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— La certitude qu’il y a quelque part une mise en scène ; voilà mon premier sentiment. Un homme en arme — et quelle arme ! — qui entend venir ses assassins, ne va pas se mettre à consulter l’annuaire téléphonique pour appeler un policier auquel il ne dira rien de précis !

— Nos raisonnements se juxtaposent étroitement, assuré-je.

— Quand ta vie est en question et que tu as la chance de disposer d’un tel fusil, tu t’en saisis et tu vas à la rencontre des agresseurs.

— Lu et approuvé !

— Tu as pénétré ici avec ton petit gadget, la serrure avait-elle été forcée ?

— Absolument pas.

— Parce que les arrivants possédaient la clé. Le bruit d’une clé qu’on actionne peut alerter, certes, mais jamais le pseudo-tueur n’aurait eu le temps : de compulser le Bottin, de téléphoner, de te faire appeler, ni de te parler avant que ses agresseurs n’arrivent dans cette pièce.

— Oui : foutaise ! Tu en conclus quoi ?

— Que ce type étranglé n’est pas celui qui guettait à cette fenêtre avec un fusil à lunette.

Je vais pour questionner Jérémie plus avant, mais il ne m’en laisse pas le temps :

— Écoute, grand, je vois les choses de la façon suivante : des gens ont investi cet appartement parce que la fenêtre que voici constitue un poste clé pour le guet-apens qu’ils organisent. En étudiant le topo, l’un d’eux t’aperçoit chez Marius et Jeanette et te reconnaît. Ces messieurs pensent à utiliser cette coïncidence pour conforter leurs louches manœuvres.

— C’est-à-dire ?

— Laisser entendre que ton Antonin Pétsek, ici absent, est un tueur à gages supprimé par des gens chargés de protéger la personne qu’il voulait descendre. Son appel au secours, tu le dis toi-même, est évasif. Tu ignores d’où il provient ; seulement, lorsque le cadavre sera découvert, ils savent que tes méninges se mettront en action et que tu comprendras qu’il était ton correspondant mystérieux. L’annuaire ouvert à la page du restau d’en face contresigne les faits !

J’envisage sa théorie sans enthousiasme.

— Crois-tu, Jéjé ?

— Tu m’as demandé ma façon de penser, je te la donne ! Il n’est pas certain que j’aie raison.

— Pas certain du tout, confirmé-je.

— Mais c’est envisageable ?

— Oui, ça l’est. Ce qui me tarabuste la comprenette, c’est que le fusil n’a pas été utilisé. Il y a eu une victime, certes, mais elle a été étranglée ici au lieu d’être abattue sur l’avenue.

— Qui te dit qu’on a pas voulu donner le change et aiguiller les enquêteurs sur une fausse piste ? Celle d’un tueur embusqué. Qui te dit que ce n’était pas le faux tueur, l’homme à liquider ?

— Peut-être, opiné-je, toujours pas convaincu.

— Tu as des doutes ?

— Un plein coffre de bagnole américaine ! S’il ne s’agissait que d’un simulacre, pourquoi cet appartement ?

— Ben, comme ça…

— Rien n’est jamais fait « comme ça », Frisotté ; tout correspond à des desseins précis. Il me vient une autre hypothèse.

— J’ouïs.

— Ce guet-apens visait un client du restaurant ; tout était prêt pour l’assaisonner ; mais il y a eu un grain de sable.

— Toi ?

— Gagné. C’est en observant la salle que ces gens m’ont retapissé. Et alors, ils n’ont pas osé mettre leur projet à exécution. Ils se sont dit qu’ils perdraient, à cause de ma présence, le bénéfice de la confusion parce que, en bon poulet, illico j’agirais, situerais, d’après leur trajectoire, le point de départ des projectiles, mobiliserais les perdreaux, bref que je leur mettrais tellement de bâtons dans les jambes qu’ils prendraient de trop gros risques en suivant leur programme.

Le guerrier des savanes (dont je me fais l’écho) n’est pas buté. Il n’y a que les cons qui le soient.

— Pas négligeable, dit-il en calmant ses burnes qui ont tendance à s’échapper de son corsaire moucheté.

