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Ce qui me fait réagir, c’est le mot « colonel ». J’oublie celui de Balzac pour revenir au mien : le colonel Lemercier, noyé dans sa baignoire et qui aurait consacré ses ultimes forces à invectiver ses assassins. Et voilà la mère Macahuète qui se pointe comme « Mars à la crème », dirait Béru pour mars en carême. Zigouillée, mémère. Et on va placer un écriteau sur la vitre de sa loge.

Je laisse mon petit déje pour grimper chercher le panneau. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est qu’il a fatalement été rédigé par l’un des meurtriers. Caractères d’imprimerie : « La Gardienne est absente pour Cause de Décès ».

J’achève mon quatrième croissant : un vrai repas ! Félicie est ravie ; désormais, elle n’ira plus qu’à la nouvelle croissanterie de la rue du Colonel-Chabert.

L’avis concernant l’absence de dame Macahuète a été rédigé au crayon feutre, au dos d’une couverture de cahier en bristol.

— Tu as toujours la loupe dont mémé se servait, sur la fin, pour lire le journal ? demandé-je à ma brave femme de mère.

Tu penses ! Elle conserve toujours tout, Félicie. C’est une fourmi.

Quelques secondes plus tard, j’ai le manche d’ivoire de la vieille loupe en main et mon œil démesure derrière le verre épais. Gagné ! Les deux dernières lettres du mot « décès » ont bavé, ce qui arrive souvent lorsque tu te sers d’un gros crayon feutre. Elles ont bavé par la faute d’un médius qui a dérapé dessus et dont l’empreinte est superbe comme une photo en piqueur de Gustave Le Pen.

— Tu n’aurais pas une grande enveloppe, ma chérie ?

Tout ! Elle a tout ce que son fils peut souhaiter, m’man, je ne te dirai jamais assez !

Je protège la belle empreinte de collection, hésite à consommer un cinquième croissant, y renonce et repars après avoir englouti un second bol de caoua.

— Tu viens déjeuner ? questionne ma poule couveuse.

— Pas certain, je te passerai un coup de grelot.

Elle risque, perfide :

— J’avais l’intention de faire un bourguignon !

— Jeanne Hachette ! ricané-je. Fais-le toujours, ça se réchauffe.

* * *

La nièce, par alliance, de Mathias qui lui tient lieu d’assistante et qu’il tringle comme un malade, m’apprend que le Rouquemoute est en train de se faire opérer d’un kyste à l’oignon. Rien de fâcheux, il sera là dans deux jours. Je lui refile le panneau de fortune accompagné de quelques explications. Elle aussi trouve que l’empreinte est superbe comme une rosette de Lyon (dont elle est originaire). Elle va en faire ses choux gras (on mange gras à Lyon). Prenant connaissance du texte, elle murmure :

— C’est un Allemand qui a écrit cela ?

— Pourquoi ?

— Tous les noms comportent une majuscule : « Gardienne, Cause, Décès ».

— Beaucoup d’analphabètes ont ce travers.

— Je sais, seulement ils ont une écriture qui trahit leur inculture et font des fautes d’orthographe énormes. Ici, rien de tel.

Elle est forte, cette souris ; moche, mais vachetement compétitive. Un cerveau qui tourne rond. Cela, sûrement, qui aura conquis le Rouillé ; voilà pourquoi il la sabre éperdument.

— Je vous laisse le document, ma mignonne. Établissez à son sujet un rapport exhaustif.

— Comptez sur moi, monsieur le directeur.

Histoire de l’encourager, monsieur le directeur lui palpe la moule à travers sa blouse blanche. Elle recule un peu son michier en rougissant et clapote :

— Oh ! Monsieur le directeur…

La confusion l’embellit, mais elle est foncièrement modeste : la môme n’ignore pas qu’une mocheté de son espèce ne saurait provoquer le désir chez un beau mec de mon importance.

— Un jour, tu mettras des bas noirs et je te baiserai sur mon bureau, lui dis-je. Tu verras, les moulures de la suspension sont géniales !

C’est ainsi que Renaud épousa la belle Aude.

