nourrice. Mais qu'au bout de trois mois cette.petite fille, nommée Elisabeth, était morte, et qu'elle, Claudine, pour ne pas manquer la récompense promise; très-peu attachée à la petite Claire qui lui restait du président de Blamont, elle avait fait une nouvelle fourberie, quand la femme de madame la comtesse de Kerneuil était venue; qu'alors elle avait mis Claire à la place d'Elisabeth, et avait publié que c'était sa fille qu'elle avait perdue; qu'elle avait soutenue cette fraude essentielle au maintien des autres, envers le curé même, à qui elle avait fait enterrer Elisabeth de Kerneuil, sous le nom de sa fille.

Ces expositions, comme tu le vois mon cher Déterville, établissent donc l'existence, présente ou passée, de trois enfans. 1°. Claire de Blamont, crue morte, et réellement mise à la place d'Elisabeth de Kerneuil, devant exister à Rennes aujourd'hui sous ce nom. Voilà où est la fille de madame de Blamont.

2°. Jeanne Dupuis, fille de Claudine, enlevée par le président, élevée à Berceuil, sous le nom de Sophie, existante maintenant à Vertfeuille.

3°. Et, enfin, Elisabeth de Kerneuil, très-effectivement morte à trois mois chez Claudine, et enterrée dans la paroisse du Pré-Saint-Gervais, sous le nom de la fille de Claudine… De cette fille déjà cédée par elle au président, et n'existant plus que fictivement chez elle dans Claire de Blamont, donnée ensuite à madame de Kerneuil.

Telles sont les fraudes et les suppositions de cette malhonnête créature; mais comme nous devions user de finesse, nous avons eu l'air de rire de ses atrocités, et nous l'avons congédiée avec dix-louis, après lui avoir fait signer ses aveux et le serment sur l'évangile qu'elle n'en imposait en rien; les témoins ont signé de même: je t'envoie les originaux de ces actes, et tout étant fini nous nous sommes juré mutuellement le mystère, ne nous réservant d'établir juridiquement nos preuves, que si le cas le requérait.

Le curé voulait que j'écrivisse à madame de Kerneuil, c'est l'affaire de madame de Blamont, ai-je dit; je vais l'instruire, elle agira comme elle le jugera à propos: notre rôle a nous, est de soutenir au besoin tout ce que nous savons, et de ne rien réveiller; il s'est rendu à mes raisons, et nous nous sommes quittés.

L'impossibilité où je suis maintenant de donner des conseils à madame de Blamont, dans ce flux et reflux d'événemens prodigieux, m'engage à taire mes réflexions; mais j'oserai pourtant lui dire qu'elle doit continuer d'écouter sa pitié et son coeur dans ce qui regarde la malheureuse Sophie, avec les précautions très-essentielles de ne la rendre ni au président ni à sa mère: deux êtres qui ne feraient assurément pas son bonheur. A l'égard de Claire, la réclamer, l'enlever à madame de Kerneuil, auprès de laquelle elle est sans doute fort heureuse, et cela pour la rendre à un père qui dès le berceau avait conspiré contr'elle; serait-ce travailler à sa félicité? Madame de Blamont doit, ce me semble, s'informer seulement du sort de cette fille, et si ce sort est tel qu'il doit l'être, cette jeune personne, appartenant à une femme titrée, établie dans la capitale d'une grande province, il faut l'en laisser jouir. Quelque sacrifice qu'il en coûte au coeur de notre amie, parce qu'en plaidant elle gagnerait sans doute; mais toute riche qu'elle est, donnerait elle à cette cadette le sort qu'elle lui fairait perdre en qualité d'héritière unique de la maison de Kerneuil, titre certifié par Claudine… Non, en vérité, elle ne l'a dédommagerait point. Qu'elle combine donc et agisse d'après cela, ayant toujours devant les yeux le danger extrême de remettre cette fille entre les mains de son mari: pese ces raisons, Déterville. Je sens bien qu'il y a une espèce de fraude malhonnête à laisser subsister celle de la nourrice, que c'est frustrer les véritables héritiers de madame de Kerneuil, et prendre par conséquent un parti blâmable. Mais en adoptant l'autre, que de nouveaux crimes à redouter; est-il donc contre la conscience de l'honnête homme de prendre entre deux maux certains, celui qui lui paraît le moins dangereux. Pour quant au président tu vois, mon ami, que le crime n'en est pas moins dans son âme, et que s'il ne l'a pas commis, c'est qu'il a trouvé des entraves par le crime opposé de la Claudine, comme si c'était une des loix du sort, que de petits forfaits dussent toujours arrêter l'effet des plus grands… vérité terrible qui nous fait voir l'affreuse nécessité du mal sur la terre, qui nous démontre que ce ne sont que par de légers maux que les plus grands se suspendent; ainsi que de certains insectes qui nous gênent et dont néanmoins l'utile existence nous empêche d'être incommodés par de plus venimeux.