Et d’ajouter :

— Il va falloir vérifier la liste des convives d’hier soir chez Marius et Jeanette ; celui qui était visé avait fatalement réservé, et depuis la veille au moins, puisqu’on a eu le temps de mettre en place cette opération. J’ai vu que l’appartement est au nom d’un certain Casimir Lemercier, tu n’aimerais pas en savoir davantage sur ce monsieur ?

— C.Q.F.D. !

Il se lève et part en chasse dans les autres pièces. Quant à moi, je me mets à jouer les Sherlock, à croupetons sur le plancher, furetant comme un cador pour essayer de découvrir des indices. Des gens qui passent un certain temps dans un même lieu laissent fatalement des traces. C’est bien le diable si je ne découvre pas un mégot !

Mais j’ai beau fouinasser, je suis bredouille. Il existe de très vagues marques de chaussures inscrites dans la moquette épaisse, et tout ce que je peux déceler, c’est qu’il y en a de différentes, dont les nôtres. Il faudrait une équipe du labo pour essayer de les décrypter, et encore cela ne donnerait pas grand-chose.

— Antoine !

Il est dans l’encadrement de la porte. Ne lui manque qu’une lance pour ressembler à un garde du corps du roi Zigouli-Zigoula.

— Viens voir !

Je me relève.

C’est dans la salle de bains que ça se passe. M. Blanc me désigne la baignoire où un petit vieillard nu est mort noyé dans une eau qui a dû être mousseuse mais qui n’est plus que vert émeraude.

— M. Casimir Lemercier, présente mon poteau noir.

— Comment le sais-tu ?

— Va voir dans sa chambre, il y a plein de photos de lui qui le représentent depuis le jour de son mariage jusqu’à celui où on l’a fait officier de la Légion d’honneur. Colonel ! Veuf, si j’en crois le portrait de son épouse en haut duquel on a fixé un brin de buis.

Je mate le vieillard dont les côtes saillent. Il est mal rasé. Son pyjama jaune devant est accroché à une patère de la salle de bains, ainsi que sa robe de chambre écossaise. Des charentaises font le pied de grue en attendant Godot.

— Mort naturelle après qu’on lui eut maintenu la tête immergée, ricane M. Blanc.

Quelqu’un a sonné chez le colon qui devait vivre, seul, une existence de grabataire nanti. On devait avoir un bon prétexte puisqu’il a déponné. Le neutraliser et le noyer dans sa baignoire n’ont constitué qu’un exercice de style pour ses visiteurs.

Des gens qui n’ont pas froid aux yeux !

Pourquoi sont-ils partis en abandonnant le fusil à lunette ? Jérémie a-t-il raison quand il évoque une mise en scène ?

Je téléphone à la permanence de la Grande Taule et donne des instructions pour qu’on radine dare-dare. Cette enquête me tient à cœur, sans doute à cause de cet appel téléphonique saugrenu qui m’y a bon gré mal gré impliqué ?

— Retourne à ta sauterie ! ordonné-je à Jérémie. Il est inutile que les mecs de la Crime te voient ici dans cet accoutrement à la con. Tu crois qu’un jour tu seras vraiment civilisé ? Malgré ton doctorat en lettres et ta thèse sur Montaigne, je trouve que ton éducation occidentale fait des couacs ! Cela dit, ils ajoutent à ton charme, vieux chimpanzé.

Il hausse les épaules et part retrouver la bistounette ensanglantée de Népomucène, son négrillon de l’année.

Des qui en sont asphyxiés en le voyant, ce sont les gens d’à côté. Depuis ma visite, ils ne se sont pas rendormis et sortent sur le palier au moment où le guerrier se casse.

Ils croient avoir une hallucination.

— C’est le malfaiteur que vous recherchiez ? me demande le mari.

— Non. Il s’agit d’un de mes hommes qui se prodigue dans une secte noire qu’il a infiltrée, les rassuré-je. Cela dit, il y a eu des drames dans l’appartement contigu au vôtre. Des renforts vont arriver et vous allez être questionnés ; n’en concevez ni crainte ni mauvaise humeur : la routine policière.