« Triple assassinat Avenue George-V. »

Ça y est, c’est lancé ! La télé de mon bureau a cru bon d’interrompre ses programmes pour un flash spécial. À deux morts, elle ne le faisait pas, mais trois, c’est un début de carnage !

Affaire qui, dès le départ s’annonce mystérieuse : un ancien colonel de l’armée française, un citoyen d’origine tchèque, une vieille gardienne d’immeuble pour faire le bon poids. Fusil à lunette trouvé sur place ! Jumelles. Un attentat était prévu. C.Q.F.D. !

Ma secrétaire m’annonce par téléphone que les médias assiègent la Maison Poupoule. Ils réclament une déclaration de « l’Illustre ». Je sais qu’il ne sert de rien de les envoyer aux pelosses ; ils en conçoivent de l’humeur et t’attendent au tournant. Après tout, ils exercent un turbin qui réclame du combustible. Je dois leur en fournir, quand bien même il n’est pas de bonne qualité : la tourbe ne vaut pas l’anthracite, néanmoins elle dégage de la chaleur !

— Qu’on les rassemble dans la salle des conférences, je les rejoindrai dans un quart d’heure. Là-dessus, j’appelle le commissaire Ange Honnissoit pour savoir où en est son enquête. Elle avance gentiment. Ses scouts grignotent le bas de l’avenue. Ils ont retrouvé les chauffeurs de la station de taxis qui ont fait la queue la veille, en fin d’après-midi. L’un d’eux, un Chinois nommé Tou Dan Ton Ku, a fait une déposition intéressante. Étant descendu de son sapin situé au bout de la file, il a vu arriver une Jeep Cherokee de couleur noire ayant trois hommes à son bord.

Après avoir remisé correctement l’auto, les individus en sont sortis en portant une valise étroite, de forme allongée, et ils se sont engouffrés dans l’immeuble concerné. Il était un peu plus de 19 heures, selon le Chinetoque. Il ne les a pas vus repartir car il a quitté la station dix minutes plus tard.

Cet obligeant Cantonais se trouve actuellement au service de l’Identification aidant à dresser le portrait-robot des trois hommes.

Les Asiates ont une mémoire luxuriante à souhait.

Par ailleurs, l’équipe du commissaire Honnissoit fait du porte-à-porte dans l’immeuble pour tenter de trouver des témoins éventuels. Le matériel laissé sur place (fusil, jumelles) est en cours d’analyse (empreintes possibles, identification). Avec quoi a-t-on brisé la coquille de la mère Macahuète ? Curieux que l’objet sauvagement contondant qui a servi au meurtre ne se trouve plus dans l’apparte. Et comment se fait-il que ces hommes venus avec le fusil, l’aient laissé sur place ? Ils sont arrivés à trois, sont repartis deux. Un membre du trio a été étranglé.

Je gagne la salle de conférences, seulement meublée d’une immense table ovoïdale et de vingt-six chaises. Aux murs des photos de Jean Mulatier qui représentent des sous-bois et des massifs floraux, agrandis posters, afin d’emprintaner l’ambiance rigide du lieu.

Une dizaine de journalistes sont assis, deux mecs à Nagra attendent avec leurs micros, et un gazier de télé me guette, la caméra à l’épaule, prêt à me zinguer. À mon entrée : projo pleine poire. J’essaie de faire bonne contenance et de ne pas placer ma main en écran devant mes prunelles. Je m’habitue à l’éblouissement. Lance un courtois « Bienvenue à tous ». Chope le dossier de la chaise située à la pointe de l’œuf, la fais pivoter et m’assieds.

Le projo me biche de profil. C’est davantage supportable. Deux micros me sont proposés de part et d’autre, qui doivent me composer une grosse moustache surréaliste. Une volée de questions. Je calme des deux mains en vol de gerfaut.

— Chers amis, pas de panique, y en aura pour tout le monde !

Le Vieux faisait très bien ça quand il occupait ma place actuelle. Tout dans le masque ! Dignité assurée ! Réfrigération naturelle grâce à son regard polaire ! Un grand pro. Ma pomme, j’ai un côté camelot. M’empêtre dans les fausses gravités !