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LETTRE XXXII.

Valcour à Aline.

Paris, ce 5 novembre.

Quel silence! je n'ai osé le troubler, mais en étais-je plus tranquille,… s'il m'était possible de vous voir! je souffrirais bien moins de ces privations de lettres… mais vivre sans vous entendre et sans vous contempler, Aline!… concevez-vous la violence de ce supplice? et pourquoi ne vous verrais-je? pourquoi ne m'accorderiez-vous pas une minute? je sens toute l'étendue de la demande, je ne me rappelle qu'en tremblant qu'elle m'a déjà été refusée; mais je trouve dans la force de mon amour, le courage de la refaire encore… Pendant ces longues soirées… 'arriverais déguisé… Le plus profond mystère ensevelirait cette démarche… Je me jetterais un instant… un seul instant aux pieds de votre respectable mère et aux vôtres, quel calme répandrait cette minute de bonheur sur le reste des jours malheureux que je dois passer encore loin de vous. Pouvez-vous exiger que ces jours,… ces jours infortunés qui vous sont consacrés, s'usent ainsi dans les larmes et la douleur?… Ah! qu'il me soit permis d'acheter au prix de mon sang cette faveur que j'ose implorer!… que je la paye de ma vie s'il le faut, je ne veux exister que ce seul intervalle, et j'abandonne, sans regrets, tous les momens qui doivent le suivre. Que me sont ceux où je suis condamné à vivre sans vous! en vain, Aline,… en vain fais-je tout ce que je peux pour éloigner de moi ce désir violent, il renaît sans cesse dans mon coeur, toutes mes idées me le ramènent, je dois mourir ou le satisfaire… ce qui me distraisait autrefois, m'est à charge, je parcours les beautés de la nature;… je l'étudie, je cherche à la surprendre dans ses secrets, et elle ne me montre jamais que mon Aline. Ayez pitié de votre ouvrage, ne me punissez pas de mon amour!… ne cherchez pas surtout à me calmer par des raisons; mon coeur n'écoute plus que le sentiment qui l'entraîne, si vous ne le satisfaites pas Aline, vous allez le réduire au désespoir,… et vous n'échapperez pas à vos remords… Votre excès de rigueur aura fait deux malheureux, sans que quelques bienséances où vous aurez inutilement sacrifié, vous donne une vertu de plus.

LETTRE XXXIII.

Madame de Blamont à Valcour.

Vertfeuille, ce 12 novembre.

Oui, c'est moi qui réponds; votre Aline est trop faible pour s'en charger, vous la faites pleurer;… vous me faites du chagrin, vous vous en faites à vous-même, et voilà ce me semble, tout ce qui résulte de ce petit moment d'effervescence que vous n'avez pu contenir. Ne sentez-vous donc pas l'impossibilité de votre proposition, et dans la circonstance où nous sommes, pouvez-vous exiger une telle chose? vous dites que vous m'aimez, si cela est, ne cherchez donc pas à me rendre plus malheureuse que je ne le suis; doutez-vous que ce ne fut sur moi que retomberait l'orage si la démarche était découverte? Ah mon ami! appelez ici au secours de votre raison cette délicatesse qui caractérise si bien le coeur qui m'a séduit… Consultez-là, vous verrez si elle vous permet de vouloir acheter un moment de bonheur, au prix de celui des gens qui vous aiment le mieux dans le monde. Croyez-vous que cela put être ignoré, je suppose que cela fut, serais-je moins coupable d'y avoir consenti, malgré la promesse que j'ai faite de m'y opposer. Je sais bien que je n'ai rien à craindre de vous. Votre honnêteté, vos vertus me rassurent et l'amant assez délicat pour n'exiger un rendez-vous de sa maîtresse qu'en présence même de sa mère, ne deviendra jamais le séducteur de celle qu'il aime, ainsi ce n'est pas sur elle que tombent mes craintes… c'est sur vous seul… vous éloignerez votre bonheur… Que dis-je, vous le détruiriez à jamais. Travaillons plutôt à l'obtenir un jour sans mélange, qu'à le goûter ainsi par portion, qu'à hasarder pour un moment heureux qui, peut-être, ne réussirait pas, la certitude de le savourer bientôt tout entier… Non, je m'oppose à cette fantaisie, je fais plus, j'exige qu'au moins d'ici à quelque temps vous ne m'en parliez plus,… vous qui invitez les autres au courage,… est-ce ainsi que vous en faites paraître?… Je vous pardonnerais si vous aviez quelques motifs de jalousie, mais vous êtes aimé, vous l'êtes uniquement, rien ne peut agiter votre âme, rien ne doit la porter au désespoir; songez que c'est moi,… moi qui vous aime peut-être autant qu'elle, que c'est moi qui vous défends de vous désespérer, et que c'est moi que vous affligerez, si vous ne me mandez pas que vous êtes plus sage. Oh pauvre philosophie! est-ce donc de cette manière que tu captives le coeur de l'homme, est-ce donc ainsi que tu te rends maître de ses passions!… La voilà cette chère Aline, la voilà près de moi, qui pleure comme un enfant,… mais maman, dit-elle, avec ses deux grands yeux tout en larmes,… il me semble qu'un petit quart d'heure,… eh bien! vous le voyez,… ne la grondez donc pas, elle le désire autant que vous, que cette certitude vous calme;… ruais cela ne se peut pas, soyez bien sûr que si je n'y voyais pas moi-même les plus grands dangers, je l'aurais peut-être imaginé la première, croyez-vous que je ne sache pas ce qui peut convenir à l'amour. Je n'ai jamais connu, dieu merci, cet espèce de délire, mais je le conçois, rassurez-vous donc, vous êtes aimé, oui, j'ai voulu que ce mot fut tracé par celle même qui l'écrit d'après son coeur, on vous aime, on s'occupe de vous, on travaille pour vous, mais ne détruisez pas l'effet de nos soins, et ne cherchez pas à tout perdre pour un instant de satisfaction, qui ne servirait peut-être qu'à nous replonger dans un abyme de tourmens et de maux… Oh mon ami! pardonnez-moi… Je sens bien que je vous rends malheureux, aimez-moi assez pour me dire que non,… pour m'assurer que vous avez déjà fait le sacrifice de cette extravagance… Oui, dites le moi, j'aime mieux que la victoire soit le fruit de votre raison que de mes argumens, à côté du bien que je fais, je n'aurais pas du moins le chagrin d'imaginer que je vous tourmente, ma jouissance sera toute entière, je serai sûre que vous avez été raisonnable par le seul effet de vos réflexions, et je n'ai pas la douleur de déchirer votre âme en vous écrivant les miennes.