Quoiqu'il en soit, quelle horreur de noircir cette malheureuse Sophie, par des accusations graves, pour lui enlever jusqu'aux généreux soins de sa protectrice; on cherche toujours à rendre odieux ceux qu'on maltraite mal à propos, afin d'apaiser ses remords, et de légitimer ses injustices… Mais ces deux fourbes ne se contentent pas d'un mensonge, ils y joignent la plus insigne calomnie; quelle apparence que cette fille honnête, sensible et douce, quelque puisse être sa naissance, soit coupable de ce dont on l'accuse… La Dubois, dont les aveux paraissent si vrais, et qui ne s'est rûe que sur ce qu'il était impossible qu'elle eût appris, n'a rien dit qui ressemblât à cela; vois comme la méchanceté s'alimente par ses propres effets; plus on lui donne, plus elle exige, et chaque frein qu'on lui laisse briser n'accroît que d'avantage l'ardent désir qu'elle a d'en rompre de nouveaux.

Je suis persuadé, mon ami, que le vice peut conduire l'homme à un tel point de dépravation, qu'il doit devenir comme impossible à celui qui le nourrit en soi de concevoir même l'idée de la vertu; dès-lors, ou sa vie lui paraît fastidieuse, ou il faut qu'il en empoisonne chaque minute par ce venin qui le gangrène; arrivé là, il ne se contente plus de faire simplement le mal, il veut même ne jamais faire le bien, et son coeur abreuvé d'une perversité d'habitude, éprouve aux impressions de la vertu la même sorte de douleur, que ressent l'âme du juste à la seule idée du forfait; et quel est le premier vice qui nous entraîne à tous ceux-la?… Le libertinage… n'en doutons point il est inouï ce qu'il éteint, ce qu'il détériore, ce qu'il envenime; inexprimable à quel degré il relâche les ressorts de l'âme… Blase la conscience en la contraignant à métamorphoser en plaisirs les retours fâcheux de ses erreurs, et voilà sans doute ce que cette passion a de plus dangereux, qu'aucune de celles qui dévorent l'homme, puisque le souvenir des actions où les autres le portent sont des remords cuisans, d'affreuses jouissances dans celles-ci.

Le président est donc aussi coupable qu'il peut l'être, je le dis à regret, j'arrache avec douleur le bandeau des yeux de notre amie, mais son époux la trompe indignement; il dit que Sophie n'est pas sa fille, et assurément il doit être persuadé qu'elle l'est, tout convaincu qu'il en doit être, il la désire, il veut la r'avoir, et pourquoi? si ce n'est pour se venger de ce que le hasard a donné pour asyle, à cette malheureuse, la maison de sa femme; que madame de Blamont ne doute pas qu'il ne tente tout pour la sortir de chez elle, et qu'elle écoute son coeur dans les moyens nécessaires à prendre pour s'opposer à ce nouveau forfait.

Quel tableau, mon ami, que celui de la douce et vertueuse Aline, entre les mains de ces deux débauchés; j'ai cru voir Suzanne surprise au bain par les vieillards… Le voile de la pudeur arraché par un père… Conçois-tu cette atrocité? t'imagines-tu que ses infâmes désirs ne s'allumaient pas à cette immodestie? Ah! pardonne mes craintes; mais quelque motif qui l'ait pu retenir avec Sophie, maîtresse de son ami et crue sa fille, crois qu'aucun ne l'arrêterait ici, et que l'épouse de d'Olbourg serait bientôt la victime de la flamme incestueuse de Blamont.