LETTRE XXXIV.

Déterville à Valcour.

Vertfeuille, ce 15 novembre.

Depuis assez long-temps, tu dois t'être aperçu, mon cher Valcour, que quand les lettres sont de moi, il s'agit toujours de quelques nouvelles catastrophes… Eh bien! voilà déjà la tête en l'air… La philosophie hors de ses gonds, comme disait l'autre jour une certaine dame de ta connaissance, à propos de ton ridicule projet… plus de tranquillité,… plus de principes,… plus de bon sens!… Qu'il faut peu de choses pourtant pour faire un fou d'un homme raisonnable, et souvent un être très-sensé de la plus extravagante des créatures. Il me prend envie de t'impatienter,… voyons, calculons d'un côté tous les événemens que tu dois regarder comme heureux. Secondement, tous ceux qui peuvent t'être contraintes; troisièmement, enfin, tous ceux qui ne te sont qu'indifférens. Il est bien certain que ce que j'ai à t'apprendre est dans l'une de ces trois classes, formons-les; il serait possible d'abord que le président fut revenu; qu'Aline fut enlevée,… possible qu'il se fut mis à la raison, qu'on t'attendit pour un mariage… extrêmement simple, que des inconnus fussent fortuitement arrivés à Vertfeuille, et nous eussent appris des choses très-extraordinaires; n'est-il pas vrai, mon cher, que tous ces incidens sont dans la classe des choses possibles? eh bien! calme tes craintes sur le premier; ne te livre pas tout-à-fait au doux espoir du second, et écoute pacifiquement le troisième.

Le soir que madame de Blamont t'écrivit, nous étions, elle, Aline, Eugénie et moi, à raisonner sur ta folie; M. de Beaulé jouait aux échecs avec madame de Senneval, il était environ huit heures du soir, le ciel très-obscur se remettait à peine d'un ouragan épouvantable, lorsque tout-à-coup nous entendîmes un homme à cheval, faire retenir la cour de son fouet… de ses cris, et appeler à lui de toutes ses forces… On ouvre les portes, les valets courent.-On éclaire, madame de Blamont frémit, Aline et elle s'imaginent revoir encore le terrible objet de leurs craintes, le comte lui-même tout échec et mât qu'il est, vole avec moi à la suite des valets, et nous amenons enfin dans le premier anti-chambre, un malheureux domestique mouillé jusqu'aux os, crotté par-dessus la tête, qui nous demande s'il est dans la route d'Orléans? et s'il lui reste bien du chemin à faire pour arriver dans cette ville?-Beaucoup, et d'où venez-vous?-de Lyon, nous allons à petite journée à Paris, mon maître qui me suit avec sa femme a voulu passer par la route d'Orléans, et ce maudit caprice est cause que nous voilà perdus. Je connais l'autre chemin, point du tout celui-ci… La nuit est venue… Un temps du diable, marchant en tête de la voiture, j'ai égaré le postillon qui me suivait, parce que je m'égarais moi-même, et nous voilà à présent je ne sais où;-chez d'honnêtes gens.-Je le vois bien, mais nous aimerions mieux être à l'auberge; parce que mon maître qui voyage incognito, entendez-vous, ne veut gêner personne, et il n'acceptera sûrement jamais l'asyle que vous allez avoir la politesse de lui offrir.-Et où est-il votre maître?-A deux cents pas d'ici, au coin de l'avenue, s'il y avait eu seulement une chaumière, il s'y serait arrêté; mais il n'y a que des arbres, il m'a envoyé devant pour tacher d'obtenir quelqu'éclaircissemens sur la route qu'il nous faut prendre.-Allez le chercher, lui a dit le comte, et dites-lui que madame la présidente de Blamont, dans la terre de laquelle il est, serait très-fâchée qu'il ne lui fit pas l'honneur de venir souper chez elle.-Ma foi, monsieur, vous nous rendez la vie, vive les honnêtes gens morbleu, si j'étais tombé dans une caverne de voleurs, on ne m'aurait pas tant fait de politesse, et l'écuyer fidèle revole vers son maître, pendant que le comte s'empresse d'apprendre à madame de Blamont la liberté qu'il vient de se permettre, en offrant sa maison à ces voyageurs égarés. Cette femme charmante que l'on sert quand on lui prépare le plaisir de faire une bonne oeuvre, a comme tu crois, sonné bien vite pour donner des ordres, on a allumé des flambeaux, et on a couru au-devant de la voiture pour la conduire plus sûrement à la maison; un quart-d'heure après, les portes du salon se sont ouvertes, et nous avons vus paraître un jeune homme d'environ 27 ans, nous présentant comme lui appartenant une femme de 17 à 18 ans, et nous offrant l'un et l'autre à côté des traits les plus doux et les plus réguliers, le ton le meilleur et le plus honnête.